L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le tribunal permanent des peuples reconnaît le président turc Erdogan coupable de crimes de guerre contre son propre peuple

Le Tribunal Permanent des Peuples sur la Turquie et les Kurdes s'est réuni le 15 et le 16 mars à Paris et a livré son verdict au Parlement européen à Bruxelles le 24 Mai. Ce tribunal d'opinion fondé à Bologne en 1979 a estimé que le président de l'État turc, Recep Tayyip Erdogan, est directement responsable des crimes de guerre et d'État commis en particulier dans le sud-est de l'Anatolie. 

A un mois de l'élection présidentielle en Turquie, le Tribunal Permanent des Peuples (TPP) a prononcé une condamnation cinglante contre le président turc Recep Tayyip Erdogan, l’accusant de crimes de guerre contre le peuple kurde en Turquie et jugeant que celui-ci était victime " de souffrances incalculables". Dans ses recommandations, le Tribunal demande à la Turquie d'engager des négociations immédiates avec les Kurdes, de restaurer l’Etat de droit et de se retirer totalement de l'enclave d'Afrin en Syrie, peuplée majoritairement de Kurdes.

Le rapport du Tribunal a été rendu public jeudi 24 mai, dans le cadre d’une conférence au Parlement européen, à Bruxelles. Le Président du Tribunal, Phillippe Texier, ancien juge à la Cour de cassation française, qui a également siégé au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, a déclaré que la "cause clé" du conflit entre la Turquie et les Kurdes était "le déni au peuple Kurde de son droit à l’autodétermination".

Le TPP a été fondé à Bologne en 1979 pour traiter les plaintes contre des Etats qui n’ont pas ratifié les conventions sur les droits humains, telles que le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale. Sur proposition de l'Association Européenne des Juristes pour la Démocratie et les Droits de l'Homme (EJDH) et d'autres organisations juridiques internationales et européennes, le TPP a tenu une session sur la Turquie et les Kurdes, à Paris, les 15 et 16 mars 2018. Le jury composé de sept juges éminents originaires de différents pays européens, a entendu durant ces deux jours, des témoignages relatifs à deux allégations, la première portant sur les crimes de guerre commis contre le peuple kurde durant la période du 1er juin 2015 au 31 janvier 2017, dans plusieurs villes du sud-est de la Turquie, y compris Diyarbakir, la seconde sur les crimes terroristes commis en Turquie ou à l’étranger, tels que les attentats à la bombe, les enlèvements et les assassinats ciblés, y compris l’assassinat le 9 janvier 2013, à Paris, de trois militantes kurdes.

Dans sa délibération, le Tribunal conclut que l'Etat turc est « responsable du déni au peuple kurde de son droit à l’autodétermination, en lui imposant l’identité turque, en niant l’identité et la présence du peuple kurde, en réprimant sa participation à la vie politique, économique et culturelle du pays, interprétée comme une menace à l’autorité de l’Etat turc ». Concernant la lutte menée par les Kurdes, il souligne qu’elle présente les caractéristiques d’un « conflit armé non-international » régi par le droit international humanitaire et que, contrairement à ce que prétend Erdogan, il ne s’agit pas d’un problème de terrorisme susceptible de se voir appliquer la législation antiterroriste. A cet égard, le Tribunal rappelle que le mouvement kurde a tenté à plusieurs reprises de négocier une solution pacifique avec la Turquie, mais que ses propositions ont été systématiquement rejetées par Erdogan.

Le verdict est suivi d’un certain nombre de recommandations:

  • La Turquie doit immédiatement mettre fin à toutes les opérations militaires menées par son armée en Syrie et retirer ses troupes à l'intérieur de ses frontières nationales.
  • La Turquie doit rechercher et punir les responsables des crimes de guerre commis dans le Sud-Est de l’Anatolie entre le 1er juin 2015 et le 31 janvier 2017.
  • La Turquie doit rétablir l’État de droit, libérer les magistrats et les journalistes encore détenus, restaurer la liberté de la presse, mettre fin à l'état d'urgence et appliquer pleinement la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
  • La Turquie doit reprendre de bonne foi les négociations interrompues en octobre 2014, en vue d'un règlement pacifique du conflit, et les conclure dans un délai raisonnable.
  • À la conclusion de l’accord de paix, une amnistie devrait être accordée pour les crimes commis par toutes les parties pendant le conflit et tous les prisonniers politiques encore détenus devraient être libérés.

En annonçant le verdict, le Président du Tribunal a noté que les témoignages présentés lors de la session montraient clairement que « le droit à l'autodétermination était systématiquement dénié au peuple kurde», en violation des articles 1 et 2 du Pacte international relatif aux droits sociaux et du Pacte international sur les droits politiques. Il a ajouté que la Turquie avait mené des opérations militaires visant à forcer le peuple kurde à quitter ses terres et reproché à Erdogan d'avoir "incité et légitimé une violence disproportionnée" contre le peuple kurde.

Prenant la parole à la suite de l’annonce du verdict, la députée européenne Julie Ward a critiqué la Première ministre britannique Theresa May pour avoir reçu Erdogan, qualifiant cela de "chose épouvantable pour ceux d'entre nous qui défendent les valeurs démocratiques, la paix". "Nous devons rester solidaires avec le peuple kurde qui lutte contre l'un des régimes les plus fascistes et racistes que nous ayons actuellement en Europe", a-t-elle déclaré. Notant que les Kurdes avaient commencé à mettre en place une nouvelle société féministe, démocratique et respectueuse de l'environnement dans la région de Rojava, au nord de la Syrie, elle a appelé toutes celles et ceux qui soutiennent les droits des femmes et la protection de l'environnement à défendre les droits des Kurdes. "Les attaques d'Erdogan sont dirigées contre un nouveau système de valeurs démocratiques, de gouvernance et de justice sociale qui est pratiqué au jour le jour dans une zone de conflit, ce qui est extraordinaire", a-t-elle déclaré, appelant les Etats membres de l’UE à reconnaître cette réalité.

Simon Dubbins, directeur international d'UNITE, le plus grand syndicat britannique, avec 1,4 millions de membres, a également pris la parole après l’annonce du verdict. Il a qualifié de « criminel » le silence de la communauté internationale face à la terreur exercée par Erdogan dans les villes kurdes en 2015 et 2016. «Il n'est pas exagéré de dire que c'est un crime encore plus grand que la communauté internationale ait gardé le silence alors qu’Erdogan envahissait, occupait et nettoyait ethniquement ce qui était une région pacifique au nord de la Syrie », a-t-il déclaré, soulignant qu’aux côtés de l’armée turque, la Turquie avait utilisé une force composée des « mêmes militants de l'Etat islamique dont nous essayons de nous débarrasser ». Dubbins, dont le syndicat réclame également la libération du leader kurde Abdullah Ocalan, a déclaré que la libération d'Ocalan était plus importante que jamais et serait le thème d'un futur congrès du syndicat.

Margaret Owen, MBE, juriste spécialisée dans les droits humains, récemment en Turquie pour assister au procès de Selahattin Demirtas, le dirigeant kurde emprisonné et actuellement candidat à la présidence depuis sa cellule, a déclaré que les procès en Turquie étaient « totalement injustes, purement politiques » et le résultat de « fictions extraordinaires ».

Le verdict (ci-joint), ainsi que la vidéo de l’ensemble de la conférence sont consultables en ligne, sur le site dédié à la session du TPP sur la Turquie et les Kurdes : http://tribunal-turkey-kurds.org/.

Pour plus d’informations, vous pouvez contacter le comité de coordination à cette adresse : info@tribunal-turkey-kurds.org.