Notre-Dame ou pas, nous ne fêterons pas la Saint-Macron
Le 15 avril à minuit : on voyait le coup venir
Evidemment, après l’incendie de Notre-Dame, la droite et Macron vont nous faire le coup de l'union nationale à retrouver (des heures que cela a déjà commencé). Et pourquoi pas, de l'expiation des péchés des Gilets Jaunes. Et des racines chrétiennes de la France. De la "résurrection" (mot que j'entends à l'instant sur BFM TV) de Notre-Dame. Nous n'en sommes évidemment pas dupes. "Ce soir, tout Paris est en train de prier" (entendu aussi à l'instant où je vous écris sur BFM). Non, pas du tout. N'exagérons rien. On peut pardonner aux catholiques d'être un peu exaltés cette nuit (Dieu punit la France impie etc). Mais pas aux politiciens qui essaieront d'exploiter la tristesse de tous.
Le 16 avril à 20h :
Macron utilise ce soir sans pudeur l'incendie d’hier pour réclamer l'union sacrée autour de sa personne. Cela a tout de royaliste. Et rien de républicain. Le bref discours de Macron ce soir était d'ailleurs tout du long inspiré de Charles Maurras. Les riches, les pauvres, mais "chacun à sa place" (Macron dixit), chacun donnant ce qu'il peut (!), incarnant cette France millénaire, patiente comme le Christ, agenouillée (mais sur des bancs séparés) devant la Vierge Marie, et priant pour qu'on fasse de la reconstruction en cinq ans seulement (!) d'une cathédrale "plus belle encore" (?), dont l'inauguration coïncidera avec les Jeux Olympiques (hommage en passant au Dieu tourisme), une "priorité nationale", plutôt que ces objectifs bassement terrestres, et pour tout dire vulgaires, mesquins, en comparaison de la grandeur de la France, que sont la réduction des inégalités, un toit pour tous, l'augmentation du SMIC, des retraites décentes qui évitent de fouiller dans les poubelles ou la fin du scandale des EPHAD.
Mais tout cela n'est qu'un rêve que fait Macron. Peu importe que le rideau de fumée vienne cette fois d'un encensoir. L'odeur de messe se dissipera vite pour faire place, comme chaque samedi, à celle, plus âcre, du gaz lacrymogène. Tous les français souhaitent, bien sûr, qu'on restaure Notre-Dame. Comme ils voudraient qu'on relève une tour Eiffel abattue.Tout le monde ne tombe pas à genoux. Tout le monde ne court pas au confessionnal. Tout le monde ne se bat pas la poitrine. Tout le monde ne rêve pas d'une France de nouveau prosternée devant le roi, la noblesse et le clergé.
La fille aînée de l'Église s'est de longtemps émancipée. Cela torture Emmanuel Macron, qui en a souvent exprimé, sinon le regret, du moins la nostalgie. Roi il se voit bien, remplissant un vide affectif chez les français que les français ignorent. Messianique, il vient "sauver la France d'elle-même" (sa paresse, son inconséquence, son esprit frondeur, son refus de l'inégalité... c'est le fond, le socle, de son discours, de sa pratique brutale, de son aveuglement, de sa confiance en lui-même et son rôle dans l'Histoire). Mais nous avons les pieds sur terre, et, quand nous avons la chance d'être un peu loin des villes, aimons contempler ces étoiles que Vincent Van Gogh avouait à un ami (c'est dans notre éphéméride aujourd'hui) ne pas pouvoir se retenir de peindre toujours un peu trop grandes, nous savons qu'avoir la chance de passer près de Notre-Dame, avant de retourner dans nos banlieues, n'a jamais rien changer à la dureté de nos vies, au coup de sonnette des huissiers à la porte de la famille qui va être expulsée, à l'inquiétude constante de ne pas pouvoir nourrir les siens. De ce point de vue, rien n'a changé depuis le Moyen-Âge, où les pauvres croupissaient dans la misère, et demandaient la charité, sachant que le prix de demander la justice était la mort sous les coups des gendarmes. Et tout a empiré ces quarante dernières années, où l'on a vu s'effondrer les idéaux collectifs et les forces de la Résistance, et triompher comme jamais les intérêts personnels des Pinault et des Arnault. Nos généreux mécènes aux dons défiscalisés.
Retour à la rue, donc, et comme jamais. La justice au ciel est un pari, que font ceux qui le souhaitent. La justice sur terre un objectif vital, que tous ceux qui souffrent de son inexistence doivent poursuivre, coûte que coûte. A samedi !
Christian Perrot, le 17 avril 2019