Gonzo ou pas, le nouveau journalisme du XXIe siècle, par Robert S. Boynton
Qu’on ait découvert le nouveau journalisme dans les colonnes de Rolling Stone, de Rock & Folk, d’Esquire ou de Libé, il a manifesté un vent de liberté avec la forme pour approcher son époque avec de nouveaux procédés d’écriture entre fiction délirante et reportage bien cadré. L’actualité du genre est ici décryptée par Robert S.Boyton via une série d’entretiens avec les maîtres du genre.
En 1973, Tom Wolfe inventait l’expression “Nouveau Journalisme” pour désigner ce type de reportage à mi-chemin du récit et du roman. L’auteur de L’Étoffe des héros, lui-même coutumier de cet effacement des frontières entre fiction et non-fiction, théorisait dans l’anthologie réunissant quelques-uns de ces “nouveaux journalistes” (Joan Didion, Norman Mailer, Hunter S. Thompson, Truman Capote, etc.) une écriture qui dans sa forme même se rapprocherait de la littérature mais dont le souci des faits et de leur véracité déterminerait son but : rendre compte du réel, raconter, enquêter, révéler. “Une investigation artistique”, écrivait-il, tordant davantage deux termes qui de prime abord semblaient incompatibles.
Près de cinquante ans après ce manifeste du Nouveau Journalisme, Robert S. Boynton reprend le flambeau et en actualise le propos en exposant l’importance et la variété du journalisme littéraire contemporain. À travers une série d’entretiens avec les grands noms du reportage, de William Finnegan à Gay Talese, de Michael Lewis à Jane Kramer, l’ouvrage dessine un art du reportage comme l’on écrirait un art du roman. Qu’il s’agisse de Ted Conover exposant ses techniques d’immersion dans une prison d’État, ou d’Adrian Nicole LeBlanc racontant dix ans de vie avec une famille du Bronx, ces conversations à bâtons rompus avec des légendes du reportage forment un bréviaire passionnant du genre.
"Les fondements d’un bon reportage ont toujours été les mêmes : des histoires rapportées de manière profonde et imaginative, racontées par des personnages captivants et qui ouvrent le lecteur, auditeur, téléspectateur soit à des nouveaux mondes, ou à des univers qu’ils connaissent, mais de manière surprenante. Les humains sont des animaux narratifs, des homo narrationis, réceptifs aux histoires qui surprennent, choquent, émerveillent, réconfortent – ou du moins qui nous plaisent. Quand les histoires sont vraies, ce plaisir est d’autant plus intense. Surtout quand ces histoires vraies sont tellement folles qu’on dirait de la fiction. Un peu comme ce qu’on a vécu pendant l’ère Trump. Je n’envie pas les écrivains qui essayent de rivaliser avec le niveau d’absurdité qu’on a vécu pendant quatre ans."
Entretien avec Robert S. Boynton, Vice
Et de nous offrir des angles de vue multiples avec : Ted Conover, Richard Ben Cramer, Leon Dash, William Finnegan, Jonathan Harr, Alex Kotlowitz, Jon Krakauer, Jane Kramer, William Langewiesche, Adrian Nicole Leblanc, Michael Lewis, Susan Orlean, Richard Preston, Ron Rosenbaum, Eric Schlosser, Gay Talese, Calvin Trillin, Lawrence Weschler et Lawrence Wright.
Pourtant, à l’heure des réseaux, les informations ne passent plus beaucoup par l’écrit seul et les GAFAM ont balisé les tuyaux pour que ce qui dérange n’ait plus accès à une grande diffusion et ne puisse plus rencontrer qu’un public de niche. Si on prend l’exemple d’Actuel ici, ses reporters sont passé de l’écrit à Canal+ ou la radio avec Nova, avant de se voir offrir la direction de chaîne câblée, comme Ariel Wizman avec Vice dernièrement, quand d’autres se sont spécialisés dans les documentaire TV ou ciné, comme Christophe Nick ou Martin Meissonnier. A l’heure où chacun a accès à tout tout le temps, le décryptage ne passe plus obligatoirement par un temps de lecture conséquent et le journalisme, de surcroît littéraire a perdu beaucoup de terrain. Le livre de Boynton est donc à lire dans un no man’s land entre passé et présent.
Jean-Pierre Simard le 4/02/2021
Robert S. Boynton - Le Temps du reportage - éditions du Sous-Sol