L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les "polars" de Gianni Pirozzi nous en disent plus sur les Balkans en guerre que cent articles

Romancer l'Histoire par le polar, cela existe depuis Moisson Rouge de Dashiell Hammett, et a fait la fortune des premiers Maurice G. Dantec. Ici, cela donne l'occasion à Gianni Pirozzi de montrer les à-côtés "aventureux" des guerres balkaniques circa 2000. Rien n'est tout à fait clair, mais tout y est brouillé. Autre vision du jeu de dupe, avec des Roms pour l'effet de loupe. Aussi magistral que grinçant.

Travailleur social breton désormais installé à Sète, Gianni Pirozzi publiait en 2009 chez Rivages son troisième roman noir, après les remarqués « Romicide » (2001) et « Hotel Europa » (2004). On y retrouve plusieurs des personnages des romans précédents – et notamment Augusto Rinetti -, plongés cette fois dans le transport clandestin d’armes à destination du Kosovo, au moment du conflit OTAN-Serbie de 1999. Les convoyeurs découvriront avec horreur sur place, en étant confrontés au sort fait aux Roms locaux par les miliciens de l’UCK, après avoir été avertis des violences exercées par les Serbes vis-à-vis des Albanais, avant leur départ des lieux, que les « bons » et les « méchants » restent des notions hélas bien relatives, et que les haines viscérales et stupides comme les corruptions avides n’ont guère de frontières territoriales ou « ethniques ».

La bataille du Kosovo entre les Serbes et les Turcs

Comme précédemment, Gianni Pirozzi excelle à camper et animer des personnages rudes, couturés de cicatrices et de maladresses, bourrés de failles et parfois d’abysses personnels, confrontés aux vices tortueux et bien ancrés légués par la Grande Histoire comme par les concupiscences bien contemporaines.

La fin – que l’on ne dévoilera surtout pas, l’intrigue étant maintenant beaucoup plus ramifiée et subtile que dans le simple et élégant (si j’ose dire) « Romicide » – est d’une noirceur rarement atteinte précédemment.

Le Kosovo : la province la moins développée de l’ex-Yougoslavie. Un taux record d’analphabétisme, de surpeuplement agricole et de sous-emploi… Il est encore tôt, le train s’arrêtera dans une heure, gare de Lyon. Ca y est ! Craven monte à Paris pour s’enfoncer dans les Balkans. Lilith a tenu à l’accompagner jusqu’au départ des bus, porte de Bagnolet. Il se concentre sur la destination indiquée par De Santis. Son crâne est saturé de données. Activité économique focalisée sur les ressources du sous-sol – lignite, zinc -, sur la constitution de combinats agro-industriels. trop peu d’emplois pour une masse de paysans sans ressources.

Un bruissement d’objets au creux d’un sac à main le tire de ses réflexions. Lilith a sorti son paquet blanc de Davidoff :
– Tu fais quoi ?
– Je fume une cigarette.
– C’est interdit dans ce train.
Elle hausse les épaules.
– Eh bien, il me reste les toilettes.
La jeune Turque se lève. Un profil de faucon, un long cou, une nuque fragile qui remonte en ligne droite. Deux rangées plus loin, le grand Frank ronfle dans son siège, les pieds sur la banquette. Elle pouffe :
– Il est marrant ton copain !
– Faudrait me payer cher pour être son copain.
Il a négocié auprès du JAP une levée de ses douze mois avec sursis. Braquage de pharmacie contre participation à projet humanitaire. De l’huile sur le feu. Ne jamais tourner le dos à ce type. Par précaution, il conserve son passeport et sa carte d’identité pour mieux le tenir en laisse. Il ne lui distribue de l’argent de poche qu’en cas de besoin.
 

Charybde 2
Le quartier de la Fabrique de Gianni Pirozzi (Rivages Noir)

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