Le grand naufrage des politiques de santé mentale
L’émission Pièces à conviction du 10 avril sur France 3 s’intitulait : « Psychiatrie : le grand naufrage ». Le documentaire de Raphaël Tresanini constitue un reportage sans concession sur l’état du soin psychiatrique aujourd’hui en France : des délais de rendez-vous en CMP allant jusqu’à 6 mois, des familles isolées essayant de prendre en charge elles-mêmes le soin du leur atteint de grave difficulté psychique, des lieux en Belgique offrant un accueil qu’il est impossible de trouver en France, et surtout un état de total « naufrage » des services hospitaliers. Des malades entassés à 3 dans des chambres prévues pour 1, des isolements systématisés pouvant durer des semaines, voire des mois ou même des années, des patients attachés, des conditions d’hygiène parfois limite, des équipes débordées et une perte totale du lien humain. Le soin semble se limiter désormais à la contention exercée par des professionnels réduits à une fonction d’ordre, comme si la vieille fonction de « gardien » avait de nouveau remplacé celle de soignant.
L’intéressant débat qui a suivi, animé de façon très vive par Virna Sacchi, n’a rien fait pour dissiper les craintes sur le devenir du soin psychiatrique malgré la présence de la ministre Agnès Buzin. La politique de santé semble se résumer en deux mots d’ordre : la réinsertion sociale et le contrôle de la violence. Alors que le documentaire montrait de façon criante le scandale des conditions faites aux soins intra-hospitaliers, le débat a glissé systématiquement sur le dehors du soin. Alors que les familles criaient leur isolement et demandaient un relais de professionnels pour les soulager, la seule réponse était une commisération facile. Lorsqu’a été évoqué l’accueil fait par des équipes belges (avec des prises en charge de 32 à 35 euros de prix de journée, la France leur versant 3 fois plus en contrepartie …), la seule remarque de la ministre a été de noter qu’ils n’avaient pas de projet de réinsertion.
Lorsqu’ont été évoquées les conditions inacceptables des enfermements et des contentions, la seule réponse de la ministre a été de mieux former les professionnels pour faire face à la violence et de mieux encadrer leurs pratiques par des protocoles. La nomination d’un délégué ministériel apparait-elle une bonne nouvelle dans ce contexte ? Le profil essentiellement neuroscientifique de Franck Bellivier n’est pas un gage de garantie d’une nouvelle orientation du soin.
Car c’est de cela qu’il s’agit fondamentalement : il est urgent de réorienter toute la politique du soin psychiatrique en commençant pas sa base, c’est-à-dire le soin intra hospitalier car il constitue le premier temps de la prise en charge. Il faut donc donner du temps à l’accueil grâce à des équipes plus consistantes en nombre et mieux formées. Le temps hospitalier ne doit pas être synonyme d’abandon dans le désœuvrement avec la seule visée d’abrasement des symptômes grâce à la chimiothérapie. Reprenons les principes qui sont à la base du soin institutionnel. N’oublions surtout jamais qu’une personne qui a besoin de recourir au soin psychiatrique est quelqu’un qui ne peut plus vivre dehors dans la communauté sociale. N’ayons pas comme seule préoccupation de vite l’y retourner. Créons, au contraire, des conditions de vie collective qui lui permettent de doucement réapprivoiser la relation à l’autre tout en le responsabilisant dans son temps d’hospitalisation.
Il faut, ensuite, considérer que la violence n’est jamais une fatalité de la maladie mentale. Pinel disait déjà qu’il ne faut pas s’étonner que si l’on traite un humain comme un chien il se comporte comme un chien. Paumelle, dans son Essai de traitement collectif du quartier d'agités, montrait comment travailler la violence de façon institutionnelle. La violence n’est jamais celle des seuls patients, elle est aussi celle des établissements.
Il faut, enfin, changer radicalement la formation des professionnels. Au lieu de la consacrer aux seules maitrises protocolaires, sécuritaires et informatisées, il faut redonner une place première à l’initiation à la relation humaine individuelle et groupale car elle constitue la base du soin psychiatrique : la maladie mentale est d’abord une maladie du lien à l’autre. L’exclusion imposée par la Haute autorité de santé des approches nées de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle dans les troubles de l’autisme est progressivement généralisée dans les formations initiales aussi bien dans les facultés de médecine que de psychologie, dans les IFSI ou les IRTS. Ce choix de ne plus initier les professionnels à la relation clinique n’est pas étranger à la situation actuelle. Il fait, de plus, la souffrance des équipes en les laissant complétement démunies devant la psychose et dépossédées de la dimension réparatrice que pourrait constituer un collectif.
Le soin extrahospitalier exercé actuellement essentiellement par le médicosocial et le soutien aux familles ne peut, bien sûr, se dérouler de façon positive sans ces préalables. La coupure entre le sanitaire et le social vient, de plus, compliquer les prises en charge : elles demandent des continuités de réseau et non des discontinuités administratives.
Joseph Mornet, avril 2019
Psychologue et psychothérapeute, Joseph Mornet a participé à la création en 1972 du centre psychothérapique Saint Martin de Vignogoul près de Montpellier et y a travaillé jusqu’en 2011.
Il est actuellement secrétaire national de la Fédération d’aide à la santé Mentale Croix Marine.