L'AUTRE QUOTIDIEN

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Teleia., Colombie luttes étudiantes. Une journée dans la vie de ceux qui résistent à la machine

L’Autre Quotidien vous fait suivre désormais l’actualité des luttes sociales dans le monde en collaboration avec Teleia., créé en juin 2019. Teleia c'est le point en grec ! Une page militante qui refuse la pensée formatée pour combattre sans faille les injustices, les discriminations raciales, sexistes, sociales... Parce que c'est par les connexions individuelles et collectives que nous avancerons vers ce monde que nous rêvons !


Colombie : une lutte pour l’éducation publique et contre la répression policière.

Les étudiants colombiens ont manifesté vendredi dernier pour revendiquer le respect des engagements dus de la part du gouvernement depuis les accords passés en décembre 2018, pour lutter contre la corruption au sein de l'enseignement public mais aussi pour exiger la dissolution immédiate de l'ESMAD (Escadron Mobile Anti Emeute).

En novembre et décembre 2018, les étudiants colombiens se mobilisent en force pour demander une augmentation du financement de l'éducation publique. Une lutte contre la précarisation croissante des étudiants et le manque de moyen des universités.

"Le gouvernement de Juan Manuel Santos a lancé un programme appelé « ser pilo paga » destiné à doter de bourses quelque 40 000 jeunes, qui en raison de leurs excellents résultats académiques, pourraient entrer à l’université et dont les droits d’inscription seraient payés par l’État. La plupart ont choisi les universités privées. Le programme coûte presque 800 milliards de pesos par an. L’État va ainsi financer l’éducation et les inscriptions coûteuses aux universités privées et réduire le financement des universités publiques qui, avec de telles ressources, pourraient augmenter de manière significative le nombre de places pour des jeunes gens provenant essentiellement des secteurs populaires”

Les manifestations sont massives, le 10 octobre 2018, 800 000 étudiants sont dans les rues. A partir du 10 Novembre 2018, l'UNEES (Union Nationale des Etudiants de l'Education Supérieure) qui regroupe 32 universités publiques de Colombie appelle à la grève illimitée. Ces mobilisations amènent à la conclusion d'un accord avec le gouvernement avec un plan de financement. Le budget alloué à l'enseignement supérieur public sera augmenté de plus de 4,5 milliard de pesos colombiens dont 1,34 milliard déstinés à la base des instutions publiques.

Dix mois plus tard, plusieurs points de l'accord passé avec le gouvernement n'ont pas été honorés, notamment celui du budget additionnel promis au département des Sciences, Technologies et Innovation : Colciencias. Le budget n'aurait jamais commencé à être versé. "Une des mauvaises nouvelles c'est que le Gouvernement persiste à ne pas respecter une partie des accords qui concerne le financement de la science et la technologie (...) Cela représente 300 milliards de COP par an, soit un total de 1,2 milliard de COP pour les quatre prochaines années, et il est donc très important que nous lui demandons de respecter la totalité des accords signés" Jennifer Pedraza, leader étudiante

En parallèle, mi août, Wilman Munoz, Directeur de l'Institut d'Extension de l'Université Distrital (Idexud) de Bogota est mis en examen pour des faits de corruption. Il est accusé d'avoir détourné, entre 2012 et 2019, pour son bénéfice personnel ou celui de ses proches plus de 10 milliards de COP de ressources publiques destinées au fonctionnement de l'université. Fin septembre, Wilman Munoz accuse, lors d'une audition libre au barreau du procureur, le recteur de l'Université de Bogota Ricardo Garcia d'être une des têtes pensantes de la manigance, puisqu'une partie de l'argent détourné aurait servi à payer des pots de vin et des activités afin de garantir sa place de recteur. *

Face à une université manquant de moyens, face à des étudiants luttant pour leurs droits et leurs conditions, des dirigeants détournent l'argent public pour mener une vie de luxe et d'opulence. La colère monte et les étudiants occupent l'université Distrital de Bogota pendant trois jours, et différentes manifestations ont lieu le 23, 25 et 26 septembre 2019.**

Chaque mobilisation sociale est violemment réprimée par l'ESMAD (Escadron Mobile Anti Emeute). Cet escadron qui blesse, mutile et tue. Cet escadron de la mort...

L'ESMAD fut créé le 24 février 1999, tout d'abord de manière transitoire, dans un plan de modernisation de la Police nationale. Au départ, il était composé de neuf officiers, huit sous-officiers et 200 patrouilleurs, sa mission était de «soutenir les départements et les polices métropolitaines dans le maniement et le contrôle de foules et de spectacles publics". Le 14 avril de la même année, le Directeur général de la police formalise l’escadron mobile antiémeute de manière constante. Il devient dès lors l'organe du maintien de l'ordre. Malgré les plaintes des organismes de défense des droits de l'Homme, les grèves, et les manifestations, l'ESMAD continue d'exister et de renforcer ses effectifs pour atteindre, aujourd'hui, un total de 3580 policiers. Un effectif multiplié par 16 en vingt ans d'existence.

