L'AUTRE QUOTIDIEN

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Coup de rétro à Beaubourg sur Želimir Žilnik, le trublion de la “Black Wave” du ciné yougoslave

Ce soir démarre à Beaubourg la rétrospective consacrée à Želimir Žilnik, le cinéaste de la Black Wave qui a agité avec Dušan Makavejev (Sweet Movie), le cinéma yougoslave à la fin des 60’s. Trop anar pour le pays de Tito et de l’autogestion, il a eu l’insigne honneur de se voir censuré des deux côtés du rideau de fer. Rien que pour cela, il faut (re-)découvrir ce cinéaste serbe plein de panache et toujours actif.

Rani Radovi/ Travaux précoces 1969 de Želimir Žilnik, Ours d’or à Berlin

Dans le contexte de l’après-68, la société découvre sa gueule de bois et se pose des questions sur comment changer. Le cinéma européen qui suit de près l’actu s’en charge allègrement. Comme l’affirme le cinéaste Jean Gabriel Périot dans le dossier de presse de la rétro : “Travaux précoces, comme les films de Jean-Luc Godard de l’époque (La Chinoise, One plus One, Vladimir et Rosa pour n’en citer que quelques-uns, comme Le Voyage à Niklashauser de R.W. Fassbinder ou Ice de Robert Kramer), fait partie de ces rares œuvres qui proposent de rompre avec la théorie politique et de passer à l’action directe, à la prise d’armes, mais aussi de rompre avec les codes, forcément bourgeois, de la représentation du cinéma classique. Cependant, contrairement aux réalisateurs de l’Ouest, inscrits malgré tout, ou malgré eux, dans un système de production cinématographique on ne peut plus « capitaliste », Želimir Žilnik fabrique lui un réel contre-cinéma avec toute la rage et toute la liberté qu’offrent l’isolement et le manque de moyens. Découvrir Travaux précoces, c’est découvrir un film d’une radicalité parfois déconcertante mais d’une force politique et artistique rare, voire presque inespérée.

Et le pitch du film en fait un vrai punk movie : “Le film de Žilnik, en référence directe à l’« esprit » des manifestations étudiantes de juin 1968 à Belgrade, s’annonce tragi-comédie et est, en fait, une parabole traitée en farce [...]. Film sur la boue, la suie, la poussière, la crasse (physique et intellectuelle), Travaux précoces réalise par moments son propos de grinçante et âpre fustigation d’une révolution qui s’arrête aux mots [...]” (Jacques Aumont, « Berlin 69 », Cahiers du cinéma n°215, sept. 1969)

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Belgrade 2041 - Želimir Žilnik 1986

Pourtant, ce premier long métrage primé qui voyait la jeune et belle Yougoslava et ses trois camarades partir répandre la bonne parole de Karl Marx à travers le pays n’était pas un coup d’essai, il arrivait après des courts qui donnaient déjà le ton de l’œuvre à venir et se voyaient aussi pour la plupart primés, du Journal des jeunes en hiver 1967 à Les petits pionniers et Sans Emploi en 1968. Mais le court ( 15’) qui va faire manifeste, c’est le Crni Film ( Black Film) de 1971 qui traite des sans abris que le cinéaste finit par inviter chez lui qui le fait haïr du régime « Je dois lutter contre deux ennemis : ma propre nature bourgeoise qui fait de cet engagement un alibi et un commerce, et ceux au pouvoir à qui le silence profite.»

Le regard hors norme de Zilnik finira par le faire émigrer en Allemagne où, après avoir expliqué aux cinéastes du cru comment pratiquer l’auto-gestion en matière de production cinématographique, il va monter les siens par ce biais en gardant ses angles propres angles d’attaque du démontage d’un monde en déréliction, comme Inventaire en 1975 ou l’année d’après avec Le Paradis, une tragi-comédie anti-impérialiste - qui le fera expulser d’Allemagne…  On le retrouvera plus tard, rentré dans la Yougoslavie en guerre, pour traiter en Serbie des raisons de la guerre avec en 1994, Tito, de retour parmi les Serbes, puis en 1995 - Marble Ass qui “déconstruit les paradigmes homophobes établis de l’« être national serbe » en le regardant à travers le prisme du genre et de la sexualité. Mélangeant librement le documentaire vidéo et l’esthétique « trash », Žilnik dépeint les aventures quotidiennes de deux prostituées travesties, Merlyn et Sanela, deux Serbes qui ne se conforment pas à l’idéal patriarcal dominant du macho masculin mais qui, néanmoins, s’imposent comme les seuls gardiens du bon sens, de l’humanité, de la sensibilité – en bref, de la normalité – dans un océan d’anarchie, de violence et de lourdes frustrations économiques.” Pavle Levi (Disintegration in Frames: Aesthetics and Ideology in the Yugoslav and Post-Yugoslav Cinema, 2007)

Réinstallé depuis son retour d’Allemagne en Serbie, il s’applique toujours a y filmer les banales atrocités en cours et les nouveaux résultats de la géopolitique avec toutes les parades pour survivre ne milieu hostile : de la trilogie Kenedi qui transcende, à travers le personnage d’un travesti, graduellement le réel pour arriver au symbolique, depuis le « nombril » sur lequel le réalisateur pose d’abord son regard jusqu’à un rappel vibrant du corps endolori par la politique qui a produit son environnement. [...] , en passant par Destination Serbistan de 2015 et Le Plus beau pays du monde de 2018 sur les migrants. C’est copieux, c’est du lourd - et c’est à voir.

Kenedi trilogie - Želimir Žilnik (2003/207)

D’autant que Beaubourg, surfant sur le phénomène Black Wave (mot inventé par un critique ciné proche du pouvoir yougoslave pour dénigrer les jeunes cinéastes engagés de l’époque) propose cinq films sous cette appellation, ceux de : Živojin Pavlović, Dušan Makavejev, Aleksandar Petrović, Ljubiša Kozomara et Gordan Mihić (voir programmation) en s’inspirant des dires d’Oshima : “En travaillant sur Cent ans de cinéma japonais, Nagisa Oshima est arrivé à deux conclusions assez subtiles : premièrement, l’histoire du cinéma est inévitablement l’histoire d’une certaine jeunesse et, deuxièmement, les changements que le cinéma a connus dans certains pays sont connectés – les nouvelles vagues française et polonaise, les nouveaux cinémas brésilien et yougoslave. Ce que Nagisa Oshima désigne comme « film noir » forme une cascade : l’apparition d’œuvres qui représentent, ouvertement et de manière critique, les aspects de la vie généralement considérés comme négatifs – la saleté, la misère, la violence, des actes jugés « à la limite de l’humain » voir « inhumains » Et ceux de Želimir Žilnik, le réalisateur curieux, subversif, profondément humain, est celui qui a le mieux surfé la Vague noire yougoslave. Ses films, réalisés en surmontant les courants très puissants du Parti au pouvoir, semblent miraculeusement simples et délicieux..”
Miroljub Vučković (Responsable des relations internationales du Film Center Serbia).

On espère vous avoir donné envie et on va y aller… that’s it !

Jean-Pierre (merci la doc) Simard le 12/04/19

Rétrospective Želimir Žilnik du 14/04 au 12/05/19
Centre Pompidou

Tout le programme ici

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