Fête à Macron : et (presque) tout le monde déteste Jupiter !
Le 5 mai, un collectif de militants proches de Nuit debout, dont Frédéric Lordon et François Ruffin, appelle à se réunir pour une manifestation pot-au-feu. Traduction : lors de ce rassemblement festif, chacun est invité à venir avec ses revendications, ses colères et ses espoirs à ajouter au chaudron commun pour faire monter la pression. Une manifestation festive pour "faire sa fête à Macron" et mettre en échec cette politique qui broie l'humain au profit de quelques très riches. Analyse et coup de gueule.
Allumer le feu ? On n'est pas certain que "Jauni" Hallyday aurait aimé que son célèbre tube serve la contestation politique et sociale. Alors qu'Emmanuel Macron a accusé Jean-Luc Mélenchon d'être un "pyromane indigné", François Ruffin a répliqué ce matin sur l'antenne de France Inter dans la matinale au micro de l’inénarrable Nicolas Demorand. "Je suis un pyromane indigné parce que je cherche à rallumer le feu de l'espoir dans le cœurs des gens", a déclaré le député de la France insoumise. "Et 'Allumez le feu' c'est une chanson de Johnny. Je ne sais pas si Gérard Collomb va vouloir l'interdire aussi", a-t-il ironisé.
La fête à Macron se veut en tout cas une occasion de faire coaguler les revendications, les colères contre les "macronomics" et les espoirs d'une autre politique. Comme l'explique le texte de la page Facebook de l'événement créée pour rassembler très largement demain, "partout ça résiste : les cheminots évidemment, les facs également, Air France, les hôpitaux, les EHPAD, les éboueuses, les caissiers, les électriciennes, les femmes, les racisés, les chômeuses..." Car, comme le rappelaient les organisateurs lors de la conférence de presse de mercredi dernier, "il existe dans tout le pays un niveau de mobilisation qu'on n'a pas connu depuis longtemps". D'où cette idée de créer un trait d'union entre tous ces mouvements de protestation. "Si ces ruisseaux de colère convergeaient, quel fleuve puissant ils formeraient !" écrivent les organisateurs. "Il y a autre chose aussi, moins visible, plus souterrain, mais plus massif, plus explosif : quelque chose qui ressemble à un vaste désir d’autre chose. Quoi ? On ne sait pas, ou pas encore". Ce que souhaitent en effet les organisateurs de la "fête à Macron", c'est que ce rendez-vous soit "le point de départ de quelque chose".
Lors de la conférence de presse organisée dans un café proche de la république, Marion, étudiante à Paris III qui a participé à l'occupation du centre universitaire Censier, évacué depuis par les CRS, explique cette volonté de prolonger les manifestations qui ont eu lieu lors des dernières semaines par un événement festif organisé un samedi pour "permettre aux étudiants et lycéens qui ne peuvent pas bloquer leur établissement de participer à la contestation politique et sociale". "Nous avons besoin d'une victoire, cela fait trop longtemps que nous n'avons connu que des défaites" regrette Emmanuel, journaliste syndiqué au SNJ CGT, qui rappelle que depuis que Macron est là, le contexte -avec la loi sur le secret des affaires et celle attendue sur le fake news- est de plus en plus difficile "pour les journalistes qui veulent faire leur travail". Catherine Fayet, syndicaliste Sud santé et qui travaille dans les hôpitaux de l'Essonne, dénonce "la souffrance" dans le milieu hospitalier, "les privatisations et la casse des statuts", avant d'évoquer les luttes des EHPAD. Les organisateurs, qui ont lancé une cagnotte sur le pot commun, comptent parmi eux François Ruffin, absent lors de la conférence de presse, mais il serait simpliste de croire que l'idée de cette fête a jailli au QG de la France insoumise. C'est ici plutôt le Ruffin de "Merci patron !" et de Nuit debout, qu'il faut évoquer.
D'ailleurs, les autres militants du collectif -étudiants, chercheurs, intermittents, personnel hospitalier et cheminots, journalistes et postiers- ne sont pour la plupart encartés dans nul parti politique et lorsqu'ils sont syndiqués, ce sont des militants de terrain, pas des apparatchiks. Beaucoup, on l'a dit, se sont connus lors de Nuit debout. Ils forment des groupes, des collectifs, affinitaires ou non, qui se retrouvent dans les manifs, les meetings, les fêtes et les bourses du travail. Depuis Nuit debout, ils ont fini par développer des réseaux de solidarité qui leur permettent de se mobiliser et de mobiliser. Ils ne sont pas les seuls. Des milliers de gens -et pas seulement à Paris- ont pris l'habitude de se retrouver et se regrouper depuis 2016 et les manifestations violemment réprimées contre la loi travail. C'est l'un des effets de la répression que de souder ses cibles. Il faut être familier des hiérarchies verticales, comme Macron, pour imaginer qu'un tel projet collectif comme celui de cette "fête à Macron" ait été ourdi dans son coin par le leader des insoumis. Quant à Frédéric Lordon, il appelle à "décheminotiser le mouvement social lancé par les cheminots" afin que chacun puisse y trouver sa place. Il rappelle la cohérence générale des politiques ultralibérales mises en oeuvre depuis l'élection d'Emmanuel Macron et synthétise ce qui les regroupe autour d'une formule qu'on a vu fleurir de Notre-Dame-des-Landes à Bure, en passant par les gares et les facs. La lutte contre les projets de Macron "et son monde". Ce qui est certain, c'est que les révoltes ont aussi besoin d'humour et de joie.
