Des gens si tranquilles... les racines de l'extrême-droite flamande
La gauche française se tire dans le pied (à notre avis) avec sa formule : “Fâchés, mais pas fachos”, qui est sans doute facile à retenir, mais joue tellement en défense qu’il entérine l’idée que le mouvement naturel des pauvres en colère serait de se tourner vers l’extrême-droite, et qu’il faut donc les rappeler à la raison. Or il suffit de voir la composition sociale des cadres du Rassemblement National ou d’étudier son histoire pour constater qu’il n’a rien d’un mouvement de laissés pour compte. L’extrême droite grandit très bien sur un tout autre terreau que celui de la misère. Il suffit de voir les cas de la Lombardie, cette riche Italie du nord où est née la Ligue de Salvini, ou de la prospère Flandre belge, terre natale du très radicalement d’extrême-droite Vlaams Belang, pour le comprendre.
L’Autre Quotidien
30 minutes. C’est le temps qu’il faut pour aller de Bruxelles à Opwijk, la commune de naissance de Dries VAN LANGENHOVE, le jeune élu du parti flamand d’extrême-droite Vlaams Belang. C’est là qu’il vit avec sa mère. Un train par ½ h, 4 € le billet, Direction Termonde. Après Jette, Zellik, Asse, Merchtem, descendre à Opwijk, une commune si tranquille du Brabant flamand. Opwijk, c’est 4 villages, 14.356 habitants et la moitié des foyers d’extrême-droite. A 30 minutes de Bruxelles, on vote NV-A à 31%, Vlaams Belang à 20%, VLD à 16, CD&V à 12, les trois partis de gauche se partagent les 15% restants… Champions des voix de préférence à Opwijk ? Francken et Van Langenhove, 1 électeur sur 2 a voté pour l’un ou l’autre. Dans le Brabant Flamand, Van Langenhove a fait en tout 40.000 votes. Un carton. Le fondateur-vedette de Schield en Vriend (une milice d’extrême droite, voir article) a 10.000 électeurs de plus que les Reynders, Laaouej, Khattabi... Qu’est-ce qui se passe à Opwijk et dans le Brabant flamand ? Pourquoi cette région est-elle fasciste ?
La peur du lendemain ? Le présent est pourtant si confortable. Le revenu moyen par déclaration à Opwijk est de 60 649 € (comme Beersel, Grimbergen, Overijse, …) deux fois plus qu’à Molenbeek. Le revenu moyen par habitant d’Opwijk est de 21.000 €, un bon 3000 € au-dessus de la moyenne belge, un bon 2000 € au-dessus de la moyenne flamande et trois fois plus que Saint Josse ou Farciennes. Le CPAS d’Opwijk ne gère que quelques dizaines de RIS (revenus d’insertion, 90 pour être précis, source stat.mi-is.be/fr/dashboard/ris) … On est bien en dessous de la médiane belge, c’est le même taux que Dilbeek, Sint Peters-Leeuw, Tervueren, les communes de la ceinture friquée de Bruxelles. Le taux de chômage à Opwijk est en dessous des 3 %. Il y a 74 offres d’emploi vacantes recensées dans la commune par le VDAB. 74 ! Il est idiot ce Van Langenhove, il veut renvoyer les femmes aux foyers et les migrants en enfer alors que le Werkwinkel du VDAB (Gasthuisstraat, n°15, ouvert mardi toute la journée et chaque matin du mercredi au samedi) ne trouve pas de candidats pour 74 emplois dans sa petite commune. Mais bref, économiquement, le présent est donc rassurant à Opwijk. De quoi est-ce qu’ils ont peur alors ? En toute logique, ils devraient être inquiets à propos du climat et de l’écologie et voter massivement Groen (Verts)…
Eh oui : 70% des terres d’Opwijk sont agricoles … Ce n’est plus de l’eau qui coule dans les rigoles du village mais directement du glyphosate. Dans ces communes du Pajottenland, les fortes pluies entraînent systématiquement des inondations. Rues, caves, maisons inondées ; à chaque orage on sort les sacs de sable et les pompiers font des centaines de sorties. Les zonings, la densité bâtie, l’absence de forêts ont rendu la terre imperméable. C’est le problème majeur de ce coin de terre. Je me demande si Dries Van Langenhove y pense parfois. Je me demande s’il se promène dans le Kravaalbos, le seul vrai bois de son village, dans le hameau de Mazenzele. C’est une relique de l’immense Forêt charbonnière (la Silva Carbonaria) qui couvrait le centre de la Belgique avant l’Anthropocène … Pas une forêt de hêtres comme celle de Soignes où les classes supérieures se promènent en se croyant dans la nature, non , une vraie forêt, dense, sauvage, avec des chênes, des bouleaux, des aulnes. Dès le 13e siècle, la déforestation pour une exploitation agricole intensive a détruit cette forêt immense dont il ne reste que quelques bois (comme le bois de Hal, celui de Grand-Leez, celui d’Opwijk).