Depuis sa création, L'ESMAD a tué 18 personnes à Bogota dont onze étudiants et une personne mineure. Ils ont soit été roués de coup jusqu’à ce que mort s'en suive ou victimes des armes de la police (bombes lacrymogènes, balles/billes utilisées dans le maintien de l'ordre, armes non conventionnelles). Des exactions ont également été commises dans les zones rurales du pays. La grève agricole de 2013 est l'exemple des attaques incessantes de l'ESMAD qui ont donné lieu à 660 cas de violations des droits de l’homme individuels et collectifs, 262 arrestations arbitraires, 485 blessés, 21 blessés par balle, 52 cas de harcèlement et de menaces. ***

"Le maintien de l'ordre" appliqué aux étudiants et aux mobilisations sociales en général est excessivement violent. Lors des révoltes étudiantes de 2018, un étudiant nous indique, qu'à sa connaissance, il y en a eu plus d'une centaine de blessés, et plusieurs personnes ont été mutilées. Les personnes sont le plus souvent éborgnées par des tirs tendus de lacrymogènes dans le visage à moins de 30 mètres de distance. Il relate également un usage abusif des grenades assourdissantes qui provoquent blessures graves et mutilations.

Le 2 octobre 2019, des étudiants d'université publiques et privés ont déposé conjointement plainte contre l'ESMAD pour des exactions commises lors des manifestations du 23, 25 et 26 septembre 2019 contre la corruption. Ils dénoncent un usage de la force disproportionnée (usage de gaz lacrymogène en milieu fermé), l'utilisation d'armes non conventionnelles (piles, vis, billes, liquide explosif) et des attaques contre les secouristes (attaque d'une ambulance par l'ESMAD). Il est question dans un des témoignages de "scènes d'horreur".

"Nous demandons la dissolution immédiate de l'ESMAD. Une dissolution de l'organe qui réprime la mobilisation sociale et qui provoque des blessés. Il n'y a pas une mobilisation sans que cette escadron fasse irruption, perturbe et abolisse l'expression populaire de nos revendications.", Ivan Buitrago porte parole national de la UNEES ( Union Nationale des Etudiants de l'Education Supérieure).

L'UNEES suite aux mobilisations du 10 octobre 2019 au sein de l'éducation publique décompte plus de 50 étudiants blessés et 89 arrêtés. Elle dénonce des attaques policières sur plus de 15 instituts de l'éducation publiques, des blessures graves pouvant entrainer la perte d’un oeil, des arrestations préventives, des observateurs des droits de l'Homme violentés lors de l'exercice de leurs fonction, un usage de la force disproportionnée.

Il est inutile de préciser que, tout comme en France, la police bénéficie d'une impunité totale en Colombie. La dissolution de l'ESMAD paraît une nécessité ,c'est un combat étudiant qui continue, d'autres manifestations seront prévues dans les semaines à venir pour “ACABar con el ESMAD”.

L'ESMAD justifie sa violence par la présence d'encapuchado (personne portant une capuche) au sein des cortèges, version largement relayé par les médias colombiens. Chaque pays semble avoir "son casseur" afin de justifier la violence d'Etat.

L'analyse de la situation colombienne nous démontre une similitude dans la violence étatique face à des contestations sociales. Afin de faire taire les voix et de protéger le pouvoir, la police a toujours été et restera l’outil répressif du gouvernement. On constate une violence extrême contre des personnes non armés, l'utilisation d'armes de guerre qui blessent, mutilent et tuent, une justification de la violence policière par une "menace" endogène violente (casseur, encupachado). On pourrait presque parler d'internationalisation des techniques de maintien de l'ordre. On constate également, même si nous n'avions pas de doutes, que la police tue internationalement en toute impunité.

Nous sommes solidaires avec les étudiants colombiens dans leur lutte pour une éducation publique de qualité et dans leur combat contre la répression étatique personnifiée par l'ESMAD.

Nous n'oublions pas que militer en Colombie et s'engager contre le pouvoir en place peut couter la vie. Depuis 2016, plus de 700 militants et défenseurs des droit de l'Homme ont été assassinés. Nous tenions à leur rendre hommage.

Soraya pour Teleia.

*https://www.google.fr/amp/s/amp.elespectador.com/noticias/bogota/que-es-lo-que-esta- pasando-en-la-universidad-distrital-articulo-882957, https://www.elespectador.com/noticias/bogota/que-es-lo-que-esta-pasando-en-la-universidad-distrital-articulo-882957

** https://www.eltiempo.com/vida/educacion/razones-de-los-desmanes-en-la-distrital-y-la-javeriana-416248, https://www.eltiempo.com/vida/educacion/protestas-hoy-en-la-universidad-distrital-416286

*** http://www.resumenlatinoamericano.org/2016/06/04/colombia-por-que-es-necesario-desmontar-el-esmad/, https://pares.com.co/2018/11/17/esmad-y-uso-de-la-fuerza/, https://elturbion.com/1578

Crédit photo : Andy Kaoz Ph


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