Le charme de Poutine n'exerce plus comme avant : Serebrennikov, Navalny et... Timati. Une chronique d’André Markowicz
Il continue de se passer des choses en Russie. Et donc, la première, c’est que le contrôle judiciaire de Kirill Serebrennikov a été levé — en tout cas, il a été établi que, loin d’avoir volé l’Etat et créé un « groupe de malfaiteurs » pour détourner des fonds publics, il a économisé de l’argent dudit Etat. Voici quelques jours, il a, de nouveau, reçu le droit de voyager. Ça ne veut pas dire du tout qu’il est sorti d’affaire, ni lui, ni ses amis. Ça veut dire que les choses bougent, et cette affaire, honteuse, aberrante, poursuit la série des échecs calamiteux de l’appareil poutinien dont nous sommes témoins depuis quelque temps.
Il s’est trouvé que cette permission est tombée en même temps que la remise, à Moscou, des prix annuels des « hommes de l’année 2019, de la revue GQ (je découvre, je dois le dire, qu’il existe une revue, dans le monde entier, qui s’appelle GQ, et qui est une revue pour les hommes, genre glamour ou je ne sais pas trop quoi. Bon, vous aurez compris que je n’en suis pas un lecteur régulier). Et donc, le metteur en scène de l’année a été Kirill, et Kirill, en recevant le prix, a dit qu’il ne se voyait pas l’homme de l’année, mais que, les hommes de l’année, c’étaient les gens qui avaient milité, qui avaient manifesté, qui étaient arrêtés. Et d’autres « hommes de l’année » célèbres, comme Youri Doud, dont la chaîne d’interviews sur Youtube est regardée par des millions de personnes, ou le critique Anton Doline, ont repris ce qu’il disait. Et le glacis se fendille. La parole se libère, — peu à peu, mais, c’est un fait.
En même temps, la répression contre Navalny se renforce, — et d’une façon sans précédente. Le même jour, près de 200 perquisitions ont été lancées à travers toute la Russie contre les bureaux des organisations du FBK. Des perquisitions très violentes : tout le matériel est saisi, même les téléphones portables privés des gens présents. Les comptes bancaires sont gelés — même les comptes des gens de la famille (et on ne compte plus les cas de personnes privées de tout moyen de subsistance pour la raison qu’elles ont un fils ou un cousin qui a milité avec Navalny, voire qui est soupçonné d’avoir pu le faire). Dans un cas, à Vladivostoks, les policiers ont fait irruption dans un bureau, et sont tombés sur une jeune femme. Elle a été obligée de se déshabiller complètement, devant tous les hommes, parce qu’elle était soupçonnée d’avoir caché des documents dans son soutien-gorge. — Nous en sommes là. A travers toute la Russie, il y a sans doute eu plus de 1000 agents de la police, de la Garde nationale ou du FSB qui ont été mobilisés. On n’avait jamais vu ça. — Et ce n’est pas fini.
Parce que, l’évenement essentiel, — je le dis comme je le pense —, ce n’était pas celui-là.
Il y a un rappeur en Russie, que j’ai découvert pour l’occasion, un gars dont le nom de scène est Timati. C’est un rappeur qui est écouté par des millions de jeunes, visiblement. Je regarde sa fiche wikipedia (vous savez ce que je pense de wikipédia... je vois qu’il est aussi célèbre pour quelques affaires de plagiat, comme quoi, chez les rappeurs aussi, il y a des plagiaires). Bon, mais il est surtout un soutien constant de Poutine. Il a fait sa campagne en 2012, et, là, il a publié sur Youtube une chanson à la gloire de Poutine, et contre les manifestations. Cette chanson, je ne l’ai pas entendue. Et pour cause. En deux jours, sur sa chaîne Youtube, le nommé Timati s’est pris 1.400.000 « dislikes ». Et, au troisième jour, la chanson était effacée... Personne, visiblement, n’a encore jamais vu ça en Russie.
Ça dit que le régime ne tient plus, réellement, que par la répression et par la fraude. Il a, réellement, perdu toute assise populaire.
André Markowicz; le 9 septembre 2019