Passé sous le radar - Le piano tantrique de Lubomyr Melnyk
C'est seulement passé la soixantaine que Lubomyr Melnyk accède à la notoriété internationale. Et écouter Illirion aujourd'hui produit à peu près le même effet que découvrir le Köln Concert de Keith Jarrett à sa sortie en 1975. Entrer dans un monde de son continu où la composition vaut voyage, les variations le thème et la durée seule, l'envie.
Un peu virtuose le monsieur, capable de jouer 19 notes chaque seconde - et des deux mains - n'est pas un réel inconnu. Lui, le hippie docteur en philo, débarqué de son Ukraine natale au début des 70's a vite rejoint Carolyn Carlson à l'Opéra de Paris, où il fut son pianiste attitré des années durant. Il y a développé un jeu basée sur des notes très rapides, combinées dans des séries complexes qui créent une sorte de tapisserie de sons, un flux continu et ininterrompu de notes. Habituellement jouée en appuyant sur la pédale de sustain du piano, pour encore ouvrir davantage le spectre des harmonies et des résonances, la continuous piano music plonge l’auditeur dans des méandres aux ramifications infinies « Vous ne pouvez pas jouer une valse de Chopin pour de la danse moderne. Ça ne fonctionnera pas. J’ai donc dû créer quelque chose de neuf et frais chaque jour, pour chaque cours. »
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« Je sentais qu’Haydn était le compositeur absolu, la quintessence du classique parce qu’il réduisait le classique à ses plus simples éléments. J’ai aussi été beaucoup marqué par le In C de Terry Riley, que tous les hippies écoutaient à l’époque » explique-t-il. Marqué au fer rouge par « la sublime sérénité et la transcendance » de lamusique continue créée par Riley, Lubomyr Melnyk s’immerge corps et âme dans ce nouveau langage musical qui s’offre à lui.
Il va y travailler les résonances autour de la composition et du timbre, des harmoniques et des rythmiques ou de l’immersion du public dans la musique (l’homme rêve de plonger l’auditeur dans un océan de sons en utilisant des haut-parleurs tournoyant à toute vitesse autour des spectateurs pour permettre à tout un chacun d’expérimenter la musique continue à un autre niveau).
Et le tantrisme là-dedans ? C'est tout simple, à travailler le son pour qu'il devienne un flux continu et à vouloir jouer "du piano", il offre une musique corporelle immersive et totale. Et c'est un ravissement.
Jean-Pierre Simard
Lubomyr Melnyk - Illirion - Sony Classical