L'AUTRE QUOTIDIEN

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Dans le Brésil de Bolsonaro, 9 ministres sur 22 viennent de l’armée. Et un général d’active vient d’être nommé premier ministre

Le nouveau premier ministre brésilien

A une époque où il est de plus en plus difficile pour Bolsonaro de cacher les relations étroites de sa famille et son projet politique d’extrême droite avec d’anciens policiers qui font partie – et même dirigent – les milices de Rio de Janeiro, nous avons assisté à l’ascension d’un autre général au premier niveau de gouvernement, maintenant à la Maison civile [poste équivalent à celui de premier ministre], qui s’est confirmée par la nomination annoncée le jeudi 13 février sur Twitter par Bolsonaro du général Walter Souza Braga Netto. Sur les 22 ministres, il est le neuvième à avoir une origine directe dans le domaine militaire. Sans parler de ceux qui, à un moment de leur vie, ont déjà passé par les forces armées.

La mort le 9 février d’Adriano da Nóbrega, supposé chef d’une ancienne milice, dans une action conjointe de la police militaire de Bahia et de Rio de Janeiro, a fait apparaître une fois de plus les relations étroites de Flávio Bolsonaro, fils de l’actuel président, et de Jair Bolsonaro lui-même, avec ce criminel bien connu, sorte de chef d’une organisation de «tueurs à gages». De cette même milice, connue sous le nom de «bureau du crime», est également membre l’ancien policier et milicien connu Ronnie Lessa, qui est en prison pour avoir été responsable des coups de feu qui ont brutalement exécuté le 14 mars 2018 la conseillère Marielle Franco (PSOL de Rio) et son chauffeur Anderson Gomes.

La question a non seulement gagné en importance dans une partie de la grande presse, mais elle a également été abordée par la Chambre des représentants. Le député fédéral Marcelo Freixo (PSOL, Rio de Janeiro), qui a présidé la CPI (Commission parlementaire d’enquête) à l’Assemblée législative de Rio de Janeiro, a fait un discours fort à la tribune de la Chambre démontrant pleinement les relations de la famille Bolsonaro avec ce crime organisé infâme.

Le même jour, Glauber Braga, également député fédéral du PSOL (Rio), a interrogé avec véhémence Sérgio Moro, ministre de la Justice du gouvernement Bolsonaro, lors d’une audition publique, sur la véritable protection blindée qu’il a instaurée afin d’éviter d’enquêter sur les relations de la famille Bolsonaro avec les milices. La commission a terminé ses travaux après que des parlementaires liés au bolsonarisme, et des partisans du ministre, ont quitté une fois de plus la commission pour freiner Glauber Braga.

Pendant la journée, le changement possible au sein de l’important ministère de la Maison civile a également été mis en lumière. Sans annonce officielle, il semblait presque certain que l’actuel ministre Onyx Lorenzoni (Parti démocrate, Rio Grande do Sul), un ancien homme politique de la droite traditionnelle, sera remplacé par le général Braga Netto, l’actuel chef de l’état-major général de l’armée, deuxième dans la hiérarchie militaire.

Un général à la Maison civile?

Braga Netto a récemment dirigé l’intervention fédérale et militaire dans le domaine de la sécurité publique à Rio de Janeiro, sous le gouvernement illégitime de Michel Temer (Mouvement démocratique brésilien, São Paulo), lorsque les assassinats perpétrés par les agents de sécurité ont fait un bond en avant. Il avait déjà été chef de la sécurité lors des Jeux olympiques de 2016 et attaché militaire aux Etats-Unis. Connu comme un général «dur», il est présenté comme une figure qui viendrait «discipliner» les actions du gouvernement Bolsonaro.

Outre la sidération de voir un général occuper la Maison civile d’un gouvernement fédéral, ce qui ne s’est pas produit depuis les temps sombres de la dictature, lorsque le général Golbery do Couto e Silva occupait la même position [du 15 mars 1974 au 6 août 1981], si ce changement de ministres est confirmé – ce qui est le cas –, ce fait démontre une fois de plus le renforcement de la direction des forces armées, en particulier de l’armée de terre [dont le rôle est clé pour le contrôle de la frontière amazonienne], dans la composition du gouvernement actuel.

Sur les 22 ministres, il serait le neuvième à avoir une origine directe dans le domaine militaire. Sans parler de ceux qui, à un moment de leur vie, ont déjà passé par les forces armées. Avec la nomination de Braga Netto à la Maison civile, tous les ministres de la dite «cuisine gouvernementale», présents directement à l’intérieur du Palais du Panalto [bâtiment du pouvoir exécutif à Brasilia], auraient leur origine dans une force militaire quelconque, que ce soit l’armée, la marine ou une unité de la Police militaire [1].

Si nous examinons superficiellement les deux thèmes mentionnés (la question des milices et celle de la place des militaires dans l’exécutif), il peut sembler qu’ils n’ont pas de relation. Mais en y regardant de plus près, nous verrons la démonstration évidente que face à une crise interne du gouvernement ou à des difficultés face à des questions délicates travaillant l’opinion publique, Bolsonaro a toujours recours à son origine militaire et à son alliance avec la haute sphère des forces armées, en particulier avec l’armée de terre.

