L'AUTRE QUOTIDIEN

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Des écoles de la métropole lyonnaise hébergent leurs élèves qui dormaient dans la rue

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Comme l’an dernier (voir notre article de 2018), des enseignants et parents d’élèves de la métropole lyonnaise se mobilisent pour héberger la nuit dans leurs écoles des élèves qui dorment dans la rue. Un scandale qui reste, malgré leur combat, sans solution : 160 enfants seraient actuellement sans toit sur le territoire. Début décembre, le collectif Jamais sans toit comptabilisait 12 établissements scolaires qui avaient déjà servi de refuge à 50 enfants et leurs familles faute de places au sein du dispositif de renfort hivernal. Leur geste de solidarité envers leurs élèves sans abri et leur engagement bénévole devraient valoir à ces enseignants tout le soutien de l’Éducation nationale, et sa reconnaissance. C’est loin d’être le cas, si on en juge par la lettre qui vient de leur être adressée par l’inspectrice de l’EN qui leur rappelle leur “obligation de neutralité” et les engage donc à cesser leur action en faveur des élèves qui doivent cet hiver dormir dans la rue. Pour nous, ils sont au contraire un exemple à donner à toute la société. Et nous les remercions. Ils ont tout notre soutien et notre affection. Voici leur réponse à l’Éducation nationale.

Mardi 10 décembre, un enfant fête son anniversaire dans une école occupée à Vaulx en Velin...

LETTRE OUVERTE A L’EDUCATION NATIONALE

Depuis le 18 novembre, un collectif d’enseignants et de parents d’élèves occupe l’école élémentaire Audrey Hepburn, à Lyon, pour mettre à l’abri deux familles sans abri dont les enfants sont scolarisés dans cet établissement.

La hiérarchie de l’Education Nationale n’a pas manqué de réagir. En apportant son soutien au collectif qui donne de son temps et de son énergie, pour éviter à des enfants de dormir dehors en plein hiver ? Non. L’Education Nationale, par le biais de son inspectrice, a adressé un courrier aux enseignants et au directeur de l’école :

« Suite aux récents évènements survenus dans votre école, je vous rappelle la loi du 20 avril 2016 qui explicite pour tous les fonctionnaires, y compris les professeurs, une obligation de neutralité. (…) L’agent public se doit donc de respecter l’obligation de neutralité en toutes circonstances, à la fois sur son temps de travail et dans sa vie privée (…). Je vous demande donc de respecter cette obligation de neutralité. »

La lettre commence par une surprenante formule : « suite aux récents événements survenus dans votre école ». La formule semble volontairement floue. De quels événements s’agit-il ? Du froid qui commence à mordre les doigts de nos élèves sans toit ? De la neige se transformant en pluie et ruisselant entre les palettes servant d’abri à nos élèves ? De ce petit que des médecins refusent de recevoir parce qu’il n’a pas de sécurité sociale ? Cela nécessiterait un peu plus de précisions.

Le courrier mentionne ensuite la loi du 20 avril 2016 qui explicite pour tous les fonctionnaires, y compris les professeurs, une obligation de neutralité ». Voici justement l’article 25 de cette loi : « Art. 25.-Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. » Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité. C’est écrit dans la loi.

Mais comment rester digne face à nos élèves lorsque, pendant les séances d’Education Morale et Civiques inscrites aux programmes scolaires, nous leur parlons des valeurs de la République ? Comment leur expliquer que ces valeurs sont notamment la solidarité et la fraternité, quand l’un d’entre eux dort dans un bidonville au pied de leurs immeubles ? Comment rester digne quand nous leur enseignons pourquoi notre école porte le nom d’Audrey Hepburn, et qu’ils demandent pourquoi la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, qu’Audrey Hepburn a présentée à la tribune des Nations Unies il y a tout juste trente ans, n’est pas appliquée dans notre pays ?

Nos élèves n’ont pas besoin que nous leur parlions de l’injustice subie par les enfants sans toit : ces enfants, ce sont leurs camarades de classe. Ils les voient bien, le soir, dormir dans la rue, dans une cage d’escalier ou dans un camion. Ils sentent bien, assis à côté d’eux en classe, l’odeur du pétrole ou du feu de bois qui a servi à les réchauffer un peu, pendant les nuits passées sous la voie ferrée. Ils n’ont pas besoin que nous en parlions. Ils savent avec leurs yeux d’enfant, sans comprendre.

Nous n’avons rien à leur dire, et nous n’avons même pas besoin d’enfreindre notre obligation de neutralité, pour que nos élèves sachent qu’il y a là une injustice. Alors, plutôt que de grands discours, nous agissons hors de notre temps de service.

Et si, à travers ces petits gestes, nos élèves se disent que la fraternité et la solidarité dont nous avons parlé en classe ne sont pas de vains mots, alors tant mieux. Le courrier de notre Inspectrice semble indiquer que nos actions constituent un manquement à l’obligation de neutralité. Cette obligation impose de ne pas mettre en avant ses opinions religieuses ou politiques. Dire que des enfants vivent dans la rue n’est pourtant pas une opinion : c’est un constat objectif. Par ailleurs, l’obligation de neutralité ne dispense pas de l’obligation de solidarité ni de fraternité qui est inscrite au frontispice des écoles publiques et des mairies. Bien plus, la notion de fraternité a une valeur constitutionnelle depuis le 6 juillet 2018 suite à une question prioritaire de constitutionnalité posée à propos du délit de solidarité. Enfin, selon la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Or, ce texte, ratifié par la France, a une force supérieure aux lois nationales.

Nous croyons profondément aux valeurs de la République et nous continuerons chaque fois que nécessaire à mettre à l’abri les enfants qui dorment dans la rue. Cela n’impacte en rien notre travail, et ne constitue ni une opinion religieuse, ni une opinion politique, simplement un combat pour la dignité. En espérant recevoir, sinon votre soutien, au moins votre compréhension concernant cette mobilisation.

Les enseignants de l’École Élémentaire Audrey Hepburn, Lyon

Pour soutenir et suivre les activités du collectif Jamais sans toit 69 : https://www.facebook.com/jamaissanstoit69/

L'école Lorca à Vaulx en Velin a été occupée lundi 8 décembre pour mettre 3 femmes seules à l'abri et leurs 7 enfants.