L'AUTRE QUOTIDIEN

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Prendre la parole ! La révolution des Post-it des étudiants algériens

«Non à la prolongation», «Akhtona !», «Système dégage !», «Makache 4,5» (pas de mandat 4 et demi), «Non au report de l’élection», «Djazair horra dimocratia», «Y en a marre, ayigh», «Algeria free», «Ouyahia, où sont les 1000 milliards ?» «40 voleurs VS 40 millions», «Khellouna netnefssou» (laissez-nous respirer), «Les étudiants de Dély Ibrahim pour le changement»…

Ce sont là quelques messages écrits sur des post-it de toutes les couleurs collées sur la stèle commémorative dédiée au chahid Maurice Audin, près du Tunnel des Facultés, à Alger-Centre.

Des dizaines de post-it ont été laissées par des étudiants et de simples citoyens qui ont manifesté hier en force pour dire leur rejet catégorique de la feuille de route du clan présidentiel. Cela donnait une immense fresque digne d’une installation artistique. Les bouts de papier tapissaient également la façade de la librairie de l’OPU qui jouxte la plaque commémorative. Parmi ces mémentos, certains sont émouvants : «Vive l’Algérie libre et indépendante ; hommage à mon grand-père», «Rabbi yahmina we yihaqaq ma fi balna» (Que Dieu nous protège et réalise notre souhait)…

D’autres sont franchement hilarants, et Maurice Audin devait être lui aussi mort de rire en lisant ces messages au ton plus léger, avec cette pointe de malice, d’humour féroce et de tendresse qui fait leur charme : «Nahhou el maquillage nakhel3ou la police» (enlevez le maquillage pour effrayer la police), «Djibou el BRI ou zidou Essaiqa/Ezatla ghlat we echaâb s’ha» (Ramenez les troupes spéciales, le shit est cher et le peuple s’est réveillé), «Zaoudjouna, khellouna nalaâbou bel mekhayed» (Mariez-nous, laissez-nous nous amuser avec les coussins). Parmi les auteurs de ce véritable monument de papier, certains ont mis juste leur nom comme pour graver leur «je» citoyen dans l’espace public et donner une empreinte physique à leur voix, eux qui n’ont jamais eu voix au chapitre dans le cirque électoral du système.

«Matzidche dqiqa ya Bouteflika»

Ainsi, la riposte citoyenne à la dernière offre présidentielle ne s’est pas fait attendre. Les étudiants se sont donné le mot pour se retrouver comme tous les mardis désormais, dans la rue, en convergeant naturellement vers la place Audin et la Grande-Poste. Ils ont afflué de tous les campus algérois : de la fac centrale, de Bab Ezzouar, de Bouzaréah, de l’ITFC, de la fac de droit, de la fac de médecine, de l’INA (Institut d’agronomie), de l’EPAU (Ecole Polytechnique d’Architecture et d’Urbanisme  ), de l’ENV (école vétérinaire)…

Leur détermination était d’autant plus forte qu’ils ont très mal vécu la provocation du département de M. Hadjar (ministère de l’enseignement), qui a décidé du jour le lendemain de les mettre en vacances forcées, obligeant les pensionnaires des cités U (quelques 700’000) à quitter leurs chambres dans la précipitation. Mais les milliers d’étudiants qui ont manifesté hier, sans oublier aussi les enseignants qui se sont mobilisés en force depuis le début de la contestation, c’était surtout pour exprimer leur rejet massif du plan de transition rendu public ce lundi par notre cher «président-par-correspondance».

Tout le monde aura remarqué que ces manifs étudiantes donnent souvent le ton et opèrent comme une répétition à plus petite échelle avant les grosses manifs du vendredi et leurs millions de voix qui crient à l’unisson «Bouteflika barra !»

Hier, les slogans scandés étaient on ne peut plus clairs quant aux sentiments de la majorité : «Matzidche dqiqa ya Bouteflika» (Vous ne resterez pas une minute de plus, Bouteflika), «La nourid, la nourid/ El Issaba we Etamdid» (Nous ne voulons plus de la bande ni d’une prolongation), «Klitou el bled, ya esserraquine» (Vous avez pillé le pays bande de voleurs), «Lebled bladna, wendirou rayna » (C’est notre pays et on fera ce qui nous plaît)…

«Non au 4,5»

Force est de constater que les manifestants ont su tout de suite réadapter leurs slogans à la nouvelle situation imposée par le plan machiavélique du régime comme dans une partie d’échec serrée. Ils ont su trouver les mots justes, la petite formule qui fait mouche, pour signifier à la «Casa d’El Mouradia» que les Algériens sont parfaitement conscients du marché de dupes qui leur est proposé.

