L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les antifascistes ont tenté en vain de prévenir les autorités de ce qui allait se passer à Washington le 6 janvier

Quelles forces étaient derrière les événements au Capitole? Qui étaient les principaux acteurs ? que représentent-ils ? comment tout a-t-il été planifié ?

Hier, nous avons vu des néo-nazis, Three Percenters et d'autres milices, des America First Groypersdes personnalités médiatiques de QAnondes personnalités des médias conservateurs locaux, des traditionnalistes chrétiensles Proud Boys et d'autres partisans de Trump converger vers le Capitole. Beaucoup d'entre eux se considèrent comme faisant partie d'un mouvement patriote moderne, comme en témoignent les mèmes qu'ils ont postés jusqu'au 6 janvier. Ces mèmes ont présenté ce jour comme celui du jugement, souvent en faisant référence à la Révolution américaine et, plus nébuleusement, à «la tempête imminente» que le culte Qanon promet à ses fidèles depuis que Trump est au pouvoir. Ensemble, ils représentent les factions dominantes de la droite américaine, susceptibles de prendre part à de futures insurrections à travers les États-Unis.

Les manifestations contre le confinement de Reopen America qui ont eu lieu au printemps dernier ont été un point de convergence pour les mouvements d'extrême droite, l'idéologie axée sur la conspiration et le mouvement des “shérifs constitutionnels” (Ndt: une organisation politique de policiers locaux qui estiment que les autorités gouvernementales fédérales et étatiques devraient être subordonnées aux autorités locales). Les groupes Facebook qui ont été utilisés pour planifier ces manifestations de Reopen America ont par la suite donné naissance à une autre forme d'organisation numérique que nous avons vue en jeu hier et le jour du scrutin: les groupes Stop the Steal. Par exemple, dans l'Indiana et le sud de l'Illinois, nous avons vu des groupes Stop the Steal basés dans le comté fusionner avec les groupes de planification d'événements comme le Trump Train et les Proud Boys. Cette convergence a fourni la structure et l'organisation nécessaires pour mener à bien une caravane nationale de voitures à Washington afin de mobiliser les partisans de Donald Trump. En fait, beaucoup de ceux qui étaient présents se sont rencontrés et regroupés autour de publications publiques Facebook. Alors que Facebook leur a servi d’espace de coordination, “Parler” (une autre application de médias sociaux refusant toute censure) leur a offert une plate-forme pour préparer les événements du 6 janvier et discuter des plans de transport d'armes à Washington et dans d'autres capitales d'État. Avec la structure et le marketing en place, des sites Web comme TheDonald.win a conféré un sentiment de sanction officielle à la tentative de coup d'État d'hier. Ce site a été créé à la suite de l'interdiction de r/TheDonald, un sub-reddit (Ndt : Reddit est un site de discussion très populaire aux USA) pour les partisans de Trump qui a vraisemblablement été interdit en raison de violents discours de haine et de trolls fascistes. Fonctionnant comme un Reddit pour l'extrême droite, TheDonald.win a fait circuler les théories du complot sur une «élection volée» et la propagande QAnon qui a mobilisé le noyau de partisans de Trump. Tous ces sites n’avaient qu’un objectif : appeler les partisans de Donald Trump à se rallier à sa cause le 6 janvier à Washington pour forcer les parlementaires à le maintenir à la présidence malgré sa défaite électorale. 

Dans la période qui a précédé hier, certains organisateurs antifascistes ont tenté de sonner l'alarme. Pouvez-vous en parler?

Ce que vous avez vu hier s'est produit en dépit d'un engagement massif des militants antifascistes et antiracistes à travers les États-Unis pour prévenir la violence. Cela impliquait des semaines de collecte de données pour le doxing (Ndt : l’identification et la recherche d’information sur des militants d’extrême-droite), contactant les organisations sur le terrain dans nos communautés qui seraient touchées par la violence de droite, contactant les entreprises locales et les représentants du gouvernement à DC pour les avertir de la possibilité d'une attaque d'extrême droite contre le Capitole, et des évaluations des menaces pour mesurer le niveau de participation aux événements de la droite militante dans les villes des États-Unis.

Au niveau régional, nous avons reçu des dizaines de conseils d'organisations communautaires du Midwest préoccupées par l'augmentation du nombre de publications en faveur de la suprématie blanche dans les semaines précédant la tentative de coup d'État du 6 janvier. À partir de ces informations, nous avons évalué à quoi ressemblaient les réseaux d'extrême droite locaux, quelles étaient leurs faiblesses, et avons pris contact avec d'autres groupes de notre région qui remarquaient des tendances similaires. Pour perturber l'activité fasciste dans les espaces locaux et rendre les participants et leurs intentions hyper-visibles, nous avons stratégiquement diffusé des informations dans les jours précédant le 6 janvier. Ceci est un exemple de la façon dont les réseaux d'information communautaires et de base associés à la recherche antifasciste peuvent aider assurer la sécurité des personnes aux niveaux local et national .

