Vol de nuit à Buenos Aires (1), par Céline Riotte
Rue Arguibel à Palermo, les arbres sont en fleurs en novembre et strient le ciel clair de leurs ramages sombres. La maison de Monica et Marcelo se cache derrière une porte en bois verte. Une chatte grise accueille chaque visiteur avec un miaulement éraillé, presque inquiétant. Mais Pancha est le plus doux des animaux et règne sur le calme de ces lieux. A l'arrière de la maison il y a un jardin assiégé par les oiseaux, leurs nids et leurs chants joyeux. On compte aussi quatre tortues sur le sol arrachant bruyamment les herbes. Marcelo sait parfaitement imiter le son du Zorzal, l'oiseau de Buenos Aires qui lui rappelle toute son enfance. La gentillesse jaillit de Marcelo comme une fontaine dont il ne peut contrôler le débit. Il manque tellement d'orgueil qu'il n'essaie même pas d'expliquer ce qu'est le mal, cette notion dont il a vaguement entendu parler. Il peint de très beaux tableaux remplis d'animaux et de végétaux et dessine consciencieusement les branches de chaque espèce d'arbres de la région. Son épouse Monica est une petite femme très douce au regard un peu inquiet. Elle guette en permanence si ceux qui l'entourent ont tout ce qui leur faut. Elle refait du café dès que l'on regarde à l'intérieur de sa tasse. Deux anges vivent donc dans un paradis, près des parcs, du zoo et des musées nombreux du quartier.
Et pourtant sous le sol, sous les arbres majestueux, le métro est très bruyant. Dans la rame, on applaudit de bon cœur un trompettiste réclamant de l'argent. Parcourant les larges rues de la ville, les voitures klaxonnent dès qu'elles attendent deux secondes de trop aux carrefours encombrés. La vie ne doit pas s'arrêter de circuler. On dormira trop vite, on mourra demain. Il ne serait pas sage de rester immobile ou silencieux. Alors la nuit du samedi, les gays paradent dans un tohu bohu monstrueux, laissant derrière eux des milliers de papiers gras jonchant la Plaza de Mayo. Et au Luna Park, la foule ne se fait pas prier pour aimer intensément un Ringo Star complètement dopé par l'amour qu'on lui porte ici. Les argentins l'acclament avec une joie intense et simple. En sortant du concert, ils s'engouffrent dans une des mille pizzeria bondées du Centro. Devant les portes sombres des night clubs on croise des travestis abondamment maquillés qui du haut de leurs dix centimètres de talons toisent avec dédain le voyageur ébahi muni de ses pauvres guides touristiques mensongers qui ne dévoilent jamais les secrets de Buenos Aires brulants d'une folie bien à elle.
Il en va sans doute de la logique naturelle de la ville de ne compter sur rien ni personne pour rétablir un équilibre entre le chaos et la sagesse. L'oiseau est dans son arbre le matin et les esprits se réveillent la nuit au son du tambour. Et sortent les trompettes, crient les chanteuses, dansent les Porteños immédiatement et toujours.
Céline Riotte