Le bien public est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas : protégeons-le en refusant la privatisation d’ADP
La possibilité que se tienne un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris effraie tellement le gouvernement qu’il avait demandé au Conseil constitutionnel dans une procédure express (déclenchée le 13 mai, soit le jour même de la validation du référendum par le Conseil constitutionnel !) de considérer que le RIP n’aurait plus lieu d’être dès lors qu’il validait la loi Pacte autorisant la privatisation. Adieu le référendum, donc ! Le gouvernement jugeait qu'il créait une "situation dangereuse pour la conduite de l'action publique". C’est dire à quel point l’idée que les citoyens puissent avoir le dernier mot sur des décisions du gouvernement concernant le bien public embarrasse considérablement l’équipe au pouvoir. Tout s’est passé tellement vite, l’espace de trois jours, que peu de citoyens ont pu mesurer le coup de force qu’a tenté le gouvernement : faire annuler par le Conseil constitutionnel le référendum qu’il venait d’autoriser sous prétexte que, n’ayant pas jugé la loi en elle-même contraire à la constitution, il n’y avait donc plus lieu de la soumettre à l’approbation des français. Nous avons appris tout cela le jour de notre entretien avec le sénateur communiste Fabien Gay à propos de cette privatisation, le 15 mai, dans les locaux du Sénat. Autorisé et mis en route le 13 mai, le référendum ne l’était déjà plus le 15, à l’heure de notre interview, suite à ce recours de dernière minute du gouvernement, et tout dépendait désormais de la décision que prendrait le Conseil, le 16 mai. Nous ne sommes pas passés loin d’un énorme scandale : le vol pur et simple d’un référendum aux citoyens. Raison de plus d’ajouter son nom à celui des quatre millions sept cent mille électeurs (quand même) nécessaires pour obtenir que ce référendum qui déplaît tant au gouvernement se' tienne. Parce que, bonne nouvelle, le Conseil constitutionnel a fait connaître sa décision : il a tenu tête au gouvernement et ne s’est pas rendu aux raisons qu’il invoquait (“ingouvernabilité du pays” etc) pour rejeter le recours au vote des citoyens. Le référendum est donc toujours sur la table. A nous de nous en emparer pour dire que nous refusons la privatisation des biens publics. C’était le sujet de cet entretien, avec la question de la création à grands frais d’une ligne express semi-privée vers l’aéroport de Roissy pour les JO de 2024, au détriment de travaux indispensables à accomplir sur la ligne B surchargée du RER, un projet qui a d’ailleurs déjà du plomb dans l’aile, faute de fonds et de soutien de la région.
L’Autre Quotidien
Entretien avec Fabien Gay, Sénateur Communiste
Sénat, Paris 15 mai 2019
L'Autre Quotidien:
Fabien Gay, pouvez vous nous parler des raisons de votre engagement sur le sujet de la privatisation en général, et les répercussions sur le quotidien des usagers des services publics?
Fabien Gay:
Le préjudice de la politique de privatisation, de manière générale, est énorme, car nous avons bâti, au fil des temps, un patrimoine inestimable avec le bien commun (ports, aéroports, barrages hydroélectriques... etc) et ce sont des entreprises publiques qui les font fonctionner. Tout ceci n'est pas chiffrable, car, en réalité, comment peut-on évaluer ce que vaut notre patrimoine commun?
Qui peut dire combien vaut la Tour Eiffel par exemple? absolument personne, pas même Eiffel lui-même s'il vivait encore...
Le bien public est tout simplement le patrimoine de ceux qui n'en ont pas, et nous devrions plutôt travailler à rendre ce patrimoine totalement invendable.
Une autoroute, un aéroport, rapportent de l'argent, mais cet argent devrait revenir au bien commun, et être mis au service du peuple.
La perte subie lorsqu'on vend un bien commun, est donc inestimable pour la communauté.
La privatisation est le résultat d'une suite de politiques libérales depuis plus de 15 ans alors même que l'enjeu de sauvegarder l'humain et la planète est totalement antagonique avec ces privatisations qui visent a rendre des dividendes accessibles à une poignée d'actionnaires, au détriment de la communauté.