Ces actions ont probablement atténué la violence dans une certaine mesure, en particulier avec la fermeture pour le 6 janvier du Harry's Bar, le célèbre lieu de rencontre des Proud Boys à Washington. Cela a commencé avec les doxx publiés sur ce sujet pendant la dernière semaine de décembre. Les Proud Boys ont une foule de nouveaux membres depuis que l'ancien président leur a dit de «prendre du recul et de se tenir prêts». Pour vous donner une idée ici: l’Indiana comptait un chapitre (Ndt : “chapter”, branche locale d’une organisation nationale, comme les “chapters” des Hell’s Angels) des Proud Boys l'année dernière, maintenant il y en a trois. L'un est à Indianapolis, l'autre à Fort Wayne, et un chapitre vient de se créer à Richmond, dont certains membres ont des liens étroits avec le Parti Républicain dans le comté de Vigo. Des chercheurs de plusieurs États ont travaillé 24 heures sur 24 et ont réussi à identifier les Proud Boys qui s'étaient cachés à la vue de tous dans leurs communautés. Les doxxes qui les dénoncent nommément roulent. Et les Proud Boys continueront de perdre leur emploi. 

Beaucoup d'entre nous ont appelé tous ceux que nous connaissions à Washington pour leur faire savoir à quel point cela allait devenir grave. À titre d'exemple: des dépliants trouvés dans les groupes Facebook Midwest Stop the Steal et Trump Train indiquaient que le plan pour le 6 janvier allait ressembler à une occupation du Capitole. Ils disaient à leurs membres d'apporter du matériel de camping, de la nourriture etc. D'autres encore se sont vantés que les Proud Boys géraient la «sécurité» pour leurs événements. D'autres discussions de groupe sur des sites Web comme MyMilitia et Parler ont suggéré que les membres de la droite militante prévoyaient d'apporter des armes à Washington.

Nous savons maintenant à partir de photos que certains des putschistes ont apporté des armes de poing dans le centre-ville de DC. Nos chercheurs ont appelé le bureau du maire de DC dans l'espoir de porter cela à leur attention, mais ils nous ont raccrochés au nez avant que nous puissions leur dire un mot. Les appels aux hôtels et aux restaurants ont eu de meilleurs résultats; les travailleurs semblaient vouloir que leurs employeurs sachent à quel point cela était grave. Le message était clair: ce que nous voyions indiquait que l'extrême droite allait prendre d'assaut la ville. Mais la réponse, dans de nombreux cas, était la même que quand nous informions les habitants d’une ville du recrutement néonazi - un haussement d'épaules et un «ça n'arrivera jamais ici». La journaliste Talia Jane l'a bien résumé: «Cette foule n'aurait probablement pas été aussi nombreuse si tous les hôtels avaient décidé de choisir la sécurité plutôt que l'argent.»

L'élection de Joe Biden n'a évidemment pas sapé la confiance du mouvement fasciste en plein essor. À certains égards, les événements d'hier ont été une répétition et une occasion d'organisation pour leur équipe. Comment l'extrême droite pense-t-elle de la présidence de Biden? Quelle est leur perspective? 

L'image de Biden diffère en fonction des groupes que vous regardez. La plupart des réseaux de droite l'accusent d'être un pédophile - comme l'a affirmé le podcasteur de conspiration de droite et candidat à l'élection Blake Monroe dans son podcast RedPill1776. Dans les sphères alt-droite, le leadership de Biden est considéré comme risible, d’où le surnom de «Sleepy Joe». Ils croient que leur travail se poursuivra pendant sa présidence et ne pensent pas qu'il constitue une menace pour le nationalisme blanc ni pour leur objectif de créer un parti America First. Les opinions les plus extrémistes viennent de QAnon, pour qui Biden est un outil reptilien du diable . 

Dans le discours de Biden, il a fait appel au «sens de l'ordre» et à la stabilité et à la décence de l'État américain. Pensez-vous que Biden permet du tout à l'extrême droite avec ses ouvertures?

