Brésil : nous sommes 16 millions de Quilombolas, nous exigeons le respect de notre histoire !
Cette LETTRE DÉNONCE LA MESURE PROVISOIRE 870/2019, QUI TRANSFÈRE LES ATTRIBUTIONS D’IDENTIFICATION, RECONNAISSANCE, DÉLIMITATION, DÉMARCATION ET TITULARISATION DES TERRES OCCUPÉES PAR LES DESCENDANTS DES COMMUNAUTÉS QUILOMBOLAS " AU MINISTÈRE DE L’AGRO-NÉGOCE, ALIAS MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE.
La mesure provisoire décrétée par le Président Jair Bolsonaro, le 1er janvier 2019 (MP n° 870/2019), est une anticipation d’un ethnocide des Quilombolas qui met également l’environnement brésilien en danger. La présente lettre montre en quoi l’ensemble des principes de cette MP ouvre des brèches exposant les dangers qui se dessinent dans ce scénario pour les plus de 6 mille quilombos du Brésil.
Quilombola, Tania Rego. Crédit : Agencia Brasil
En premier lieu, transmettre l’attribution "d’identification, de reconnaissance, de délimitation, de démarcation et de titularisation des terres occupées par les descendants des communautés quilombos" au Ministère de l’Agriculture, qui a toujours été à la main de l’Union Démocratique Ruraliste (UDR), quand on connaît l’histoire des ruralistes au Brésil, c’est provoquer l’ETHNOCIDE des quilombos. Il n’est pas nécessaire de connaître profondément l’histoire pour savoir que, malheureusement, les grands propriétaires terriens au Brésil ont encore une mentalité qui passe par l’incompréhension de l’importance de ces quilombos pour que le Brésil soit une nation et un peuple. Les quilombos sont un patrimoine culturel à la base de la formation de la diversité du peuple brésilien. Les ruralistes devraient être les premiers à défendre ce patrimoine, d’autant plus que des études montrent que les territoires quilombos se situent dans des zones importantes pour la préservation de l’environnement.
Mais on peut se demander pourquoi garantir le droit aux Quilombolas ? Qui sont-elles/ils ? Ce qui nous amène au deuxième point. Les quilombos étaient une manière de résister au processus sanglant de 350 ans d’asservissement des Noirs au Brésil, lesquels, arrachés à leurs terres en Afrique, ont été amenés de force sur ces terres. Après la fausse abolition de l’esclavage (1888) et la proclamation de la République (1889), ces groupes sont restés sur leurs territoires, produisant et développant des moyens de créer, de faire et de vivre. Ils ont été oubliés par l’État brésilien et ce n’est qu’avec la Constitution de 1988 que leurs droits ont été reconnus à travers l’acte sur les dispositions constitutionnelles transitoires (ADCT) 68 [1]. Or, seuls ceux qui n’ont jamais connu un quilombo ou qui ne voient les terres du Brésil qu’à travers les yeux du Marché ne reconnaîtront pas la légitimité de ce droit.
Le troisième élément est qu’au cours des 30 années qui ont suivi la Constitution de 1988, il y a eu de nombreuses luttes pour faire en sorte que les cadres juridiques et le mode de reconnaissance du titre légal soient pensés de manière à garantir le respect de nos Quilombolas. Lors de ce processus, pendant la première phase de reconnaissance communautaire, la demande d’auto-reconnaissance du quilombo précède le travail de la Fondation Culturelle Palmares (FCP) de reconstruction de l’historique des savoirs. Ensuite, la FCP accorde l’auto-attribution au quilombo. Ce n’est qu’avec ce document d’auto-attribution en main que s’ouvre le processus d’obtention du titre légal auprès de l’Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire (INCRA). [2] Ces deux organismes ne sont même pas mentionnés dans le MP 870/2019, comme s’ils avaient tout bonnement disparu. Il est important de dire que ces organismes sont composés d’universitaires, en particulier d’anthropologues, qui ont acquis une expertise dans le domaine des quilombolas. Par conséquent, ce que nous dénonçons ici, c’est surtout le non-respect d’un long processus de construction d’un droit légitime à être Quilombolas. Il est important de rappeler que la défense de notre droit à notre territoire est la défense à notre droit à préserver nos territoires ainsi que l’histoire et la mémoire des groupes qui ont construit, avec les peuples indigènes et tout le peuple brésilien, une trajectoire qui ne peut être oubliée, aujourd’hui, notamment au profit d’intérêts économiques qui, même avec tout l’argent du monde, ne pourraient restaurer ni les forêts, ni les formes de culture, les modes de faire et de vivre. Inévitablement, cette mesure jette aux oubliettes de l’Histoire, la mémoire de tant d’hommes et de femmes qui sont morts pour garantir ce droit. Par conséquent, l’addition à payer ne retombera pas seulement sur les quilombos mais également sur notre air, les rivières, les poissons, les monts et montagnes, les cascades, les saisons sèches et saisons des pluies (si importantes pour les plantations). En bref, nous ne pouvons permettre de laisser disparaître ni l’air que nous respirons, ni l’histoire de ce pays, sous prétexte de croissance économique dissimulant en fait, les ambitions des groupes puissants.
