L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les riches heures philippines de Lav Diaz

Pour le cinéaste Lav Diaz, dont le Musée du jeu de Paume montre pour la première fois en France l'intégralité de ses films à la longueur épique (mais qu'on se souvienne du merveilleux "Mahabharata" de Peter Brook, et qu'on se dise que très long peut être envoûtant et fascinant) « l’histoire d’un individu philippin est l’histoire de la lutte philippine ».

® Lav Diaz - "Storm Children", courtesy Jeu de Paume

Si le cinéma occidental étire ses blockbusters (d'Harry Potter au Seigneur des Anneaux, après Star Wars) pour entrer dans le rêve et la fantaisie, le cinéma malais de Lav Diaz joue le temps à l'intérieur d'un espace cinématographique qui lui est propre, inscrit dans le paysages de son pays qu'il décrit, raconte et sublime par de long récits. Son dernier opus, Norte est sorti ne salles la semaine passé, le Festival d'Automne lui consacre une première rétrospective.

Reconnu comme le « père idéologique du nouveau cinéma philippin », Lav Diaz est régulièrement donné en exemple par de jeunes cinéastes dont les œuvres ont marqué l’émergence d’une « nouvelle vague » philippine dans les années 2000. Ponctuée de rencontres avec le cinéaste et d’autres invités, cette rétrospective présente la quasi-
totalité des films de Lav Diaz pour la première fois en France du 3 novembre au 5 décembre 2015 au Jeu de Paume dans le cadre du Festival d’Automne.

La particularité du cinéma de Lav Diaz tient à la précision d’une approche à la fois esthétique et discursive. L’ampleur et la beauté de son travail suffisent à justifier que ses films, dont beaucoup sont ici inédits, soient enfin montrés en France de manière conséquente. Figure majeure du cinéma contemporain, il signe depuis le début des années 2000 des films qui arrachent le cinéma aux contraintes de l’industrie, et l’individu philippin à son sort tragique.

Ce sort est emblématique de la condition postcoloniale. Les Philippines ont subi trois siècles de domination espagnole, cinq décennies de tutelle américaine, une occupation japonaise et la loi martiale du régime de Marcos, que Lav Diaz considère comme le quatrième cataclysme de l’histoire du pays, par ailleurs continuellement soumis aux catastrophes naturelles. D’Evolution of a Filipino Family (commencé en 16 mm en 1994 et achevé dix ans plus tard en DV après avoir surmonté de multiples avaries) à From What is Before (grand prix du Festival de Locarno en 2014) et Storm Children, il expose et combat l’héritage du dictateur et des colons en racontant les histoires d’individus en lutte contre la pauvreté, la tyrannie, l’aliénation et la dévastation. Paysans expropriés, villageois rescapés, femmes abusées, artistes tourmentés, activistes passés dans la clandestinité : pour Lav Diaz, « l’histoire d’un individu philippin est l’histoire de la lutte philippine ».

Nourri par les mélodrames, le rock, Dostoïevski, Tarkovski ou Béla Tarr, il marie une conscience politique aiguë à un intérêt prononcé pour les formes narratives populaires et les récits pastoraux. Bien que ses films reposent généralement sur des structures narratives classiques, elles font l’objet d’un étirement radical qui vise à produire un sentiment du temps sui generis, offrant des films allant de 2 à 13 heures.

Selon lui, la psyché philippine a en effet hérité de ses ancêtres malais une sensibilité selon laquelle ce n’est pas le temps qui gouverne l’espace, mais l’inverse. La longue durée notoire de ses films ne signale ainsi ni une coquetterie expérimentale ni une mégalomanie monumentale, mais la reconquête d’une sensibilité refoulée par l’imposition de la liturgie et du productivisme de l’Occident. Lav Diaz y oppose, dans sa méthode même, une vision opposée et foncièrement généreuse. Chaque film est l’occasion d’un long séjour, souvent dans des régions éloignées des préoccupations de l’État. La fiction émerge organiquement au fil des imprévus, des contributions, des idées spontanées et des réécritures acharnées, au gré du labeur et de la grâce.

Ce cycle est l’occasion de découvrir un pan du cinéma contemporain largement inédit en France, rivalisant en grandeur et en beauté avec les œuvres de Wang Bing et de Pedro Costa.

® Lav Diaz - "Florentina", courtesy Jeu de Paume

Les très riches heures de Lav Diaz au Jeu de Paume ­> 05 décembre

Mardi de 11h à 21h, du mercredi au dimanche de 11h à 19h. Accès par le jardin des Tuileries, escaliers côté rue de Rivoli. Accès aux personnes handicapées, en voiture par l'entrée Pont de Fer.

® Lav Diaz - "Florentina", courtesy Jeu de Paume