L'Autre Quotidien:
Parlons de la privatisation des Aéroports de Paris, prévue par la loi PACTE, et des exemples déjà connus. Pouvez vous rappeler quelles ont été les conséquences de la privatisation déjà actée, des autoroutes, puis de l'aéroport de Toulouse?
Fabien Gay:
Si on parle des autoroutes par exemple, nous savons que tous les investissements réalisés entre autres par Vinci ont déjà été amortis depuis longtemps.
Des concessions ont été données sur 30 a 40 ans, mais en réalité, en 8 années, tout a été amorti et les actionnaires ont récupéré 27 milliards d'euros de dividendes...
Pour les aéroports l'exemple de Toulouse Blagnac est significatif.
C'est l'entrée d'investisseurs étrangers "foireux" qui ont vidé les caisses, n'ont réalisé aucun investissement, ont encaissé des dividendes, et ont décidé de revendre.
Le pire des scénarios au final, avec une bataille légale désormais, pour que l'Etat puisse reprendre, avec un coût financier qui bien entendu sera à charge du contribuable.
Somme toute, quand on passe du public au privé, on bascule dans la logique de la rentabilité, du profit et du marché financier hasardeux.
L'Autre Quotidien:
Y a t il des règles sur la durée des concessions au privé que peut accorder l’état ?
Fabien Gay:
Non, c'est uniquement le cahier des charges qui en décide cas par cas... ça peut durer le temps qui sera déterminé par ce cahier, c’est donc extensible à l'infini (30 a 40 ans pour les autoroutes, 99 ans pour le tunnel sous la Manche etc etc)
L'Autre Quotidien:
Qu'est ce qui peut bien motiver l'Etat à céder ses parts ADP alors même que les recettes sont substantielles et en progression constante?
Fabien Gay:
La construction du terminal 4 à Roissy représenterait 30 a 40 millions de passagers supplémentaires... C'est tout dire.
La seule volonté en réalité est financière, le reste est de "l'habillement." Beaucoup de baratin de la part du gouvernement, Bruno Le Maire, Ministre de l'Economie et des Finances, prétendant qu'il s'agit de désendetter l'Etat, alors qu'il faudra dédommager de 1 a 2 milliards Vinci, qui est actuellement actionnaire minoritaire, et possède actuellement une action à vie mais qui passerait, avec une potentielle privatisation, à 70 ans.
Alors même que Vinci est susceptible de pouvoir ensuite racheter ADP, c’est bel et bien un double bénéfice pour l'entreprise... Magique!
N'oublions pas que le dette de la France s'élève à 2300 milliards et que 6 milliards seraient récupérés par cette vente, c’est donc une goutte d'eau en réalité.
L'Autre Quotidien:
Y a t il des conséquences prévisibles de la privatisation d'ADP sur l'environnement?
Fabien Gay:
Il y a certes un enjeu économique énorme pour les entreprises privées qui reprendraient ADP, mais en termes d'environnement ne l'oublions pas, les conséquences seraient graves, car certainement pas prises en compte par les actionnaires qui ne verront que leur intérêts économiques, pour augmenter le niveau de profit et de dividendes, et n'investiront pas sur cet aspect environnemental.
La construction d'un terminal 4, le projet Europacity et la construction de la ligne ferrée CDG-EXPRESS aura logiquement un impact sur les terres agricoles, des conséquences sur le bruit, l'environnement et l'aménagement du territoire.
Toutes ces questions doivent être pilotées par la puissance publique plutôt que par des intérêts financiers privés, pour des raisons évidentes de divergences d'intérêts.
L'Autre Quotidien:
Y a t-il un rapport entre les directives de la Commission Européenne et les choix gouvernementaux de privatisation?
Fabien Gay:
Oui et non.
La Commission Européenne pousse a l'ouverture à la concurrence, bien entendu, mais ce ne sont pas des extra-terrestres, ce sont nos gouvernements, nos élus, qui y siègent.
A ma connaissance, il n'y a pas de directive de mise en concurrence des aéroports, mais par exemple, nos représentants pourraient tout à fait s'opposer aux privatisations... Mais ils ne le font pas.
L'Autre Quotidien:
Pouvez vous nous expliquer ce qu'est le projet CDG-EXPRESS (ligne ferrée semi privée reliant Paris à Roissy Charles de Gaulle?
