L'AUTRE QUOTIDIEN

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Maroc : Hajar Raissouni et les lois médiévales

Hajar Raissouni, une journaliste marocaine de 28 ans, a été interpellée fin août pour “avortement illégal” et “débauche”. Elle risque jusqu’à deux ans de prison ferme. Pour le dire en un mot comme en cent, seul un État arriéré peut mettre des adultes en prison pour des accusations d'amour ou de relations sexuelles. En un mot comme en cent, il importe peu que Hajar Raissouni ait avorté ou non... Ce qui importe aujourd'hui, c'est qu'elle soit sur le banc des accusés à cause d'une accusation dont nous devrions avoir honte qu’elle existe dans notre arsenal juridique.

Manifestation devant le tribunal de Rabat pour réclamer la libération de Hajar Raissouni. PHOTO / Youssef Boudlal / REUTERS.

En un mot comme en cent, nous ne pouvons pas vivre dans un état qui intervient légalement dans le corps des citoyens adultes et dans leur vie intime. Tant qu'il ne s'agit pas d'une agression contre les droits d'autrui (exploitation sexuelle, abus sexuel de mineurs ou d'adultes, etc.), il est absurde que des individus soient punis pour une relation amoureuse ou simplement pour une relation sexuelle de passage.

Le Code pénal marocain interdit l'avortement. Oui, c'est exact. Et pour cet avortement présumé, Hajar, le médecin et ses assistants ont peut-être enfreint la loi. Oui, c'est exact. Mais ce qui importe dans tout cela, c'est que cette même loi qu’un résidu d'un ordre hérité du Moyen-Âge. Il est inconcevable que l’on nous juge aujourd'hui avec cet arsenal juridique primitif.

Tout simplement : l'avortement est un droit qui devrait être celui toutes les femmes. Toute femme a le droit de décider quand elle peut être mère. Le législateur ne peut pas prescrire à des milliers de femmes quand le moment est venu de devenir mères.

Les chiffres sur l'avortement clandestin aujourd'hui montrent une fois de plus que nos lois sont à des années-lumière de la réalité et du développement de la société : au Maroc aujourd'hui, entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour. Ce sont des chiffres de l'Association marocaine contre l'avortement clandestin.

Les lois interdisant les relations sexuelles consensuelles entre adultes et celles interdisant l'avortement doivent tout simplement être éliminées de notre code pénal, au nom des libertés individuelles. Au nom du respect du choix personnel de chaque personne adulte, tant dans ses convictions religieuses que dans sa vie amoureuse et sexuelle, dans tous les choix de sa vie quotidienne.

Il est donc inacceptable que Hajar Raissouni ait à exhiber un certificat de non-avortement pour démontrer sa moralité. Qu'elle ait avorté ou non, c'est son droit, c'est sa vie privée, et nous n'avons pas le droit de nous y immiscer. Ni Hajar Raissouni ni personne d'autre ne devrait avoir besoin de fabriquer des justifications, parfois puériles, au lieu de défendre un droit qui devrait être reconnu par la loi : le droit de disposer de son corps à sa manière personnelle.

Combien de temps allons-nous imposer la vertu par la loi, cette vertu que nous ne réduisons qu'au sexe ? Combien de temps allons-nous imposer la dévotion par la loi, cette dévotion que nous ne réduisons qu'aux apparences :  le hijab, la barbe et le jeûne (ou la faim ?) obligatoire ?

Malheureusement, l'obsession sexuelle qui domine l'esprit de tant de gens réduit les libertés individuelles au sexe et les lie à la prostitution. Mais si les sociétés avancées ont progressé, c’est via le respect du droit à la divergence.  Si le prophète Mohamed lui-même n'avait pas défendu son droit d'être en désaccord avec les normes de la société, il n'y aurait pas aujourd'hui de religion appelée Islam.

Les sociétés qui se développent le font toujours par respect pour ceux qui veulent innover et être différents. Les sociétés qui se développent ne jugent pas les autres parce qu'ils tombent amoureux ou qu'ils ont des rapports sexuels.

Il y a beaucoup de criminels dans la société dont la police devrait s'occuper.... Laissons le lit des autres en paix. Laissez les femmes s'occuper de leurs utérus en privé.

Il convient de mentionner ici un aspect fondamental : de nombreux mouvements conservateurs attaquent agressivement les libertés individuelles et ne les invoquent que lorsqu'un de leurs membres est victime de persécutions. De nombreux mouvements conservateurs ont attaqué et continuent d'attaquer les défenseurs du droit à l'avortement et le lient à la décadence et à la prostitution. De nombreux mouvements conservateurs et/ou islamistes ont décrit l'appel aux libertés individuelles comme un appel à la prostitution.

Non. Les libertés individuelles ne sont pas la dégénérescence, la mécréance ou la dépravation. Elles ne sont qu'une invitation à construire une société qui ne soit pas hypocrite et dans laquelle les individus assument la responsabilité de leurs actes et de leurs choix. Une société dans laquelle ils ne seraient pas obligés de produire des certificats absurdes pour justifier une décision ou un acte auquel ils devraient avoir droit en tant qu'adultes. L'amour et le sexe, la foi et le manque de foi sont les droits de tout adulte. Et nous ne devrions pas avoir besoin de les justifier par un mariage avec une lecture du Coran ou autre, avec une maladie ou autre...

Quand certains courants conservateurs réaliseront-ils la valeur des libertés individuelles, et qu’avec elles on protège la vraie foi, justement parce qu’on ne force pas à l'hypocrisie, tout comme on protège le droit de ne pas avoir de foi (quel sens a une foi apparente, si c'est le seul moyen pour un citoyen d'éviter la pression sociale et légale ?) Quand les courants islamistes et conservateurs comprendront-ils que ce sont précisément les libertés individuelles qui les protégeront de l'exploitation de leurs vies privées pour nuire à leurs positions idéologiques ? Ce jour-là, tout le monde participera à la construction d'une société mature qui ne met pas les autres en prison sous des accusations d'amour ou de plaisir.

Sanaa El Aji سناء العاجي
Traduit par Fausto Giudice


Merci à Tlaxcala
Source: https://bit.ly/2lYpCSs