Destruction du bidonville : le tri sélectif des mineur-e-s et des autres, par Passeurs d'hospitalité
Le gouvernement a donc décidé de détruire le plus grand bidonville de France et d’éloigner sa population en quelques jours, une hâte incompatible avec le respect des droits de ces personnes, pour des raisons de tactique politique – éteindre la polémique lancée par la droite à la rentrée – et d’organisation – éviter que ne se croisent pendant une expulsion encore en cours les personnes qu’on déplace et celles qui continuent à arriver à Calais ou qui reviendront des lieux vers lesquels on les a forcé à partir.
Face à cette violence et dans un contexte de durcissement général du régime, les contre-pouvoirs se sont délités à grande vitesse, ce qui donne une profonde inquiétude sur ce qui pourra s’opposer encore à des politiques de plus en plus autoritaires et xénophobes.
Pour anesthésier les résistances alors même qu’un mouvement inattendu de solidarité avec les réfugié-e-s se développe en France, un rideau qui montre le trompe-l’œil d’une opération humanitaire. Tout va bien, les expulsé-e-s seront accueilli-e-s dans des Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO – voir ici, ici, iciet là), et pour accéder aux bus qui les y emmèneront il y aura trois files, une pour les « personnes vulnérables », une pour les « mineurs », une pour « les autres », manifestation évidente que les besoins de chaque personnes sont pris en compte.
Mais derrière l’évidence de ces trois files, télégéniques, quels sont les clés du tri entre ces trois catégories et quels sont ensuite les moyens de répondre aux besoins particuliers de ces personnes ?
Prenons la situation des personnes vulnérables, terme très vague qui peut regrouper des situations très différentes. On peut admettre que les familles avec enfants seront orientées vers des centres adaptés, et que la scolarisation des enfants a été prévue dans des établissements à proximité, ayant la capacité d’accueillir des enfants non francophones en cours d’année (mais est-on sûr que ce soit le cas ?) On peut aussi supposer que la prise en charge médicale pourra être prévue pour des blessures ou des maladies communes. Mais des maladies plus rares nécessitant une prise en charge spécialisée, ne se trouvant pas dans n’importe quel hôpital : il semble que rien n’ait été prévu, pas même le transfert immédiat des dossiers de l’hôpital de Calais vers le spécialiste le plus proche du CAO. Des ruptures de traitement, aux conséquences potentiellement graves, sont donc à prévoir. On peut en dire autant des personnes nécessitant un suivi psychiatrique lourd, ou des personnes en cours de sevrage alcoolique.
Comme aucun travail n’a été fait en amont par les autorités, les personnes ayant besoin d’une prise en charge particulière n’ont pas été identifiées et ce sont précisément les personnes les plus vulnérables qui courent le plus de risques dans ce déplacement à la fois forcé et improvisé. Ce n’est pas le tri sommaire qui sera fait au bout de la file des « personnes vulnérables » entre celles qui seront reconnues telles et celles qui ne le seront pas qui permettra de résoudre ces difficultés.
La situation est encore plus flagrante pour les mineur-e-s isolé-e-s étranger-ère-s. Lorsqu’un enfant se trouve laissé à lui-même sans adulte responsable juridiquement, ou qu’il se trouve dans une situation dans laquelle la famille ne peut pas assumer l’autorité parentale, une décision intervient pour que tout ou partie de l’autorité parentale soit confiée à quelqu’un, par exemple l’Aide Sociale à l’Enfance. Un administrateur ad-hoc peut aussi être nommé pour représenter l’enfant dans différentes situations, parce que l’enfant n’a pas la capacité juridique. C’est par exemple l’administrateur ad-hoc qui saisit l’OFPRA pour l’enfant dans le cadre d’une demande d’asile. Ça fait partie des mesures de protection qui peuvent être prises quand un enfant est en danger.
Et personne, n’ayant pas l’autorité parentale, ne peut prendre un enfant dans la rue, dans un bidonville ou ailleurs, le mettre dans un bus et l’envoyer à l’autre bout de la France, sans l’autorisation de ses parents. Le fondement même de l’opération qui va commencer dans quelques heures, pour les mineur-e-s, est totalement illégal.
Mais en amont se pose la question de savoir qui est mineur-e. La loi prévoit de déterminer la minorité à partir d’un entretien psycho-social, ou à partir de tests osseux (que toutes les instances médicales disent non fiables, mais c’est un autre débat), dans le cadre d’une mise à l’abri. Le tri qui va se faire au bout de la file « mineur-e-s » n’a donc aucune base légale, et on se rend aussi compte qu’on ne peut pas déterminer de manière un tant soit peu fiable si un jeune a 17 ou 19 ans en dix minutes au bout d’une file d’attente. Vont donc arriver dans les centres pour mineur-e-s (CAO-MIE comme Mineurs étrangers isolés) des personnes dont on ne sait pas si elles sont mineur-e-s, ça n’aura été établi par aucune procédure légale. Et dans les centres pour majeur-e-s des personnes mineures qui n’auront pas été reconnues comme telles.
En aval, les budgets des CAO tels qu’établis par l’instruction du 29 juin 2016prévoient un encadrement a minima, mais auquel on demande donc d’être multi compétents, et ne prévoient pas d’interprètes.
Bonne chance aux expulsé-e-s.