Nous rappelons que nous sommes dans la "Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine" où la communauté internationale reconnaît que les peuples d’ascendance africaine représentent un groupe à part entière dont les droits humains doivent être promus et protégés. Selon le site Web de l’ONU, quelques 200 millions de personnes qui s’identifient comme étant d’ascendance africaine vivent dans les Amériques alors que des millions d’autres vivent dans d’autres parties du monde, en dehors du continent africain."
Il est évident que ce sont les Quilombolas qui ont été les plus spoliés de leurs droits. Au détriment de la garantie des invasions des grandes entreprises, il y eut plusieurs tentatives : ADI 3239 [3], les coupes budgétaires réduisant de 50 millions à 964 mille réaux les montants destinés à la régularisation foncière, les initiatives d’organismes gouvernementaux pour la réduction des Territoires sans consultation préalable comme le prévoit la convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail, la promotion d’actions qui affaiblissent et favorisent la fragilisation des représentants des communautés, et plus récemment la tutelle du gouvernement brésilien pour la promotion des assassinats de dirigeants et la criminalisation des associations quilombolas ou des entités représentant la population quilombola.
Une étude récente "Racisme et violence contre les Quilombos au Brésil", menée par la Coordination Nationale d’Articulation des Communautés rurales Quilombolas Noires - CONAQ et Terre des Droits, constate que les assassinats ont augmenté de plus de 350% [4]en moins de deux ans, crimes qui restent impunis, ce qui nous préoccupe beaucoup.
Nous prenons acte des initiatives présentées par l’actuel Président de la République de placer l’INCRA sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture, actuellement sous l’influence du lobby des grands propriétaires terriens, plus connue sous le nom de Coalition de la Balle, du Bœuf et de la Bible. Ce président qui avait déjà déclaré publiquement que « les grands propriétaires terriens auraient de puissantes armes à utiliser contre les Quilombolas et que plus aucune terre quilombola ne serait plus régularisée" car dans son gouvernement plus aucun centimètre de terre ne « serait pour les Quilombolas".
Nous déclarons que "nous ne vivons pas à part du vrai Brésil, nous ne sommes pas exploités par les ONG et nous n’avons pas besoin de cette ‘intégration’ [5] qui veut nous tuer, qui ne nous respecte pas et ne considère pas les Quilombolas comme de vrais Brésilien(ne)s".
Par là même, nous disons que qui n’est pas un Quilombola ne peut pas suggérer ou dicter des règles sur la façon dont nous devrions nous comporter ou agir sur nos territoires dans notre pays. Nous avons la capacité et l’autonomie de parler par nous-mêmes. Nous voulons dialoguer avec vous, Monsieur le Président, dans le respect de la démocratie et de la Constitution fédérale. Et nous n’accepterons pas de mesures autoritaires. »
Monsieur le Président, nous avons 1% des terres brésiliennes titrées et non pas 15% [6]. Au contraire, la concentration de terres est le fait des grands propriétaires terriens, des ruralistes, de l’agro-négoce. Nous rappelons que l’agriculture familiale produit plus de 70% des aliments sains que les Brésiliens consomment.
La structure raciste du gouvernement brésilien qui s’exprime dans la lenteur à ne pas titulariser les territoires quilombolas aggrave les conflits agraires dans lesquels nous souffrons de la violence du même État qui devrait nous protéger. Le racisme tue !
Nous sommes plus de 6.000 quilombos au Brésil dont plus de la moitié sont reconnus (certifiés ou titrés) par le gouvernement brésilien. Nous sommes 16 millions de Quilombolas dans 24 états de la Fédération et nous exigeons le respect de notre histoire, de nos ancêtres et de nos territoires, pour aucun quilombo de moins, pour aucun pas en arrière.
Brasilia/DF, le 8 janvier 2019.
Coordination nationale de l’articulation des communautés noires rurales quilombolas