L'AUTRE QUOTIDIEN

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Une nouvelle enquête sur l’assassinat de Malcolm X s’impose

Les membres de la famille du leader révolutionnaire noir Malcolm X ont révélé une lettre écrite par un ancien officier de police new-yorkais infiltré, Raymond A. Wood, qui, selon eux, montre que le Département de police de New York et le Bureau fédéral d’investigation (FBI) sont responsables de l’assassinat de Malcolm le 21 février 1965. Dans cette lettre, il admet qu’il faisait partie d’une conspiration visant Malcolm.

La lettre a été présentée lors d’une conférence de presse à New York le 20 février 2021, par les trois filles de Malcolm et l’avocat des droits civils Ben Crump. Reggie, le cousin de Raymond A. Wood, s’est joint à eux pour révéler le contenu de la lettre.

L’annonce a été faite au Malcolm and Dr Betty Shabazz Memorial and Educational Center, sur l’ancien site de la salle de bal Audubon, où Malcolm a été assassiné [Dr Betty Shabazz était l’épouse de Malcom X].

Confession posthume

La lettre de Raymond A. Wood, datant 2011, a été remise à son cousin pour qu’elle soit rendue publique après sa mort. Il dit qu’il a été contraint par ses supérieurs de la police de New York de persuader deux membres de l’équipe de sécurité de Malcolm de commettre des crimes, ce qui a conduit à leur arrestation quelques jours seulement avant l’assassinat.

Ils n’ont donc pas pu sécuriser l’entrée de la salle de bal où Malcolm parlait au moment où il a été tué. Raymond A. Wood avait également été désigné pour être présent dans la salle de bal.

Le FBI et la police de New York font face à de nouvelles demandes visant à faire ouvrir leurs archives sur l’assassinat de Malcolm.

Reggie Wood a déclaré à Democracy Now : « Ses supérieurs ont dit à Raymond de ne rien répéter de ce qu’il avait vu ou entendu [pendant l’assassinat], sinon il rejoindrait Malcolm [dans la mort]. Il m’a fait suffisamment confiance pour me révéler cette information et m’a demandé de ne rien dire jusqu’à sa mort, mais en même temps de ne pas lui permettre de l’emporter dans sa tombe. »

Les partisans de Malcolm ont toujours cru que son assassinat avait été orchestré par la police de New York et le FBI, même si aucune preuve solide n’était disponible. Malcolm a déclaré à plusieurs reprises que seuls des informateurs du gouvernement et des flics infiltrés au sein de la Nation de l’Islam (NOI-Nation of Islam) pouvaient organiser sa mort, comme l’a confirmé Raymond A. Wood dans sa « confession ». Les personnes accusées et condamnées pour sa mort étaient des « boucs émissaires ».

Mujahid Abdul Halim (alias Talmadge Hayer ou Thomas Hagan), qui a avoué le meurtre, a soutenu que les deux autres membres de la NOI, Khalil Islam (alias Thomas Johnson) et Muhammad Abdul Aziz (alias Norman Butler), étaient innocents.

« Halim a purgé 45 ans de prison avant d’être libéré sur parole en 2010. Islam, libéré sur parole en 1987, est mort en 2009. Aziz, 83 ans, a été libéré sur parole en 1985. Le Projet Innocence [Innocence Project est une ONG qui œuvre à démontrer l’innocence de personnes condamnées par erreur en ayant recours à des contre-expertises], ainsi que l’avocat David B Shanies se battent pour blanchir les noms de Khalil Islam et Muhammad Abdul Aziz », a rapporté Sydney Trent dans le Washington Post.

Les révélations de la lettre de Wood soulignent les raisons pour lesquelles la famille demande la constitution d’une nouvelle « Commission Malcolm X » pour obtenir toute la vérité, y compris les liens entre la police et les informateurs du FBI qui infiltrent les groupes de défense des droits des Noirs et cherchent à assassiner des dirigeants noirs.

Le FBI continue de cibler les dirigeants et les groupes noirs. Ils infiltrent le mouvement Black Lives Matter (BLM) et ils utilisent des agents provocateurs pour accuser le BLM pour ce qui est de la violence policière et du terrorisme suprémaciste blanc.

A la mémoire de Malcolm X

C’est pourquoi l’assassinat de Malcolm est important. Il révèle comment la violence du FBI et de la police contre des Noirs se poursuit et pourquoi les dirigeants noirs sont des cibles privilégiées.

Les discours et l’exemple de Malcolm continuent à inspirer les jeunes du monde entier. Le mouvement international BLM l’admire. Malcolm était un combattant pour la liberté des peuples opprimés dans le monde entier, et pas seulement des Afro-Américains. Après sa rupture avec la direction de la NOI, en mars 1964, il a commencé à construire une organisation laïque, l’Organisation de l’unité afro-américaine (Organization of Afro-American Unity), fondée sur l’internationalisme révolutionnaire. Il a quitté la NOI lorsqu’il a appris que son chef spirituel suprême, Elijah Muhammad, ne mettait pas en pratique dans sa vie personnelle ce qu’il avait enseigné à ses disciples.

