Avec les déclassés nippons par Pierre-Elie de Pibrac, épisode 5
Suite des aventures singulières de Pierre-Elie de Pibrac en temps de COVID19 au Japon. L’état d’urgence s’est finalement durci et j’ai dû « ranger » ma chambre photographique durant tout le mois qui suivit mon retour de Fukushima.
Tous mes rendez-vous furent reportés et mon assistante, Chiyoko, ne pouvait plus poursuivre le projet tant que l’état d’urgence n’était pas levé. Compte tenu de la situation, je devais me montrer patient tout en restant constructif et positif pour ne pas m’enliser dans ce climat anxiogène et paralysant du coronavirus.De plus, à ce même moment, l’Agence Vu’ me proposa de participer au projet « garder les yeux ouverts » qui consistait à demander aux photographes de l’agence d’envoyer leurs pensées photographiques du jour, pendant le confinement, ce que je fis avec grand plaisir.
Cet arrêt nous a permis avec Olivia de prendre du recul par rapport au projet et aux photos réalisées, d’accentuer certains axes de réflexion et de voir naître de nouveaux tableaux photographiques à mettre en scène.
Contrairement au reste du monde, nous n’étions pas assignés à résidence par les autorités japonaises. N’ayant aucune visibilité sur la levée de l’état d’urgence, nous avons décidé de saisir l’opportunité de ne pas être « confinés » de manière aussi stricte qu’en France pour partir sur les routes. Matériel dans le coffre, enfants sur la banquette arrière, masqués et gel hydraulique à la main, nous sommes partis découvrir ce Japon silencieux et totalement déserté. Nous tentions surtout de continuer d’avancer dans le projet photographique interrompu depuis déjà un mois.
La police que nous appréhendions et qui représentait le seul barrage à notre « échappée » dans les régions et îles avoisinantes de Kyoto a finalement été très coopérante. Arrêtés à plusieurs reprises et questionnés sur notre présence sur le territoire, nous n’avons jamais été renvoyés à Kyoto malgré le contexte. Nous avons ainsi pu traverser l’île de Shikoku d’est en ouest, l’île de Kyūshū du nord au sud, la péninsule d’Izu, la préfecture de Wakayama, de Nara, de Mie et d’Hiroshima, sans aucun retour contraint à domicile.
Nous étions seuls au monde, à sillonner la campagne japonaise, luxuriante et calme, aux allures souvent abandonnées (elle souffre d’une très importante désertification. Seuls 8% de la population y vit alors qu’elle représente plus de 80% de la surface du pays). Ce changement de « feuille de route » lié au coronavirus nous a permis de découvrir un Japon que nous n’aurions pas pu appréhender de cette manière et de réaliser une série en N&B, complémentaire au projet en cours. Cette série permet d’apporter de nouveaux axes de réflexions et de poser le décor qui accompagnera les mises en scène.
Lors de nos voyages tout était fermé à l’exception de quelques rares petits hôtels de passage, de kombinis pour se restaurer et de cette immense nature verdoyante et inspirante mais aussi absorbante et oppressante qui se tenait face à nous. Nous étions seuls pour observer cette nature japonaise tant vénérée. Ces monts et vallées aux allures parfois impénétrables, se dressaient devant nous, silencieux, sans jamais nous fermer leurs portes malgré l’état d’urgence instauré.
Evidemment nous gardions les distances « sanitaires » et les masques en permanence pour respecter les rares personnes locales croisées sur notre chemin.
Nous poursuivions notre route en gardant l’espoir de rencontrer quelques personnes intéressantes pour le projet. Chiyoko m’avait traduit une lettre en japonais afin que je puisse me présenter et expliquer mon travail auprès des personnes rencontrées si l’opportunité se présentait. Elle y avait gentiment inscrit son numéro de téléphone pour que les personnes l’appellent si elles souhaitaient davantage d’explications et de précisions sur le projet.
Nous avons eu la chance de pouvoir réaliser deux nouvelles mises en scène avec deux personnes rencontrées sur notre route et avec qui nous avons pu échanger grâce à leurs quelques notions d’anglais. La première mise en scène fut réalisée dans la préfecture de Kagawa sur l’île de Shikoku où nous fîmes la connaissance de Masami San, une jeune japonaise énigmatique qui nous raconta des morceaux de vie et nous autorisa à la photographier. Je sortis la chambre une seconde fois dans la préfecture de Mie pour photographier Hayato San, un japonais à l’histoire surprenante, oppressé par un passé douloureux.
Après plusieurs semaines très enrichissantes sur ces routes quasi désertes, ces deux rencontres impromptues et poignantes nous permirent de relancer le projet. La présence de nos deux enfants Alma et Hugo, habitués à être sur le terrain depuis leur naissance, était rassurante et sympathique pour les japonais que nous rencontrions.
Aujourd’hui, l’état d’urgence est levé (depuis le 1er juin) et Chiyoko peut de nouveau m’accompagner dans la réalisation du projet. Nous partons dès demain matin dans la préfecture de Yamanashi, au pied du Mont Fuji. Matane.
Pascal Therme le 29/06/2020
Pierre-Elie de Pibrac, Avec les déclassés au Japon N°5