Le Brésil ne vit pas une normalité démocratique. Quel est le rôle de la gauche?

Le grand poids de l’élite des forces armées dans le gouvernement actuel, hégémonisé par un projet néofasciste d’extrême droite, ne doit pas être considéré comme une normalité. Notre pays a connu, il y a un peu plus de trois décennies, la fin d’une dictature militaire qui a marqué notre histoire récente de façon profondément négative.

Plusieurs des généraux et autres militaires qui composent actuellement le gouvernement s’identifient à la défense de l’héritage autoritaire et pervers des années de plomb de la dictature et aux pires crimes de cette période. A commencer par le président Jair Bolsonaro lui-même, qui est un adorateur explicite – au même titre que le vice-président général Hamilton Mourão – du tortionnaire et criminel colonel Brilhante Ustra [responsable du Système de renseignement interne et du Centre des opérations de défense interne, de 1970 à 1974; il a été reconnu en 2008 par un tribunal civil comme tortionnaire durant la dictature, ce qui était une nouveauté].

Face à ce fait, nous ne devrions pas accorder peu d’importance aux menaces constantes des représentants des gouvernements et des milieux universitaires d’utiliser une sorte de nouvelle «AI-5» [Acte constitutionnel n° 5 décrété par la dictature militaire durant le gouvernement d’Artur da Costo e Silva le 13 décembre 1968, qui ouvre une période très dure de la dictature et qui est considéré comme «un coup au sein du coup» d’Etat de 1964] pour réprimer violemment d’éventuelles protestations populaires. Récemment dans plusieurs pays d’Amérique latine, nous avons vu ce processus lorsque sont remises en question l’application des programmes économiques néolibéraux et les attaques constantes contre les libertés démocratiques.

Les grandes entreprises et les banques, ainsi que leurs représentants politiques de l’ancienne droite, peuvent même se plaindre des exagérations autoritaires de Bolsonaro et de sa classe, mais ils soutiennent fondamentalement ce gouvernement néofasciste, en particulier pour le programme ultra-néolibéral d’attaque aux droits sociaux, de privatisations et de dénationalisation de l’économie. Un grand symbole de ce fait est le soutien enthousiaste que la FIESP (Fédération des industries de l’Etat de São Paulo) a apporté au Bolsonaro.

De la même manière, la Justice a démontré son rôle réactionnaire, en s’attaquant systématiquement aux mobilisations et aux grèves qui ont eu lieu, comme nous le voyons dans la criminalisation brutale de la grève héroïque des pétroliers [qui dure depuis 14 jours et subit des menaces de criminalisation], menée par les ministres du TST (Tribunal supérieur du travail) et du STF (Tribunal suprême fédéral).

Il appartient donc sur le fond aux travailleurs et travailleuses, aux exploité·e·s et des opprimé·e·s, de défendre non seulement les droits sociaux mais aussi les libertés démocratiques minimales.

Les secteurs de la gauche qui parient sur une nouvelle alliance politique avec le prétendu «centre politique», pour établir un front progressiste très large, se trompent, répétant de la sorte l’orientation réchauffée de conciliation de classe qui ne fait que préparer de nouvelles défaites.

La lutte s’impose maintenant. C’est une grave erreur d’attendre simplement les élections de cette année [municipales en octobre] et de 2022 [présidentielle] pour renforcer l’opposition à Bolsonaro et à ses alliés. Malgré toutes les difficultés, il n’y a pas de raccourcis: la solution est de miser sur l’organisation et la mobilisation de la majorité de la population.

En plus de soutenir les grèves et les mobilisations, Lula, le PT, la CUT et d’autres syndicats et mouvements sociaux devraient convoquer une réunion nationale de la classe ouvrière, des jeunes et des opprimés, pour armer et renforcer les luttes de résistance contre le gouvernement néofasciste: pour vaincre le gouvernement Bolsonaro dans la rue. (Article publié sur le site Esquerda Online, en date du 13 février 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

André Freire, historien et membre de la Coordination nationale du courant Resistência/PSOL

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[1] Il faut y ajouter la nomination le 14 février de l’amiral Flavio Viana Rocha au poste de Secrétaire des Affaires Stratégiques, attaché au chef de l’Etat pour les «questions internationales». En outre, selon la Folha de São Paulo, des militaires ont été placés à des postes de direction: à la Présidence du Conseil d’administration de Petrobras ou encore à la gestion du barrage stratégique d’Itaipu. Au sein même du bâtiment (Planalto) de l’exécutif opèrent: à la Sécurité Institutionnelle le général de réserve Augusto Heleno; au Secrétariat général de la Présidence le capitaine à la retraite de la Police militaire Jorge Antonio de Oliveira; au Secrétariat du Gouvernement, le général d’active Luiz Eduardo Ramos. (Réd. A l’Encontre)