Lors de son pèlerinage à La Mecque en 1964, Malcolm s’est converti à l’islam sunnite. Il a également déclaré que la NOI était absente des vrais combats, qu’il ne faisait pas partie de l’Islam mondial.

Ces changements fondamentaux dans sa vision des choses sont devenus une menace pour la NOI et le gouvernement des États-Unis.

Les années 1960 ont été l’apogée du mouvement des droits civils, des révolutions anticoloniales en Afrique et du mouvement contre la guerre des États-Unis au Vietnam. Malcolm était bien plus qu’un nationaliste noir révolutionnaire, comme il l’avait été en tant que dirigeant de la NOI. C’était un internationaliste révolutionnaire, qui pouvait unir tous les opprimés et les exploités aux États-Unis et dans le monde.

Il fallait l’arrêter

Les tactiques utilisées par la police et le gouvernement pour « neutraliser » Malcolm et les autres militants noirs restent d’actualité. Des informateurs et des provocateurs sont envoyés dans des manifestations contre la violence policière. Les tenants de la suprématie blanche, vêtus de tenues de camouflage noires, vandalisent durant la nuit des biens pour en rendre responsables les manifestants.

Pas un seul flic n’a été tué par les manifestants lors des marches qui ont eu lieu dans les 50 États en 2020. Pourtant, un policier a été assassiné par des émeutiers blancs pro-Trump au Capitole, le 6 janvier.

Des hommes et des femmes noirs continuent d’être tués. Dans ce contexte, il est important d’étudier ce qui est arrivé au plus grand révolutionnaire noir du siècle dernier. Trois ans après l’assassinat de Malcolm, le plus éminent leader des droits civils, King Jr., a été assassiné à Memphis, Tennessee [le 4 avril 1968], alors qu’il soutenait les travailleurs en grève du secteur de l’assainissement. Le FBI avait pris Martin Luther King pour cible pendant des années.

Deux ans plus tard, le 4 décembre 1969, Fred Hampton [21 ans], le leader des Black Panther Party de l’Illinois, était assassiné par des flics à Chicago alors qu’il dormait dans son lit. Le film Judas and the Black Messiah (sorti en 2021) montre comment un informateur noir infiltré a été au centre de la campagne du FBI contre Hampton, le Black Panther Party et l’aile militante du mouvement des droits civiques.

Dans les années 1970, les dirigeants noirs et les étudiants universitaires étaient la cible des flics avec des informateurs. De jeunes militants noirs ont également été emprisonnés sur la base d’accusations fausses d’usage de drogue.

Enquêter sur les extrémistes blancs, pas sur Black Lives Matter

La montée d’un mouvement de protestation multiracial de masse l’année dernière contre la violence de la police, du FBI et de l’extrême droite montre la voie à suivre.

Il n’est pas surprenant que le Parti républicain cherche à dévier le débat sur le suprématisme blanc et la violence organisée du 6 janvier 2021 et à le centrer sur les manifestations pacifiques menées par les Noirs.

Les loyalistes pro-Trump s’opposent à la proposition de lancer une commission sur la violence du 6 janvier. Certains experts libéraux se prononcent en faveur d’une commission indépendante chargée à la fois d’examiner les manifestations pacifiques et l’insurrection de janvier pour la suprématie blanche. C’est une façon, selon eux, de prendre au mot les loyalistes pro-Trump.

Cependant, ce serait une erreur. Cela permettrait à l’extrême droite de mettre à profit ses mensonges selon lesquels les manifestations du BLM étaient tout aussi mauvaises (ou plus violentes) que celles organisées par les insurgés blancs armés.

Le résultat probable d’une telle « commission impartiale » salirait les dirigeants des droits des Noirs et permettrait aux extrémistes blancs comme les Proud Boys et autres milices armées de s’en sortir.

Une enquête doit être menée sur les groupes extrémistes blancs qui ont mené l’insurrection du 6 janvier. Ils doivent être arrêtés et poursuivis. Il en va de même pour les flics et les justiciers blancs qui sont responsables des meurtres de Noirs et que le BLM a mis en évidence au même titre que les attaques des manifestations pour les droits des Noirs.

Ces crimes devraient être au centre de toute enquête menée par le gouvernement.

Ben Crump, qui est l’avocat de la famille Shabazz et qui représente les familles de nombreux hommes et femmes noirs, non armés et tués par la police, l’a bien dit : « Qui personnifiait mieux le mouvement de libération des Noirs en Amérique en 1965 que l’icône des droits civils Malcolm X ? »

Ben Crump a déclaré lors de la conférence de presse que le FBI « essayait d’empêcher un autre messie noir d’unir les Afro-Américains ». « Cela a été orchestré, et la seule façon d’obtenir justice… justice réparatrice ou autre, c’est avec la vérité. » Le mouvement BLM se conjugue avec la bataille pour la vérité, qui est la seule façon de se diriger vers la justice.

Malick Miah

(Article publié sur le site Green Left, le 2 mars 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre)