L'AUTRE QUOTIDIEN

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Extase Totale ! le IIIe Reich sous speed, ou quand le nazisme était une drogue

“L’Extase totale” de Norman Ohler jette un regard original sur le nazisme et sa violence durant la Seconde Guerre mondiale. En y exposant l’usage et les conséquences de diverses substances psychotropes jusqu'au plus haut sommet de l’État. 

Le laboratoire Temmler a produit de la méthamphétamine, la Pervitin, entre 1938 et 1988

Le régime nazi tenait un double discours sur l’usage des drogues. D'un côté assimilées à une perversion sociale, elles entraînaient de sévères condamnations(jusqu’au camp de concentration). Quand d'un autre, Gœring, second personnage du régime, s'avérait autant morphinomane que cocaïnomane. Lui qui avait commencé pour soulager ses blessures du Putsch de Munich de 1923 diversifia ensuite sa consommation. Lors de l’offensive contre l’Angleterre de 1940, il absorbait 30 comprimés de paracodéine par jour (en plus de ses autres doses quotidiennes).

« Panzerschokolade », « Fliegerschokolade », « Stuka-Tabletten » ou encore « pilules de Göering », le chocolat noir énergisant « Scho-Ka-Kola »

La Pervitin, prescrite pour traiter de la banale dépression à la fatigue qui suit une intervention chirurgicale, attirera vite l’attention des militaires et surtout d’Otto Friedrich Ranke, enseignant à l’Académie de médecine militaire qui réalise les premiers essais systématisés chez des étudiants : il constate que la molécule, si elle ne rend pas plus intelligent, augmente la capacité de travail et surtout inhibe le sommeil pendant plusieurs jours : rien de mieux pour les soldats.

Les succès « éclairs » des campagnes de Pologne, de France et des Balkans se réalisent avec des troupes insomniaques pendant plusieurs jours : quelques accidents cardiaques sont rapportés, mais cela ne semble guère affecter les autorités militaires qui voient plutôt les effets positifs à court terme. Otto Ranke fait alors fabriquer à destination de l’armée de terre 35 000 000 de doses au début de ces campagnes militaires.

Cette molécule va connaître un immense succès jusqu’à la fin de la guerre. L’écrivain Heinrich Böll, futur Nobel de littérature, inondait de lettres sa famille, pour lui demander de le ravitailler afin de tenir par les longues nuits de l’hiver russe. Les Alliés ne furent pas en reste, et une autre molécule, la Benzédrine, fut très utile aux aviateurs de la Bataille d’Angleterre, premier grand échec d’Hitler, car elle leur permettait de tenir éveillés pendant des heures.

L’explosif D-IX (5 milligrammes de cocaïne, 3 milligrammes de Pervitin et 5 milligrammes d’eucodal) sera utilisé par les troupes de marine des K-Verbände (Kleinkampfverbände der Kriegsmarine, unités navales allemandes) de sous-marins de poche (Seehunde), parfois de simples torpilles humaines, pilotant une autre torpille ou les équipages d’un à deux jeunes hommes passaient 3 à 4 jours dans des conditions épouvantables, ne pouvant évacuer urine et fèces, à l’affût d’hypothétiques proies. L’un d’eux passa plusieurs jours dans à l’embouchure de la Tamise et ne termina sa guerre que le 12 mai 1945 soit 4 jours après l’armistice.

Les mini sous-marins nazis : les Seehunde

Le mélange D-IX avait été conçu par un pharmacologue de l’université de Kiel, Gerhard Orzechowski qui travaillait dans une base de recherche de la Kriegsmarine à Carnac (sic) pendant l’occupation allemande. Ce produit qui devait désinhiber les mariniers pour les envoyer dans des missions suicidaires eut trop d’effets secondaires négatifs : les chimistes du Reich imaginèrent alors le chewing-gum à la cocaïne, mais cette fois ils allèrent tester les effets sur des humains. Il y avait dans le camp de Sachsenhausen une unité de prisonniers marcheurs qui testaient de nouvelles semelles de chaussures. Les prisonniers, dopés à la cocaïne, étaient condamnés à marcher avec des sacs de 20 kilos sur le dos pendant des heures jusqu’à épuisement, voire même jusqu’à la mort : le docteur Ernst Brennscheidt valide l’utilisation des chewing-gums à la cocaïne pour la marine allemande.

Le bon docteur Morell

Mais il ne faut pas non plus oublier l'adorable docteur Théodor Morell, avec ses injections quasi quotidiennes du « Patient A » (Hitler) qui commencent avec de simples composés vitaminiques, d’extraits endocriniens ou bactériens destinés à soulager les flatulences dictatoriales (Charlot pétomane!) jusqu’à des opiacés tels l’eucodal (Eukodal) responsable d’une dépendance physique et psychique à ces drogues et à leur fournisseur. D’autant qu’à partir de l’attentat de 1944, Hitler, blessé aux tympans, fut traité par des instillations de cocaïne, développant une autre dépendance.

Outre les recherches pour stimuler les « guerriers du Reich », les services allemands, en particulier la Gestapo, incitèrent à des recherches sur des drogues destinées à faciliter les aveux et là encore sur des prisonniers en camp de concentration : la mescaline, drogue des Indiens Tarahumaras, chers à Antonin Arthaud, y produisit des résultats très convaincants en matière de lavage de cerveau. L’ensemble de ces travaux fut récupéré après guerre par la CIA qui en fit bien évidemment « bon usage ».

Le livre de Norman Ohler fourmille de détails avec son importante bibliographie : il ouvre une nouvelle porte sur l’immense tragédie du XXe siècle et la cruauté des dirigeants militaires et civils qui n’hésitent pas à doper leurs soldats pour essayer d’en faire des surhommes. Un simple rappel, pour voir d'où vient l'idée des soldats de Daesh grands gobeurs de cachetons…

L’Extase Totale de Norman Ohler, éditions de la Découverte, Collection : Hors collection/ Sciences Humaines