L'AUTRE QUOTIDIEN

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Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, par Agathe Nadimi

« - H. Il est très très malade, il ne peut plus marcher là il est allongé dans le métro à Couronnes. Il faut venir vite s’il te plaît »

Alors j’y suis allée vite, aussi vite que possible avec un trafic interrompu pour ne pas aider et faire courir vite, aussi vite que possible sous la pluie à travers la longue et interminable rue pentue devenue tellement familière pour rejoindre au bout ceux qui ont besoin d’aide.

Ils attendaient sur le quai avec H incapable de marcher, le regard et la conscience absents, pouvant juste difficilement dire : « trop mal à la tête » faisant plus exactement traduire par son copain : « trop mal à la tête qui n’arrête pas de tourner, je vais mourir.»

Ils étaient là depuis un moment mais il faut croire qu’ils sont complètement transparents. Ils m’attendaient avec mon aide mais elle était aussi attendue un peu plus loin, au jardin pour l’organisation du déjeuner où une cinquantaine d’autres ados transparents attendaient mon aide. Alors, c’est là que toute ma minuscule aide sur laquelle on compte, pour lui, pour eux pourrait opérer. Là, à 600 mètres. 600 mètres en ligne droite paraissant être des kilomètres, les derniers mètres insurmontables d’un marathon.

On a aidé H a marcher à bout de bras, on a fait des pauses, on l’a encouragé de toutes nos forces. Oui, comme on le fait pour la dernière ligne droite d’un marathon. Passé le portillon, il s’est effondré sur le premier banc.

J’ai essayé de l’aider. Quelque chose à manger, un verre d’eau et un doliprane. Comme si ça pouvait marcher... H a normalement un grand sourire très enfantin mais quand on le connaît un peu c’est le traumatisme que l’on perçoit et quand il ne sourit pas, il est absent. Le traumatisme et l’absence de tous ces grands enfants qui sont arrivés jusqu’à nous et qui sont rendus transparents, inexistants, laissés à la rue sans aucune aide en dehors de celle d’une poignée de personnes solidaires bien dépourvues. Je fais partie de celles la mais je ne peux pas plus aider H. Comme d’autres, j’essaie mais je n’ai rien pu lui offrir d’autres qu’à manger, quelques nuits à l’abri, quelques vêtements, quelques moments joyeux lors de sorties au cirque ou aux concerts...

J’ai essayé de l’aider mais je n’avais pas la solution, rien ne pouvait y faire face à tant de mal être alors j’ai appelé les pompiers pour qu’ils viennent l’aider.

Les jeunes pompiers sont arrivés, ont posé quelques questions et ont compris la gravité de sa situation et de son état. Ils ont été chercher un fauteuil roulant et ils l’ont installé dedans. Ils l’ont tiré jusqu’au camion, eux étaient dos à lui, H face à moi. Je suivais en le regardant avec quelques mots encore, toujours les mêmes pour l’encourager et le rassurer. Il s’est mis à pleurer comme un enfant qui craque, qui est emmené à l’hôpital par des pompiers qu’ils ne connaît pas. Comme un enfant qui se retrouve dans un pays dont il ne connaît pas les codes, la langue et qui se retrouve ici transparent sans famille. Les larmes d’H tiré dans le fauteuil roulant me poursuivent. Elles me hantent. J’aurais dû monter dans le camion. Je n’ai pas pu monter avec lui dans le camion. D’autres avaient aussi besoin de mon aide pouvant peut-être être plus efficace. J’ai demandé où il allait être amené pour pouvoir appeler un peu plus tard, aussi vite que possible.

J’ai donc appelé l’hôpital. H a attendu longtemps pour voir un médecin. J’ai laissé mon numéro de téléphone pour que l’on me tienne au courant. On m’a enfin rappelé. Les premières questions n’étaient pas liées à son état de santé ni à sa situation traumatique. C’est moi qui ai dû en parler avec insistance. Elles ne concernaient que sa situation de couverture sociale dans le but, j’imagine de savoir quelles investigations seraient faites ou pas en fonction des frais liés. L’argent c’est donc la seule chose là aussi qui compte pour tenter de soigner les maux, les traumatismes de ceux qui n’existent pas socialement, demeurent transparents. Il a été vu vite fait pour ne pas faire mentir les pompiers. Par conscience vite faite mal faite qui ne coûte pas d’argent.

Il a été remis dehors sans que l’on ne sache pourquoi et comment H en est arrivé à cet état et ce malgré mes alertes, mon récit de celle qui a couru aussi vite que possible pour tenter de répondre à l’appel à l’aide et qui a vu un gamin s’effondrer sur un banc et pleurer à chaudes larmes dans le fauteuil des pompiers.

La transparence permet de décalquer. C’est une décalcomanie qui se reproduit sans fin et recopie les toujours mêmes schémas.
Des schémas insupportables que l’on aimerait froisser, déchirer et balancer à la corbeille.
Les traumatismes eux restent.
Leur encre s’incruste comme des tatouages à fer chaud. Ils sont indélébiles.

Agathe Nadimi, le 22 novembre 2019

Enseignante et mère d’un adolescent, Agathe Nadimi a été touchée par l’histoire des migrants qui vivaient dans un camp de fortune à la station de métro Stalingrad à Paris, en 2016. Citoyenne solidaire, elle leur vient en aide en animant les "Midis du Mie", un collectif qui fournit des repas et un soutien aux mineurs isolés étrangers à Paris. Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, sa chronique dans L'Autre Quotidien, raconte cet engagement.