L'AUTRE QUOTIDIEN

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Il faut que la France accorde l’asile politique à Julian Assange

Commençons par le chat. Qui aurait pensé qu’un de ces félins bien-aimés jouerait un rôle crucial dans l’affaire Julian Assange ? Et pourtant, voyez les derniers articles parus dans la presse. Les gros titres des médias grand public ne parlent pas d’un homme confiné dans un minuscule bâtiment au cœur de l’Europe depuis six ans sans aucune issue en vue, mais plutôt d’instructions venues de Quito lui demandant de nourrir son chat.

Voilà un homme qui court le risque grave d’être arrêté par les autorités britanniques puis extradé vers les USA et poursuivi pour ses publications. Un homme qui a été coupé de tout contact humain, à l’exception de ses avocats, et dont la santé se dégrade sérieusement en raison d’un confinement prolongé sans même une heure à l’air libre. Avec tout ça, n’y avait-il rien de plus important à couvrir que le chat ?

Mais il y a une histoire à raconter sur le chat d’Assange. Une des dernières fois que j’ai été autorisée à rendre visite à Julian Assange à l’ambassade de l’Equateur à Londres, avant que le gouvernement actuel de Lenin Moreno ne coupe tous ses contacts sociaux et professionnels, j’ai demandé au fondateur de WikiLeaks si son chat avait déjà essayé de s’échapper de l’ambassade puisque, contrairement à son compagnon humain, il pouvait facilement s’échapper du bâtiment sans risque d’être arrêté par Scotland Yard.

Assange n’a pas pris ma question avec la même légèreté que je l’avais posée et, au contraire, il s’est légèrement ému et m’a dit que lorsque le chat était petit, il avait effectivement tenté de s’échapper du bâtiment, mais en grandissant, il s’était tellement habitué au confinement que chaque fois qu’Assange avait essayé de donner le chat à des amis proches pour que l’animal profite de sa liberté, l’animal manifestait une peur des espaces ouverts. Le confinement a un impact profond sur le comportement et la santé de toutes les créatures, animaux comme humains.

La force

J’ai travaillé en tant que partenaire média de WikiLeaks pendant les neuf dernières années, et au cours de ces neuf années, j’ai rencontré Assange à de très nombreuses reprises, mais je ne l’ai rencontré qu’une seule fois en homme libre : c’était en septembre 2010, le jour même où la procureure suédoise a émis un mandat d’arrêt pour des allégations de viol [affaire qui avait déjà fait l’objet d’une enquête et d’un non lieu par un procureur suédois - NdT]. D’abord assigné à résidence avec un bracelet électronique autour de la cheville, il est entré à l’ambassade de l’Équateur à Londres le 19 juin 2012. Depuis, il est enfermé dans cette petite ambassade : un bâtiment déprimant, très petit, sans soleil, sans air frais, sans sorties à l’air libre. Dans mon pays, l’Italie, même les chefs mafieux qui ont étranglé un enfant et dissous son cadavre dans un baril d’acide passent une heure par jour à l’extérieur. Pas Assange.

Au cours de ces huit dernières années, je n’ai jamais entendu Julian Assange se plaindre : au moins en ma présence, il a toujours réagi avec force à l’énorme stress qu’il subit et chaque fois que j’ai contacté sa mère, Christine Assange, elle n’a jamais voulu discuter de ses sentiments personnels et des préoccupations quant à l’état de santé de son fils.

Mais malgré sa force, cette situation difficile mine gravement la santé physique et mentale d’Assange. Dans un éditorial paru dans The Guardian en janvier dernier, trois médecins respectés, Sondra S. Crosby, Chris Chisholm et Sean Love, ont tenté d’attirer l’attention sur ce problème, mais rien n’a changé. Assange reste enterré à l’ambassade dans des conditions extrêmement précaires en raison de l’absence totale de coopération des autorités britanniques qui ont toujours refusé de lui garantir un passage pour bénéficier de son asile en Équateur.

Ce manque de coopération de la part des autorités britanniques - qui peut être raisonnablement interprété comme un effort délibéré pour pousser Assange au désespoir, pour le détruire, pour qu’il sorte de l’ambassade et qu’ils puissent l’arrêter - a contribué à créer cette situation inextricable, où l’Équateur a essayé de trouver une solution avec diverses options, comme accorder à Assange un statut diplomatique pour qu’il puisse quitter l’ambassade protégé par une immunité diplomatique [statut refusé par les autorités britanniques - NdT]. Mais en fin de compte, un petit pays comme l’Équateur ne peut pas faire grand-chose, et avec Lenin Moreno au pouvoir, l’intérêt de l’Équateur pour la protection d’Assange semble s’estomper au point que l’Équateur envisage de retirer à Assange sa citoyenneté équatorienne, l’un des plus importants boucliers qui protège le fondateur de Wikileaks d’une extradition vers les USA.

L’intérêt particulier du Royaume-Uni

Ayant passé les trois dernières années à me battre dans quatre pays - la Suède, le Royaume-Uni, l’Australie et les USA - pour avoir accès à toute la documentation sur l’affaire Assange et WikiLeaks, obtenue sous FOIA [Freedom Of Information Act - loi sur la liberté d’accès à l’information - NdT], j’ai obtenu quelques documents qui ne laissent aucun doute sur le rôle joué par les autorités britanniques dans la création de ce bourbier juridique et diplomatique. Pourquoi les autorités britanniques ont-elles fait cela ? Quel intérêt particulier, le cas échéant, ont-elles dans l’affaire Assange ?

