"Je suis la mère d’un gilet jaune qui a été blessé à la fin de la manifestation sur Rennes" : message à Emmanuel Macron
Je m’appelle Marie-Laure Leroy, je suis à l’hôpital de Pontchaillou, je ne sais pas quelle heure il est… Bien évidemment je n’ai pas dormi. Je suis la mère d’un gilet jaune qui a été blessé à la fin de la manifestation sur Rennes hier soir (ndlr 19 janvier 2019) au moment où les gens commençaient à se disperser. Mon fils et certains de ces amis étaient autour d’un PC qui a été évacué peu de temps après et ils constituaient en quelque sorte un ruban de sécurité entre les pompiers et le reste des manifestants qui, d’après ce que je sais, ne présentaient aucun danger.
J’en profite d’ailleurs pour avoir une pensée pour la dame de 70 ans qui a été admise à l’hôpital peu de temps avant mon fils, elle a été matraquée, et c’est vrai que probablement elle aussi devait présenter un gros danger… je sais pas, je ne peux pas vous dire.
D’après ce que les amis de mon fils m’ont raconté, une première grenade de désencerclement l’a atteint alors même qu’il tournait le dos avec ses amis et que les CRS étaient en train de charger.
À 4 mètres environ, un type de la BAC, pendant que mon fils faisait un bond sous le choc ou sous l’explosion, en a profité pour lui tirer un flashball dans l’œil. Le flashball, c’est énorme, je ne sais pas si vous en avez déjà vu un, a été récupéré, et à l’heure actuelle il est déjà entre les mains de l’avocat.
Mon fils a été opéré pendant 3 heures par un interne qui a fait ce qu’il a pu pour lui sauver son œil, ce qui n’a pas été possible.
Monsieur Macron, pendant que vous faites le malin en bras de chemise dans les gymnases pendant des heures, en soliloquant, parce qu’il est vrai que vous aimez surtout parler seul, pendant ce temps là, vos sbires, monsieur Macron, mutilent nos jeunes.
Ces jeunes, j’insiste, ne présentaient aucun danger, aucun d’eux n’avait le visage couvert, ils étaient tous désarmés, aucun d’eux n’avait même un masque à gaz, quoique ce soit qui puisse, de près ou de loin, s’apparenter à une arme de destination, puisqu’on sait maintenant que même des lunettes de piscine peuvent être considérées comme des armes.
Pendant donc que vous faites le malin, vos sbires agressent nos jeunes, agressent des personnes âgées. Combien de blessés va t’il encore falloir ? Combien de mutilés parmi nos jeunes va t’il encore falloir avant que vous vous rendiez compte monsieur Macron que diriger un pays ce n’est pas se tenir en haut de la verticalité que vous vantez tant. C’est peut-être, de temps en temps, se pencher sur les gens et écouter réellement ce qu’ils ont à dire.
Je ne suis pas en colère, je n’ai même aucune haine. J’estime que vous et ce type que vous avez placé au ministère de l’intérieur dont d’ailleurs je n’arrive toujours pas à savoir s’il est juste stupide ou parfaitement incompétent, j’estime vous n’êtes ni digne de ma colère, ni digne de ma haine. Et a priori d’après les paroles que j’ai pu échanger avec mon fils quand il est sorti du bloc et qu’il était encore en salle de réveil, il n’a pas de haine non plus, il ne comprend pas trop ce qui lui est arrivé, pour l’instant.
Il a 27 ans, il a toute la vie devant lui, et désormais il n’aura plus jamais une vie normale, il est mutilé à vie, monsieur Macron, mutilé à vie, parce que ce que vous appelez la démocratie, consiste à frapper des gens innocents qui sont là uniquement pour défendre leurs droits.
Je ne sais pas quoi dire d’autre ... Je ne connais pas ... le type de la BAC qui a énucléé mon fils ? Je ne le connais pas et je ne le connaîtrai probablement jamais. Lui par contre, va pouvoir regarder le visage de la mère du blessé. Je… Je me doute bien que ça ne l’empêchera pas de dormir. Je lui souhaite tout le plaisir du monde. J’espère juste que plus jamais il ne pourra dormir.
J’ai pas grand-chose d’autre à rajouter… Euh si... Peut-être une dernière chose, on pourra toujours dire que c’est le choc.
Je suis fonctionnaire d’État, monsieur Macron, parfaitement consciente de sortir du droit de réserve qui normalement est le mien. Je suis enseignante. Je suis professeur de lettres dans un lycée de la région quimpéroise, à côté de Lorient, en Bretagne. Je pense que vous n’aurez aucun mal à me retrouver vu que j’ai donné mon nom. Je vois pas trop ce que je peux craindre monsieur Macron, je ne vois pas ce que je peux craindre. Être virée de l’Éducation Nationale peut-être ? Je ne sais pas, c’est peut-être le genre de chose que font les gens comme vous… probablement… probablement.
Mon crime, s’il y a crime, n’est pas pire que celui d’un ancien ministre de l’Éducation Nationale qui appelle au meurtre sur les ondes.
Mon crime, si crime il y a, n’est pas pire que celui de quelqu’un qui s’obstine à considérer que ni les gendarmes, ni les CRS, ni les gens de la BAC n’attaquent sans être agressés.
C’est tout ce que j’ai à dire, j’ai une grosse pensée pour tous les autres blessés, et monsieur Macron, peut-être parce que j’ai la prétention, moi, de vous donner une leçon de dignité, peut-être qu’il serait digne de la part de quelqu’un qui dirige un pays de finir par présenter ses excuses aux familles et peut-être de rendre visite aux gens qui ont été blessés et qui sont marqués à vie, simplement parce que... parce que quoi ? … Parce qu’il en a marre de cette société… où les gens sont pauvres ?
Je voudrais juste signaler une dernière petite chose. Je suis dans un grand hôpital de Rennes. Il y a là, à deux mètres de moi, à la sortie, quelqu’un qui dort dans un sac de couchage.
Monsieur Macron, puis-je me permettre de vous rappeler que, d’après ce que j’ai entendu, d’après ce que je vous ai entendu dire, il n’y aurait plus jamais de SDF dans notre société ? … Je… Je suis… Je ne suis pas en colère, je le répète. Je suis juste écœurée. Je suis écœurée...
Transcrit par David Affagard