Comme les autres organisateurs, Frédéric Lordon refuse de répondre à la seule question qui intéresse les journalistes présents à la conférence de presse : la position des organisateurs face à la violence. Oui, il y aura un service d'odre et même deux. Car depuis le 1er mai, c'est la grande hantise des médias mainstream et du gouvernement : les black bloc sont clairement dans le viseur et chaque éditorialiste grassement payé y va de sa suggestion sur comment les interdire et les mettre en prison, sinon ça n'est pas drôle. Ces commentateurs oublient l'une des informations capitales à tirer de cette manifestation et que relève sur un blog du Monde Julia Pascal : "en réunissant 14 500 personnes, dont 1 200 black blocs, le cortège de tête n’a jamais autant semblé défier l’ordre politique".
Aussi n'ont-ils abordé la fête à Macron prévue ce samedi à Paris, mais aussi dans de nombreuses autres villes de France, que sous l'angle sécuritaire. Avec cette façon de disséquer sous toutes les coutures l'expression "faire sa fête à quelqu'un". "Les contestataires de samedi feront-ils la fête à Macron, ou sa fête ? " s'interroge anxieux le linguiste Julien Longhi, qui note -pour BFMTV.com- à quel point "un élément très discret (...) renverse la polarité de la formule, qui devient alors une antiphrase". "Cela joue sur un côté festif, tout en étant assez fort, potentiellement violent", s'alarme très sérieusement le professeur en sciences du langage à l'université de Cergy-Pontoise. Comme si des milliers de sans-culotte allaient débarquer samedi place de l'Opéra avec des piques. En tout cas, l'argument -festif mais potentiellement violent- est repris mot pour mot par Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement.
Les médias mainstream sont en train de complètement rater ce qui se passe dans le pays. A force d'invisibiliser les grèves, les manifestations, les occupations, qui ne sont abordées que sous l'angle de la casse ou des dégradations, à force de zapper l'analyse de la situation politique et sociale au profit de feuilletons ineptes -l'héritage de Johnny, les divers faits divers, l'islam et la laïcité-, dont on déduira qu'ils intéressent le plus grand nombre après les avoir matraqués jusqu'à l'overdose, les médias sont en train de rater totalement le coche de ce qui est en train de se passer. Car depuis quelques mois, et surtout depuis l'entrée des étudiants dans le mouvement social, il est évident que Macron, qu'on nous vendait comme LE dirigeant jeune, moderne, avec le vent en poupe et son bouquin "révolution", n'est jamais qu'un représentant du vieux monde. Tous ces éditorialistes qui s'imaginaient enfin être à la page grâce à lui, se retrouvent en fait totalement à côté de la plaque. A force d'avoir vilipendé les grévistes à la SNCF, les zadistes et raillé les étudiants et leurs diplômes en chocolat, ils n'ont pas vu venir cette lame de fond qui monte des profondeurs d'une société blessée et rétive aux réformes en cours, dont la contestation est une forme de dignité. On peut les comprendre. A force d'avoir trituré les sondages dans tous les sens pour leur faire dire ce qu'ils ne disent pas, ils ont fini par croire à ces chiffres avec lesquels ils trichent pour que Macron puisse se mirer dans ce miroir flatteur.
Celui-ci devrait s'inquiéter de ces courtisans tellement obséquieux qu'à force de chanter ses louanges sur tous les tons, ils finissent par lui masquer la réalité sociale. Tous ces thuriféraires de Jupiter seraient bien inspirés d'aller dans les AG des cheminots, des hôpitaux, des postiers, des éboueurs, celles des étudiants, y compris de Science Po et de Normale Sup, pour prendre la température d'un pays qui résiste plutôt que de multiplier les micro trottoirs foireux et de guetter la prochaine vanne de Guevara sur Twitter, ce compte parodique qui fait parler le chien de la commune de Tolbiac. Étaient-ils à Normale Sup mercredi soir, pour un colloque intempestif contre la réforme ORE "et son monde'" ? 1500 personnes réunies dans la cour de l'école de la rue d'Ulm pour écouter les philosophes Giorgio Agamben et Antonia Birnbaum, la politiste Johanna Siméant Germanos et Frédéric Lordon. Et pour applaudir à tout rompre Gaël Quirante, l'un des héros du moment qui résiste depuis des années à la Poste, des syndicalistes de Sud rail mais aussi des étudiants qui aident les réfugiés à retrouver des rêves et des projets en reprenant des études.
