Jugée pour "nudité dans un lieu public à Paris", Deborah de Robertis est relaxée par le tribunal
On saura le 1 février ce qu'il en est pour Deborah de Robertis, puisque le jugement sera rendu. Le hasard, dit du calendrier (à moins que ce ne soit l'époque, ce doit être l'époque), a voulu que soient jugées la même semaine à Paris cet automne deux femmes pour "exhibition sexuelle" dans des lieux publics. La première, Éloïse Bouton, ex-Femen, pour une action pro-avortement à l'église de la Madeleine. Elle est poursuivie par le vicaire de cette grande église parisienne de la paroisse de Fauchon (la porte à côté). La seconde, l’artiste et performeuse Deborah De Robertis, pour s'être montrée nue à l'exposition Barbie organisée par les Arts Décoratifs. Cette fois-ci, c'est une visiteuse de l'expo qui a porté plainte. Le propos était clairement de dénoncer le double-entendre du côté à la fois ultra sexy et parfaitement asexué des poupées Barbie, idéal féminin des messieurs qui sont des enfants attardés. Elle travaille, il faut le souligner, toujours dans ce sens. Il s'agit donc d'une "démarche" cohérente pour cette artiste, qui a déjà posé nue le temps d'une action devant deux tableaux très fameux : "L'Origine du monde" de Gustave Courbet, et "l'Olympia" de Manet, et questionne le rapport des "voyeurs/visiteurs" des tableaux avec le vrai corps et la vraie présence des femmes. Nous les soutenons l'une et l'autre, en espérant une légèreté des peines. Après tout, si la nudité des femmes fait toujours scandale, - particulièrement dans un musée, où elle se contemple à des centaines d'exemples sur des tableaux ou dans des statues, ce qui ne semble pas empêcher une évidente gêne devant le réel qui oblige à accepter qu'il y ait quelque chose d'équivoque dans cette "célébration du corps de la femme" par les artistes -, et bondir Facebook, passé maître dans l'art de cacher ces seins qu'on ne saurait voir à coups d'algorithmes et de bannissements, il est bon de nous le rappeler par des exemples concrets.
Je suis la première femme condamnée pour exhibition sexuelle en France.
Aujourd'hui a lieu mon procès en appel pour exhibition sexuelle, suite à une action individuelle torse nu et pro-avortement menée en décembre 2013 à l’église de la Madeleine à Paris avec Femen (dont je ne fais plus partie depuis février 2014).
Le 20 décembre 2013, je me suis rendue à La Madeleine, les cheveux orné d’un voile bleu surmonté d'une couronne de fleurs et j’ai brandi deux morceaux de foie de bœuf, symbole du petit Jésus avorté. Étaient peints "Christmas is canceled" dans mon dos et sur mon torse le slogan "344e salope", en référence au manifeste des 343 initié par des féministes en 1971, quand l’IVG était illégal, et qui s’exposaient alors à des poursuites pénales.
En décembre 2013, en Espagne, un projet de loi du gouvernement Rajoy envisageait de restreindre le droit à l’avortement. Le texte prévoyait d’annuler la loi de 2010 autorisant l’IVG jusqu'à 14 semaines et 22 semaines en cas de malformation du fœtus, pour l’autoriser uniquement en cas de grave danger pour la vie ou la santé physique/psychologique de la femme ou de viol.
A la même époque, à Strasbourg, le Parlement refusait de reconnaître l'IVG comme un droit "européen". À Dublin, plusieurs dizaines de milliers d'intégristes religieux manifestaient dans les rues contre l'IVG. Au Texas, une loi interdisait l'avortement au-delà de 20 semaines de grossesse. Aujourd’hui encore, ce droit est sans cesse remis en cause. Dans certains états américains, en Europe et aussi ici, en France.
C’était une action silencieuse et pacifique de 2 minutes, qui consistait à prendre des photos et dont le seul but était de dénoncer les positions l’église catholique et son ingérence dans la liberté des femmes à disposer de leur corps. J’avais attendu que l’église soit vide et avais pris soin de ne pas interrompre une messe.
Pourtant, le curé de la Madeleine a porté plainte contre moi pour exhibition sexuelle et le 17 décembre 2014, le Tribunal de grande instance de Paris m’a condamnée à un mois de prison avec sursis et à verser à l’Eglise 2 000 euros de dommages et intérêts et 1 500 euros de frais d’avocat. J’ai fait appel de cette décision.
Pendant des années, j’ai perçu la nudité comme un outil politique ou artistique. Mais cette condamnation m’a fait réaliser que c’était un combat en soi.
Je me suis rendue compte que ce n’était pas forcément le contenu de mon action qui posait problème mais le simple fait que mon propos existe. La société a réduit mon militantisme à un aspect psychologique et invalidé mon engagement en le dépolitisant. Alors que je souhaitais dénoncer une violence sexiste, mon geste a été commenté et analysé de manière sexiste. Pour résumer, une féministe qui se bat pour le droit à avorter se voit traiter d’exhibitionniste.
La dernière condamnation pour outrage à la pudeur publique, loi remplacée en 1994 par l’exhibition sexuelle, remonte à 1965 et concerne une jeune femme qui avait joué au ping pong topless sur la Croisette à Cannes, un geste dépourvu d’intention politique.
J’étais féministe avant cette action, le suis toujours aujourd’hui et le serai encore demain. Seins nus, j’ai défendu la même cause qu’habillée, celle des femmes. Chacun.e est libre de développer sa propre vision du féminisme et d’opter pour le mode d’action qui lui correspond le mieux. Certaines associations organisent des manifestations et défilent dans la rue, d’autres écrivent des tribunes ou distribuent des tracts. J’ai fait tout ça et n’ai pas décidé du jour au lendemain de descendre manifester topless dans la rue. Il s’agit d’une décision raisonnée et politique qui vise à éveiller à des questions de société et non à m’exhiber avec une intention sexuelle.
Alors est-ce que les seins sont un organe sexuel ? Les seins des femmes sont-ils plus "sexuels" que ceux des hommes ? Nos disparités biologiques ne justifient pas la domination masculine et une application différente de nos droits.
Pourtant en France, en 2016, une femme torse nu dans l’espace public peut être arrêtée et condamnée alors qu’un homme ne le sera pas. Son tort ? Etre une femme, avoir un corps de femme, et choisir d’en faire ce qu’elle veut.
L’artiste et performeuse Deborah De Robertis a comparu au tribunal ce mardi 13 décembre à Paris pour exhibition sexuelle après une intervention nue lors d’une exposition de poupées Barbie au musée des Arts décoratifs. C'est une visiteuse (fan de Barbie ?) qui a porté plainte. La représentante du ministère public a requis une amende de 2.000 euros. Le jugement sera rendu le 1er février.
Christian Perrot