Florilège : «Non au 4,5 !», «La li attaadjil, naâm li etarhil» (Non au report, oui au départ du système), «La tamdid, la taâdjil, nahnou nouridou etaghyir» (Ni prolongation ni report, nous voulons le changement), «Pas de prolongation. Un seul arbitre : le peuple», «Boutef, Saïd, dégage !» «Le dernier mot nous revient, la transition nous appartient», «Non à l’arnaque du peuple, Algériens conscients, dégagez sans négociations», «On veut un changement radical, pas juste le remplacement d’un cadre», «Une victoire déguisée», «On a gagné la bataille mais pas la guerre», «El Hadj Moussa, Moussa El Hadj», «Ouyahia et Bedoui, les deux faces d’une même pièce», «La nouridou wissayatakoum âla hirakina» (Nous ne voulons pas de votre tutelle sur notre mouvement), «Vous allez vous confronter à une génération qui vous connaît bien et que vous ne connaissez pas du tout»… Certains en font appel à l’histoire en prenant à témoin les chouhada convoqués à travers les portraits des Abane, Ben M’hidi, Hassiba, Amirouche… alignés sur une banderole. Et ce serment solennel : «Ma n’khellouhoumche ibi3ou lebled» (On ne les laissera pas vendre la patrie, le sang des martyrs coule dans nos veines).

«Un coup d’Etat constitutionnel»

Une banderole proclame en réponse à Hadjar : «On est en grève, c’est à vous de prendre des vacances», tandis qu’une autre rappelle le rôle de l’institution universitaire : «L’université doit être un laboratoire de réflexion.» Et ces manifs se révèlent justement un magnifique laboratoire de réflexion politique et de concertation citoyenne.

Beaucoup de pancartes brandies mettaient l’accent sur le tripatouillage de la Loi fondamentale : «Non au viol de la Constitution !» «Edoustour layssa kourass mouhawalate» (La Constitution n’est pas un cahier de brouillon). Ce jeune imite les commentateurs de foot en clamant : «Il est évident Monsieur l’arbitre que c’est un coup d’Etat constitutionnel avec un gouvernement illégitime.»

Amina et Souad, étudiantes à Bab Ezzouar, ont toutes deux l’âge des quatre mandats cumulés de M. Bouteflika, soit 20 printemps. «Nous voulons qu’ils partent tous, sinon, c’est comme si on n’avait rien fait», insistent-elles. Et de faire remarquer : «Ce qu’il (Bouteflika, ndlr) n’a pas fait en 20 ans, il veut le faire en une année? Impossible ! C’est trop tard. Il faut qu’ils partent ! Il faut respecter notre intelligence.

On veut une vraie transition, avec de nouveaux visages.» Un groupe d’étudiantes en médecine abondent dans le même sens : «Il faut continuer à faire des grèves si nous voulons un vrai changement. On n’exige pas seulement le départ de Bouteflika mais de tout le système.» Evoquant le départ massif des médecins, elles espèrent inverser la tendance : «Nous voulons rester ici et servir notre pays. On veut créer les conditions pour que plus personne ne veuille fuir l’Algérie. Nous sommes prêtes à prendre nos responsabilités, y compris au niveau politique.»

«Il faut maintenir la pression !»

Massinissa, étudiant à l’INA (Institut national d’agronomie), analyse : «Avec cette supercherie, on aura un 4e mandat prolongé ou un 5e mandat sans élection. C’est totalement anticonstitutionnel. On est dans l’illégalité la plus totale.» Pour lui, il est impératif de faire la transition avec un nouveau personnel politique : «Il faut de nouvelles têtes, des personnes représentatives de ce mouvement. Il faut s’atteler à la rédaction de la Constitution avec des juristes intègres pour arriver à une Constitution intangible qui sera le contrat du gouvernement avec le peuple.

Il faut confier la période de transition à des personnes au-dessus de tout soupçon dont la mission s’achèvera avec l’élection présidentielle. Nous devons être vigilants. Il faut maintenir la pression et ne rien lâcher.»

Amni Hocine, 63 ans, ancien officier supérieur à la retraite converti en bouquiniste, soulève une large pancarte avec ces mots : «Le peuple algérien veut le départ de Bouteflika et son système corrompu tout de suite. Dégagez pauvres cons!». Il explique: «Cette pancarte exprime le sentiment du peuple.

Cette feuille de route est un non-évènement. C’est une déception stratégique. On ne peut pas faire une transition avec les mêmes figures, c’est une aberration., Le 22 février a enclenché la IIe République, elle est en marche, ça y est.» Et de marteler : «Pourquoi il s’accroche ? Qu’est-ce qu’il attend pour partir bon sang? Qu’il parte sans condition, immédiatement. Il faut créer un choc psychologique pour qu’il s’en aille!»

Mustaha Benfodil
El Watan, le 13 mars