Est-ce que Dries Van Langhoven pense à l’enchaînement des faits qui a mené son village au point de rupture climatique et écologique ? Probablement pas. A quoi il pense alors ? Dans l’hypothèse où il a cette minable sous-culture de mytho à la Bart De Wever, il pense à la frontière linguistique. Parce qu’on a longtemps cru que la forêt Charbonnière mentionnée dans loi salique (IVe siècle), avait fait la frontière entre Francs saliens et les Gallo-romains et donc … la frontière linguistique. C’est ce que nos gloires historiennes nationales pensaient (Godefroid Kurth, Henri Pirenne, Léon Vanderkindere). C’est inexact, la toponymie le prouve, mais qu’importe. Ce mytho de Van Langenhove aime tellement les frontières. C’est bizarre cette obsession des frontières pour un descendant de migrant (mais oui, les ancêtres germains de nos compatriotes flamands étaient des migrants). Mais je ne crois pas que Van Langenhove se promène dans les bois antiques. Je crois plutôt qu’il va à Asse, à 20 minutes de bicyclette de son village, sur la tombe de Jérémie Gustave Théophile dit Staf Declercq (1884-1942), le fondateur du nationalisme flamand politique, antisémite, xénophobe, collabo, pro-nazi, fondateur du VNV, l’ancêtre du Vlaams Belang et de la NV-A. Eh oui … le nationalisme flamand d’extrême-droite est né dans ce Brabant flamand si tranquille…
Ce crétin de Van Langenhove s’enracine dans une tradition des années 1930, née dans les campagnes prospères, loin des villes tentaculaires … C’est là que le racisme et la haine sont (re)devenus la norme. Pourquoi ? Je crois qu’il n’y a pas de réponse à moins de se demander pourquoi les épineux poussent dans le désert... Aujourd’hui Van Langenhove va prêter serment. Je me fous totalement de lui, c’est un histrion inculte. La vraie question n’est pas de mettre un triangle rouge et de se draper dans sa dignité outrée. La vraie question est comment déraciner la haine de la moitié des habitants de Flandre ? Le mouvement flamand comme tout nationalisme ou communautarisme, est devenu profondément inculte. L’extrême droite flamande ne sort pas du peuple. Elle renaît dans une classe moyenne aisée et décérébrée. Le racisme pousse dans les têtes vides où traînent quelques mythes minables. Va falloir y planter des forêts.
Jean-Paul Mahoux, le 19 juin 2019
Notes :
* Pour en savoir plus sur Dries Van Langenhove, lire l’entretien qu’il avait accordé au journal belge Moustique.
** Pour en savoir plus sur le Vlaams Belang et l’extrême-droite flamande : Vlaams Belang, l'ascension d'un parti d'extrême droite, un documentaire de Frédéric Boisset