Les appels anodins de Biden à la stabilité et à l'ordre peuvent sembler apaisants, mais ils sont conçus pour protéger les valeurs de la société civile et non pour lutter contre le fascisme américain. Ses appels à «l'ordre» et à un passé mythologique américain où n’existerait pas la violence suprémaciste blanche sont un moyen d’esquiver la question du fascisme. La rhétorique de Biden repose sur la phrase «ce n'est pas qui nous sommes». Certains ont fait remarquer que c'était une contradiction. Le problème est que c'est en fait très cohérent avec les va-et-vient entre le pouvoir étatique et les justiciers armés qui ont protégé la domination raciale blanche à travers l'histoire des États-Unis. De cette façon, la rhétorique de Biden n'est ni progressiste ni antithétique à l'extrémisme violent d'extrême droite. Cette stratégie de «tendre la main à tout le monde» ostensiblement conçue pour que les choses «reviennent à la normale» n'est qu'une recherche d’apaisement vaine. À ce stade, les gestes en faveur du bipartisme ne sont pas seulement mal avisés, ils sont négligents, étant donné que de nombreux alliés de Trump comme Matt Gaetz ont activement contribué à l'intégration du nationalisme blanc. La nuit après le coup d'État, Gaetz a affirmé que certains des émeutiers n'étaient pas des partisans de Trump, mais des membres «du groupe terroriste antifa», ce qui est totalement faux, un mensonge éhonté démenti par le FBI lui-même. Reconstruire des alliances avec un GOP radicalisé revient à une complicité avec le fascisme, et cela conduira à plus de violence d'extrême droite dans les années qui viennent.

Pourquoi pensez-vous que la police était si peu nombreuse et si mal préparée ? Dans quelle mesure cela est-il dû à des sympathies avec le mouvement parmi les chefs de la police ?

Comme l'ont montré de nombreuses études, les cultures policières aux États-Unis sont d'une violence irrémédiable. La police a détruit de l'eau et des fournitures médicales lors des manifestations à Asheville. Ils n’ont rien fait hier alors que les partisans de Trump cassaient le matériel des journalistes de l'Associated Press et fabriquaient des nœuds coulants avec des cables de caméra. Les mêmes policiers ont battu et mutilé des journalistes couvrant les rébellions de George Floyd. Pourtant, le 6 janvier, la réponse de la police du Capitole à l’invasion a été au mieux très molle. Et il a fallu trois heures pour que la garde nationale soit convoquée. Comme Joy Ann Reid l'a fait remarquer hier, “les Américains blancs n'ont pas peur des flics. Les Américains blancs n'ont jamais peur des flics, même lorsqu'ils commettent une insurrection. La violence d'État la plus vicieuse est réservée à ceux qui bafouent l'ordre racialisé, sexiste et de classe, souvent uniquement à travers leur seule existence. Mais si vous êtes un homme blanc, la police pourrait simplement déplacer les barricades métalliques de côté afin que vous et vos amis puissiez prendre d'assaut et piller le bâtiment du Capitole.” 

Depuis 2016, les États-Unis ont vu une coalition émergente de groupes militants de droite, des Groypers aux Proud Boys, en passant par les milices, les néo-nazis, tous jetant les bases d'un parti fasciste émergent. Beaucoup de leurs membres dans le Midwest sont également des membres du service actif , des ambulanciers et des membres de la police. Ces organisations ont été conçues comme les outils d'un État suprémaciste blanc qui comptait sur des patrouilles d'esclaves et des briseurs de grève pour conserver ses hiérarchies raciales et de classe. Elles n’échouent pas, comme cela se dit parfois, à évaluer correctement les candidats à un emploi de policier ou de vigile. C'est intentionnel, et cela fait partie d'une culture policière qui valorise la masculinité autoritaire, socialise les agents à travers des cultures de travail racistes et sexistes et protège les agresseurs. Compte tenu de cela, il n'est pas surprenant que la police se soit retirée alors que des foules suprémacistes blanches inondaient les rues américaines. Ou, comme à Kenosha, ont tout bonnement laissé traverser leurs rangs sans rien faire pour l’interpeller le milicien d’extrême-droite qui venait de tuer deux manifestants de Black Lives Matter. Ils ont accordé aux groupes néo-fascistes violents une marge de manœuvre pour gazer, battre, tirer et mutiler des militants et des journalistes, le tout au nom de « suivre les ordres ». 

Que pensez-vous qu’il puisse se passer le jour de l'inauguration?

Sous le couvert du coup d'État raté d'hier à Washington, des dizaines de groupes d'extrême droite ont organisé des insurrections à travers les États-Unis, avec plus ou moins de succès. L'une de nos branches de recherche a également trouvé des preuves qu'un groupe se faisant appeler Patriot Action for America avait planifié une insurrection pendant les jours précédant l'inauguration, ce qui les aurait obligés à se rassembler en masse et à encercler les bâtiments gouvernementaux pour perturber leurs travaux. Leur site a depuis été supprimé. Mais d'autres, en particulier les groupes 501c3 d'extrême droite et les groupes Facebook Stop the Steal, organisent des événements pour les jours du 17 au 20 janvier. 