J’emploie l’expression "intérêt particulier" parce que les documents révèlent que dès le début de l’affaire suédoise, les autorités britanniques ont déconseillé aux procureurs suédois d'adopter la seule stratégie d’enquête qui aurait pu aboutir à une solution rapide de l’enquête préliminaire : interroger le fondateur de WikiLeaks à Londres plutôt que de l’extrader vers Stockholm. C’est cette décision d’insister à tout prix sur l’extradition qui a conduit l’Australien à se réfugier à l’ambassade d’Équateur, en se battant bec et ongles, convaincu que s’il était extradé vers la Suède, il pourrait finir par être extradé vers les États-Unis.

Des documents révèlent que dès le début, les autorités britanniques ont qualifié l’affaire Assange d’inhabituelle. "Croyez-le, cette affaire n’est pas traitée comme une simple demande d’extradition ", ont-ils écrit le 13 janvier 2011 aux procureurs suédois. Quelques mois plus tard, un fonctionnaire britannique ajoutait : "Je crois qu’on n’a jamais rien vu de tel, que ce soit en termes de rapidité ou dans le caractère informel des procédures. Je suppose que cette affaire ne cessera d’étonner." Quelle est donc la particularité de cette affaire ? Et pourquoi les autorités britanniques n’ont-elles pas cessé d’insister sur une extradition à tout prix ?

A un moment donné, même les procureurs suédois ont semblé exprimer des doutes quant à la stratégie juridique préconisée par leurs homologues britanniques. Les courriers électroniques que j’ai obtenus dans le cadre de la FOIA, courriers échangés entre les autorités britanniques et suédoises, montrent qu’en 2013, la Suède était prête à retirer le mandat d’arrêt européen en raison de la paralysie judiciaire et diplomatique que la demande d’extradition avait créée. Mais le Royaume-Uni n’était pas d’accord avec la levée du mandat d’arrêt : l’affaire a traîné en longueur pendant encore quatre ans, lorsque finalement le 19 mai 2017, la Suède a abandonné son enquête après que les procureurs suédois eurent interrogé Assange à Londres, comme celui-ci l’avait toujours demandé.

L’enquête suédoise est désormais close mais Assange reste confiné. Peu importe que le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire ait établi que le fondateur de WikiLeaks est détenu arbitrairement depuis 2010, et qu’il devrait être libéré et indemnisé. Le Royaume-Uni, qui encourage les autres États à respecter le droit international, se moque de la décision de cet organe des Nations Unies dont les avis sont respectés par la Cour européenne des droits de l’homme. Après avoir essayé d’en appeler de la décision de l’ONU et perdu l’appel, la Grande-Bretagne l’ignore, tout simplement. La détention arbitraire d’Assange n’est pas près de prendre fin.

Silences et soupçons

Il y a deux autres éléments troublants : le fait que les autorités britanniques ont détruit les courriels concernant l’affaire Assange, comme elles l’ont admis lors de mon litige devant le tribunal britannique, et le fait qu’elles ont toujours refusé de me fournir toute information sur d’éventuelles communications avec les autorités US sur l’affaire Assange, car elles soutiennent que confirmer ou nier de telles communications permettrait à Assange de savoir s’il existe ou non une demande d’extradition de la part des USA.

Dans l’éventualité d’une demande d’extradition des USA, les autorités britanniques veulent pouvoir extrader Julian Assange comme un criminel.

Le fait qu’un rédacteur en chef ou un éditeur puisse être extradé pour ses publications devrait déclencher des signaux d’alarme et un débat public dans nos sociétés démocratiques, mais on n’assiste à rien de tel.

La situation de Julian Assange est très précaire. Ses conditions de vie à l’ambassade sont devenues insoutenables, et ses amis parlent comme s’il n’y avait plus d’espoir : "Lorsque les USA mettront la main sur Julian", disent-ils, comme s’il était acquis que les USA l’auront un jour et qu’aucun journaliste, aucun média, aucune ONG, aucune association de presse ne fera quoi que ce soit pour l’empêcher.

Depuis six ans qu’Assange languit dans l’ambassade, pas un seul grand média occidental n’a osé dire : on ne peut maintenir un individu enfermé pour une durée indéterminée. Ce traitement infligé à Julian Assange par le Royaume-Uni - et, plus généralement, par l’Occident - est non seulement inhumain, mais contre-productif.

Au cours de ces années, le média RT, financé par l’État russe, a largement couvert l’affaire Assange. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi la Russie est si extatique au sujet de l’affaire Assange. L’affaire fournit à la Russie la preuve qu’alors que l’Occident prêche sans cesse la liberté de la presse et le journalisme agressif, en réalité il écrase les journalistes et leurs sources qui dénoncent les crimes d’État aux plus hauts niveaux. Chelsea Manning a passé sept ans en prison, Edward Snowden a été contraint de quitter son pays et de demander l’asile à la Russie, Julian Assange a passé les six dernières années confiné dans un minuscule bâtiment et avec une santé qui se détériore gravement. 

Il est temps d’arrêter cette persécution. 

Stefania Maurizi 
Traduit par  
Viktor Dedaj