L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Libertés : quand la République met un doigt dans le déshonneur

L’artiste chinois Ai Wei Wei a célébré l’irrespect des institutions et des totems nationaux dans une série de photos devenue fameuse. Le doigt à Mona Lisa ! au Colisée ! à la Maison Blanche ! à l’opéra de Sydney ! à Hong Kong ! à la Tour Eiffel ! - il a été bien inspiré d’oublier Notre-Dame : dans notre époque d’hystérie, où la photo serait naturellement ressortie sur les réseaux sociaux, cela lui aurait valu une série de tweets assassins - ainsi, bien sûr, qu’à la place Tien-An-Men, et, par là, au portrait de Mao qui la surveille du regard. Le Parti Communiste Chinois lui a présenté l’addition : poursuites judiciaires incessantes, assignations à résidence, interdictions de sortie du territoire, destruction de son studio et un séjour en prison. Mona Lisa, de son côté, ne s’est pas départie de son sourire. La Maison blanche n’a pas changé de couleur en découvrant la photo. Et la Tour Eiffel a accueilli sans broncher PNL.

Nous préférons de loin qu’il en soit ainsi. Nous pensons qu’il devrait en être ainsi. Sauf pris de panique, et assailli par le doute sur sa légitimité, qu’un rien suffirait à menacer, un pouvoir en place se doit, pour ne pas s’exposer au déshonneur d’une répression disproportionnée, d’ignorer un pauvre doigt d’honneur qui lui est adressé. Des millions d’autres l’attendent en retour, qui n’avaient pas pensé jusque là que ce geste pourrait être un geste politique de grande ampleur, s’il était repris massivement dans une manifestation. C’est un exemple des idées (celle-ci plutôt amusante) qu’un gouvernement et une police qui perdent la tête peuvent donner, par leur acharnement à les réduire au silence et à l’impuissance, à leurs opposants.

A l’heure où un éditorialiste omniprésent sur les chaînes publiques (Arte et France Info), Renaud Dély, peut se laisser aller à traiter de “vermine” les gilets jaunes (il s’en est excusé depuis, mais…), où un syndicat de policiers peut avoir l’idée saugrenue de porter plainte contre un auteur de chansons enfantines pour une ligne qui manquerait de respect aux forces de l’ordre, où un journaliste peut passer 48 heures en garde à vue et se voir condamné dans la foulée à ne plus pouvoir faire son travail en lui interdisant de couvrir les manifestations, le tout pour un doigt d’honneur adressé dans un moment d’énervement, tout est possible en France, et d’abord le pire. “Cela ne rigole plus”, tel est le message que s’efforcent de faire entrer à coups de matraque, samedi après samedi, le gouvernement et ses polices dans la tête des manifestants. On a bien compris. Mais cela n’empêchera pas qu’on trouve leur acharnement par certains côtés risible par sa mesquinerie, sa disproportion, la peur panique des pauvres qu’il révèle, et de l’autre, sinistre.

Christian Perrot