Une extrême droite radicalisée constitue une menace pour le président élu, son cabinet et leurs équipes de transition. Pendant le mandat de Donald Trump, nous avons eu des attentats à la bombe, des fusillades, des coups de couteaudes assauts de la milicele complot pour kidnapper Gretchen Whitmerdes attaques de véhicules contre des piétons et une pandémie incontrôlée. La tentative de coup d'État d'hier comprenait une fusillade, un complot à la bombe déjoué devant les deux sièges des congressistes républicains et démocrates, et une violation potentielle de données, si l'on en croit les rumeurs sur l'accès de certains des auteurs aux ordinateurs des officiels volés dans leurs bureaux. Les États-Unis sont extrêmement instables à l'heure actuelle et le resteront probablement pendant le mandat de Biden en tant que président. Étant donné que la droite militante a été autorisée à prendre d'assaut le bâtiment du Capitole, nos chercheurs pensent que cela pourrait inspirer des attaques contre la branche exécutive qui entraîneront une instabilité supplémentaire.          

À quoi devons-nous nous attendre de l'extrême droite à l'avenir, et quel genre de mouvement devons-nous construire pour la combattre ?

L'extrême droite est prête pour la guerre. Et pas le genre de guerre civile que les Américains ont été conditionnés à voir à travers le prisme folklorique des documentaires de Ken Burns, des analogies de Star Wars Rebel Alliance ou des films Marvel. Ce sera une insurrection longue et interminable d’une cinquième colonne. Pour être très franc, il faut s'attendre à plus d’attentats terroristes, plus de ciblage des personnalités à harceler, et une multiplication de politiciens démagogues qui chercheront à faire appel à une base Trumpiste pour se faire élire.

La manière dont nous traitons l'extrémisme violent pose également des problèmes cruciaux. Nous avons besoin de nouveaux paradigmes qui nous permettront d'étudier et d'aborder le problème très réel de ceux qui commettent des actes de violence suite à leur radicalisation par les théories du complot en ligne. Compte tenu des détails émergents sur l'attentat de Nashville et certaines des attaques à la voiture de cet été, nous voyons des personnes radicalisées dans des réseaux de conspiration mais pas nécessairement affiliées à des organisations extrémistes commettre des actes de violence. Nous avons besoin d'un nouveau langage pour en parler. S'attaquer à ces formes de violence sera une tâche difficile et avec des exigences différentes de celles de s'attaquer aux organisations nationalistes blanches avec des structures et des cellules plus concrètes. 

En termes d'organisation au niveau communautaire, si nous voulons pousser la politique américaine vers la gauche, nous avons besoin d'une approche multiforme. Pour commencer, nous devons amplifier et soutenir les journalistes indépendants locaux qui font des reportages d'investigation. Au cours de l'année écoulée, ils ont eu besoin d'un gilet pare-balles, de meilleurs appareils photo, d'une caution et d’aides pour financer leurs enquêtes. Les titans des médias comme Gannett ne fournissent tout simplement pas une bonne couverture de ces événements. Avec de nombreux journalistes en première ligne cette année, notre équipe de recherche a acquis une image beaucoup plus nuancée des mouvements et activités des groupes d'extrême droite que celle que nous avions auparavant. 

Et cela aboutit à quelque chose d'autre qui est désespérément nécessaire en ce moment. L'élection d'un nouveau président ne signifie pas que l'extrême droite s'en va, nous devons donc construire une campagne soutenue contre le fascisme. Une diversité de tactiques est nécessaire pour pousser les États-Unis vers la gauche. Biden cherchera à appliquer une approche centriste au problème du fascisme raciste américain qui se concentre sur la rhétorique de la diversité, la politique de civilité et le premier amendement comme sanction du discours de haine.

Nous devons tenir Biden responsable en exigeant l'adoption de la loi sur les droits de vote de John Lewis, qui rétablirait et renforcerait les protections retirées au Voting Rights Act il y a trois ans. Ensemble, nous devons travailler pour mettre fin à l'immunité qualifiée qui a empêché tant de policiers violents de faire face à la justice dans le système judiciaire. Nous ne pouvons pas dépendre des politiciens qui entretiennent des relations avec les fascistes pour écraser le fascisme américain. La solidarité communautaire, le travail collectif et l'action directe nous permettront de traverser les quatre prochaines années. À ce sujet, Talia Lavin écrit: “Mettre un coup d’arrêt à la montée du fascisme est un travail qui ne doit pas être laissé aux seuls militants pour la justice, ou confié aux mécanismes punitifs de l'État, mais doit être l’affaire de toutes les personnes qui travaillent ensemble pour éradiquer la haine où qu'elle survienne.”

Article original paru dans Rampant Magazine
Traduction et édition L’Autre Quotidien