Fabien Gay:
Je suis très opposé au CDG-EXPRESS.
Il est vrai que tous les grands pays européens ont leur ligne directe aéroport, mais il ne faut pas le faire aujourd'hui et à n'importe quel prix, en l'état actuel de la situation sur les autoroutes et le RER B reliant Paris à Roissy.
Vous rendez-vous compte qu'il y a aujourd'hui 983 000 passagers par jour sur le RER B ? Contre 20 000 passagers attendus sur cette ligne CDG-EXPRESS qui, de plus, impactera lourdement le RER B en empruntant une partie des voies ? Pour un prix moyen du ticket de 24 euros, donc inaccessible a l'usager quotidien. Bénéfice nul pour ceux là...
C'est bel et bien un projet pharaonique totalement fou, alors pourquoi cette accélération du calendrier de construction ?
On nous a dit que ce projet devait aboutir en raison de l'arrivée des Jeux Olympiques !
C'est faux, car dans le dossier des JO ne figure en aucun cas le projet du CDG-EXPRESS.
Les autoroutes A1 et A3 relient Paris à Roissy Charles de Gaulle en 80 min en horaires de pointe, et dans les prochaines années,nous passerons à 120 min en raison de l'augmentation incessante du trafic automobile.
Le RER B, quant à lui, va continuer à monter en charge, il donc faut investir lourdement pour l'amélioration du trafic ferroviaire du quotidien en Île de France.
On peut bien sûr, se poser la question de relier directement Paris à Roissy mais il faudrait d abord trouver des alternatives aux moyens de transport actuels.
L'Autre Quotidien:
Le principe du RIP ( Référendum d'initiative partagé) a été validé par le Conseil Constitutionnel. Quel est selon vous l'enjeu de cette campagne, qui débute le 9 juin 2019, et pourrait aboutir à la mise en place d'un référendum sur la question de la privatisation d'ADP ? Ressemble-t-il au RIC donc on parle beaucoup actuellement? Est-il réalisable, et sa mise en place pourrait-elle selon vous déclencher une nouvelle phase en France en termes de démocratie?
Fabien Gay:
Le RIP est issu de la révision constitutionnelle sous Sarkozy, et a été mis en place pour qu'il n'aboutisse jamais. D'abord au regard de la barrière élevée de parlementaires afin de le déclencher. Il en fallait 185, nous en avons eu 249.
Ensuite, au regard du minimum de soutiens requis pour un réexamen de la loi, de 4.7 millions de soutiens d'inscrits sur les listes électorales (excluant les résidents étrangers, ce qui est une vraie question) sur une campagne qui durera 9 mois, mais ne déclenchera donc pas directement un référendum.
Cela sera une grosse bataille politique, citoyenne, populaire, mais nous pouvons la gagner selon moi.
Il est possible que les gens s'en emparent très vite sur les 2 premiers mois car les gens en ont marre qu'on leur pique leur patrimoine.
Ressemble-t-il au RIC ? Oui et non ( par exemple, Macron voudrait, semble-t-il abaisser le niveau des soutiens a 1 million ce qui serait forcément mieux)
1 million se rapprocherait plus du RIC, mais ce n'est pas exactement ce que demandent les Gilets Jaunes...
Je ne suis pour ma part, jamais opposé a ce qu'on donne plus de parole au peuple, mais je crois que le RIC n'est pas la recette miracle qui résoudrait tous les problèmes.
Le RIC, pour moi, est une rustine sur la cinquième République.
La vraie question est de changer de République. Aujourd’hui, il y a trop de pouvoirs dans les mains d’une seule personne.
Les élus ne ressemblent pas à la population et c'est bien tout le système qu'il faut changer.
C'est là tout le problème fondamental de la Démocratie Représentative à réinventer totalement!
Nathalie Athina,
Sénat le 15 mai 2019
NDLR :
La campagne de soutien au RIP débutera le 9 juin 2019, et sera accessible via une plateforme gouvernementale en ligne suite à la décision prise par le Conseil Constitutionnel au lendemain de cet échange, de promulguer la loi Pacte, mais de maintenir la campagne pour le référendum.
POUR EN SAVOIR PLUS :
Sur le référendum
Sur le projet du CDG-EXPRESS, le site de l’association de défense des riverains de Mitry- Mory