L'AUTRE QUOTIDIEN

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Cent cinquante mètres d’Ombres par Andy Warhol

Génie frisant de biais l’escroquerie mondaine, Andy Warhol n’aura eu de cesse de bousculer le monde de l’art et de faire basculer sa façon de le voir à défaut de le faire exploser. A preuve la formidable série de ses 102 "Shadows" exposées au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Qu'apporte l'ombre ? A la fois le repos de la lumière, et la conscience éblouissante de son existence.

Andy Warhol, Shadows

 

« Vous allez au musée et ils disent que c’est de l’art et des petits carrés sont accrochés au mur. Mais tout est de l’art et rien n’est de l’art. » (Andy  Warhol, Newsweek, 7/12/1964)

Mécène et maître spirituel du premier album du Velvet Underground ( le producteur en fut Tom Wilson), Warhol régnait déjà sur le monde de l’art new-yorkais depuis 1963, de sa Factory toute recouverte de papier argenté sur les murs. Après avoir été successivement dessinateur et concepteur de pub, avoir dessiné des pochettes d’album pour Blue Note, il se mit au pop art comme d’autres à la diète dès 1960, exposant des bandes dessinées et des encarts publicitaires dans des vitrines de grands magasins new-yorkais. Il s’essaye ensuite au cinéma après avoir commencé sa série d’Elvis sérigraphies et réalise Eat, Sleep, Kiss, avant de réaliser sa série des Chaises électriques ( très chic et en couleurs !). Il continue avec sa série des Jackie (Kennedy) et ses Fleurs ( qu’on dirait tout droit sorties d’un catalogue de papier peint, à tel point que certains collectionneurs tenteront par la suite d’en recouvrir leurs murs…). Sans prendre le temps de respirer il tourne en 1965 Empire  un film en plan fixe de huit heures cadré sur l’Empire State Building. 

Parallèlement, il lance ses cubes peints et estampillés des marques de grande consommation américaine : Brillo, Campbell’s, Kellogg’s  qui connaissent de suite un immense succès. Il organise chaque semaine des soirées dans sa Factory où se côtoient célébrités du monde et du trottoir et en profite pour tourner des Screen Tests, petites bobines tournées avec sa caméra Bolex 16 mm qui fixent les attitudes des visiteurs de son antre qu’il diffuse ensuite sur place. 

« Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, vous n'avez qu'à regarder la surface de mes peintures, de mes films, de moi. Me voilà. Il n’y a rien derrière. » (Andy Warhol, The East Village Other, 1er novembre 1966)

Exténué après 6 ans de travail sans interruption, il annonce son retrait du monde de l’art pour se consacrer au cinéma et rêve d’art total, tout en présentant ses Silver Clouds et son papier peint à motif vache. Il conçoit le spectacle total Exploding Plastic Inevitable qui voit les débuts du Velvet Underground, qui joue entouré de projections cinématographiques et de danseurs, avant de rendre en 1967 à Cannes où son nouveau film Chelsea Girls est déprogrammé. 

« Je ne crois pas que l’art devrait être réservé à une élite, je pense qu’il devrait être destiné à la masse des américains et généralement ils acceptent l’art, de toute façon. » (Andy 

Warhol, The East Village Other, 1er novembre 1966)

Début 1968, une grande rétrospective lui est offerte à Stockholm où il recouvre le Moderna Museet  de papier peint et l’emplit de structures gonflables, tout en diffusant des films dans les salles d’expo. Il est ensuite victime d’un attentat perpétré par une journaliste et écrivain Valérie Solanas qui manque de le tuer. 

« Aux Etats-Unis, c’est vraiment formidable, on a la manie de faire des héros de n’importe qui et pour n’importe quoi ; quoi que vous fassiez, ou même rien. » (Andy Warhol, The East Village Other, 1er novembre 1966)

La Factory devenue lieu privé, Warhol devient un mondain nocturne, vraie star de la nuit. D’autant qu’il est insomniaque… et la jet set se l’arrache. Les années 70 le voient retourner à la peinture et au cinéma avec ses séries sur Mao et ses tentatives de film en 3D (De la chair pour Frankenstein ou Du sang pour Dracula réalisés par Paul Morrissey). 

« Ils sont vraiment cinglés. Ils ne croient pas en la créativité. Leur seule image c’est celle de Mao Zedong. C’est formidable. On dirait une sérigraphie. » (Andy Warhol cité par David 

Bourdon, Warhol, 1989)

Il commence à travailler sur le thème de l’ombre et se voit financé par des mécènes (Heiner Friedrich et Philippa de Menil qui lui offrent de quoi composer 102 toiles, ses Shadows qui sont exposées à Paris cette année. Il y a plus de vingt-cinq ans, l’exposition « Peinture – Cinéma – Peinture » organisée par Germain Viatte au centre de la Vieille Charité à Marseille présentait un fragment d’une peinture de Warhol intitulée Shadows (1978-1979). 

Seuls trente-cinq panneaux sur cent deux étaient exposés, mais ceux qui les ont vus s’en souviennent. Peut-être, d’ailleurs, vaudrait-il mieux parler d’ « extrait » plutôt que de fragment, tant Shadows entraine le regardeur dans une expérience cinétique proche du cinéma. De la toile à l’écran, écrivait alors Bernard Blistène, l’oeuvre de Warhol forme un continuum : « Qui s’attache à vouloir y distinguer la part picturale de la part cinématographique se heurte à l’essence même de son travail. » Une manière de dire, aussi, que la quête de l’essence de son art serait sans doute bien vaine, car entre la toile et l’écran tout est question de surface. Warhol ne se privait pas de le rappeler : « Il n’y a rien derrière. » 

Warhol ne cherche jamais simplement à remplir un espace de ses oeuvres. Pour reprendre le titre d’un chapitre essentiel de sa Philosophie de A à B, il créé, chaque fois, une « atmosphère ». L’exposition « Warhol Unlimited » en explore quelques-unes, avec l’espoir qu’un peu de l’esprit subversif de cet artiste hors du commun s’y retrouve. « J’aime bien être ce qu’il faut là où il ne faut pas et ce qu’il ne faut pas là ou il faut, disait-il, ça vaut le coup, parce qu’il se passe toujours quelque chose d’étonnant.» 

Intéressé par la télévision, il y poursuit sur sa chaîne privée ses expériences cinématographiques et tourne même des clips pour MTV( Hello Again des Cars). Il fréquente les nouveaux artistes et graffeurs new-yorkais, il s’attache à Julian Schnabel, Keith Haring et Jean-Michel Basquiat avec lequel il collabore.  En 1985 , il réalise une sculpture invisible qu’il expose dans un club new-yorkais et met la dernière main à sa série de peinture de crânes avant de rejoindre les ombres en 1987. 

« — Nous avons une nouvelle religion. 

— Andy, qu’est-ce que c’est ? 

— Rien. 

— Rien ? 

— Eh bien, la glorification de Rien. » 

(Andy Warhol, Detroit Magazine, 15 janvier 1967)

Warhol Unlimited (2/10/2015 – 7/02/2016) 

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris 11, avenue du Président Wilson  75116 Paris www.mam.paris.fr Mardi au dimanche de 10h à 18h Nocturne le jeudi de 18h à 22h pour les expositions (fermeture des caisses à 21h15). Ouverture exceptionnelle les 1er et 11 novembre de 10h à 18h

Andy Warhol, Shadows

Andy Warhol, Untitled (Shadows), 1978. Private collection. Image courtesy of Gagosian Gallery