L'AUTRE QUOTIDIEN

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Inde : les jours actuels sont des journées d'un combat idéologique contre le gouvernement

Le dirigeant paysan Rakesh Tikait, le héros de la résistance du campement de Ghazipur aux attaques des milices fascistes, celui qui a initié au lendemain de la tentative de coup de force de Modi, le Mahapanchayat (Assemblée Générale) de Muzaffarnagat avec 100 000 participants pour discuter de la stratégie à venir et qui est aujourd'hui la figure emblématique du soulèvement, a déclaré dimanche 31 janvier qu'il croyait en l'Inde des Panchayats (sortes de structures municipales traditionnelles en Inde sous le contrôle d'AG directe des villageois). Ce n'est pas tout à fait un "tout le pouvoir aux soviets" mais c'est clairement la volonté et la perspective d'un pouvoir populaire direct opposé au pouvoir du gouvernement comme représentant des grands groupes capitalistes.

Rakesh Tikait. Manvender Vashist/PTI Photo

Samedi 30 et dimanche 31, des Panchayats se sont tenus dans de nombreuses régions du Pendjab et comme celui de Muzaffarnagar dans l'Uttar Pradesh auparavant, ont décidé de bannir de leurs régions les représentants du BJP (parti au pouvoir) et du RSS (milice fasciste au service du pouvoir), se déclarant donc comme des zones n'obéissant plus au pouvoir, tout en affirmant qu'ils financeraient le voyage d'une personne par famille vers les campements de Delhi, levant un "impôt" sur les familles qui n'enverraient personne et assurant l'aide matérielle et pour les champs aux familles qui du fait des départs se trouveraient dépourvues. D'autres Panchayats, des Kaps Panchayats (structures plus anciennes et plus démocratiques), Gram Panchayats et Mahapanchayats (structures municipales avec AG élargies à plusieurs villages) vont se tenir dans les jours qui viennent où sera prononcé le serment de "Lota Noon" identifiant individu et communauté en un même tout, jurant la lutte jusqu'à l'expulsion de l'envahisseur (capitaliste) comme lors de la lutte d'indépendance contre les britanniques et mettant hors la loi sur leurs territoires le BJP et le RSS.

De son côté, le dimanche 31 janvier, Modi ânonnait à nouveau le même discours que depuis le 26 janvier, à savoir qu'il dénonçait le remplacement par les paysans du drapeau national par le drapeau religieux sikh sur le Fort Rouge (ce qui est un mensonge éhonté -le drapeau indien n'a pas été remplacé, et si un drapeau religieux sikh a été hissé à côté, c'est par un membre du BJP, son propre parti, dans le cadre d'un provocation gouvernementale pour salir les paysans) pour tenter d'accréditer que les paysans sont manipulés par des indépendantistes religieux sikhs et attiser un peu plus les haines religieuses. Or, si cette thèse de Modi a été largement reprise par toute la presse mainstream lors de la tentative de coup de force gouvernemental du 26 au soir comme les 27 et 28, par contre depuis le 29 - et le mouvement va s'amplifiant-, depuis que la résistance paysanne a fait échouer le coup de force gouvernemental, un nombre grandissant de journaux se font un peu plus l'écho du point de vue paysan et décrivent la manipulation gouvernementale autour du Fort Rouge et du drapeau sikh jusqu'à poser ouvertement la question : ne vaudrait-il pas mieux que Modi cède maintenant sur les lois agricoles plutôt que de prendre le risque de tout perdre demain ?

Ces journaux mainstream s'inquiètent également que la communauté Jat (à laquelle appartient Rakesh Tikait), une communauté inter-castes et inter-religieuses influente de paysans-guerriers, se soit particulièrement mobilisée à partir du 28 janvier alors qu'elle représente de 20 à 35% des habitants de l'Uttar-Pradesh, de l'Haryana, du Pendjab, 15% dans le Rajasthan et autour de 5 à 10% ailleurs, nombreuse aussi au Pakistan, alors qu'elle est particulièrement connue pour ses rébellions incessantes contre "ceux du dessus" avec une forte présence dans l'armée et qu'elle vient d'appeler à des Mahapanchayats partout.

Cela fait que, plus qu'inquiet, le gouvernement s'est senti obligé de faire arrêter ce dimanche 31 un certain nombre de journalistes qui relayaient des vidéos montrant la complicité des forces de police et des membres du BJP ou RSS "déguisés" en paysans et de couper à nouveau internet sur les campements paysans et de renforcer considérablement les barrières de béton et fils de fer barbelés entre les campements paysans et Delhi comme dans un camp retranché. Mais ce qui est encore plus significatif sur le Waterloo que représente l'échec du coup de force à Ghazipur pour Modi, c'est que de plus en plus de politiciens de tous partis dénoncent la tentative de manipulation de Modi et se pressent autour de Rakesh Tikait pour être pris en photo avec lui, ou le soutenir.

Waterloo n'a pas signifié la fin immédiate de Napoléon, mais a signifié le basculement de la situation générale vers la fin de Napoléon.

Modi n'est pas encore à terre, loin de là, mais l'agenda politique commence à lui échapper pour passer dans les mains du soulèvement paysan qui hisse le drapeau de la démocratie directe populaire contre le pouvoir des groupes capitalistes et de leurs représentants.

Les barrages de la police autour de Dehli, où se retranche le gouvernement depuis plus d’un mois.

Le 31 janvier, Rakesh Tikait a également déclaré que les jours actuels sont des journées d'un combat idéologique contre le gouvernement qui nécessitent moins que les gourdins, l'argumentation militante renforcée dans la rue et en porte à porte pour convaincre des millions et des millions d'indiens que leur combat est celui de sauver l'Inde. Aussi le SKM (Front Uni Paysan qui anime le soulèvement) a-t-il renoncé à la marche sur le Parlement le 1er février (avec une discussion pour manifester éventuellement le 3 février, jour où est organisée par des organisations démocratiques de Delhi une manifestation pour la libération de journalistes emprisonnés) qu'il avait annoncé le 25 janvier au soir parce qu'il trouve cette marche prématurée dans l'ambiance créée par les calomnies lancées par la grande presse. Aussi il appelle plutôt pour le moment au renforcement de la mobilisation générale par des Panchayats partout et une montée plus massive encore sur Delhi, meilleure manière de combattre les calomnies et de montrer dans les faits par le rapport de force où se trouve la vérité.

Jacques Chastaing, le 1 février 2020