Tout un monde qu'ils ne croisent jamais et dont ils n'ont même pas idée. A force de publireportages sur les "jeunes pousses", ils ont fini par croire à cette jeunesse de la start up nation à qui Macron proposait déjà en 2015 de devenir milliardaires. Comme jadis Guizot, ce ministre de la monarchie de juillet qui aurait lancé ce mot célèbre et cynique : "enrichissez-vous". Ceux-là croient que la France est -enfin- entrée dans le grand bain de la modernité capitaliste puisqu'ils ne voient le monde qu'à travers les infos qui circulent sur leur smartphone ou à la télé. Ce qu'ils ne savent pas, ces commentateurs et éditorialiste qui cachetonnent sur les chaînes d'info, c'est que de moins en moins de monde les regarde ou les écoute.
Les startuppers en vérité ne font rêver qu'une petite minorité. Pas plus le premier d'entre eux, Emmanuel Macron. Depuis quelques jours, le "jeune président" qui plaît tant au magazine Forbes, celui des milliardaires qui lui a offert sa Une sous le titre "Leader of the free markets" (et à qui il a annoncé la fin de l'exit tax), est apparu terriblement ringard. Quant aux explications de texte sur le sens de "la fête à Macron", rassurons-les tout de suite. Il faut être vraiment coupé d'une réalité partagée par beaucoup pour ne pas comprendre que nous sommes nombreux à avoir envie de la joie et le bonheur de faire un pied de nez, un doigt et un bras d’honneur aux chefs, aux patrons, aux puissants, aux dominants. Et de faire mordre la poussière à leur inlassable VRP. Que ces gens puissent sérieusement trouver que le titre de cet événement est ambigu et potentiellement violent est risible.
Car ce qu'ils oublient c'est que dans les manifestations on rigole aussi beaucoup et que la créativité y est sans limite en matière de punchlines. Mais comme ils n'y vont jamais, comment pourraient-ils le savoir ? On y retrouve cet humour contestataire ravageur qui est aussi la marque d'un certain "esprit français", expression que nous employons entre guillemets car elle ne signifie nullement un ralliement à une quelconque fibre nationaliste. Il arrive en fait à Macron ce qui arrive souvent aux premiers de la classe et aux premiers communiants. Personne n'osera l'avouer à haute voix (et surtout pas aux sondeurs qui sont terriblement sérieux), mais ce que tout le monde attend c'est qu'ils se ridiculisent. Et c'est exactement ce que nous sommes nombreux à guetter : faire chuter Jupiter de son piédestal. Macron, dont l'arrogance et la vanité sont désormais connues de tous -même de ceux qui le soutiennent- a été bien mal inspiré de se choisir ce surnom du roi des dieux de l'Olympe. On lui conseillerait plutôt d'aller brûler un cierge devant l'effigie de Sainte-Rita, la patronne des causes perdues.
Véronique Valentino
Appel des organisateurs de la fête à Macron
La fête à Macron ne sera ni une kermesse ni la marche d’un parti. Nous sommes des animatrices et animateurs du comité d’organisation de la « Fête à Macron », comme nous étions hier des nuit-deboutistes actifs, mais écrivons ce court texte en notre nom propre pour nous adresser à vous, lecteurs de Paris-Luttes.info, ami.e.s et camarades.
Ce qui nous anime, c’est la convergence des luttes, c’est l’ouverture d’espaces publics, dans la rue ou sur les places où l’on puisse se rencontrer, dialoguer et prendre conscience de ce qui nous unit. Nous sommes politiques, nous sommes militants, nous sommes anticapitalistes.
Depuis 2016, nous sommes solidaires du cortège de tête. Nous avons écouté les débats durant Nuit debout sur la nécessité de concentrer nos énergies sur l’ennemi commun. Nous avons subi la violence policière, nous nous sommes équipés pour continuer à manifester avec plus de sécurité. Nous acceptons les divergences de pratiques car - la ZAD en a fait la démonstration - nous reconnaissons leur complémentarité lorsque cela est fait dans un esprit stratégique et coordonné.
Nous sommes pour l’autogestion et l’esprit initiative, et contre les formes de leadership charismatique, et plus encore lorsque ces traits ne seraient prêtés qu’aux « grands hommes ».
Nous participons en tant que militants, ni encartés ni syndiqués, à l’organisation du 5 mai et y avons toute notre place. Quoi que les médias en disent, c’est bien cette dynamique d’union qui nous a séduits et à laquelle nous avons travaillé d’arrache-pied un mois durant.
Nous n’organisons ni une kermesse ni la marche d’un parti. Nous ne décrétons pas la convergence : nous travaillons à offrir un cadre pour tenter de renouveler ces marches dont l’ennui et l’inefficacité politique nous ont poussés au débordement.
Mais, société du spectacle oblige, le Black Bloc prend médiatiquement le pas sur les autres modes d’actions. Si cela se produisait le 5, nous craignons que les luttes que nous ferons apparaître en tête de notre cortège « pot-au-feu » soient invisibilisées, que nos armes, l’humour et la dérision soient neutralisés.
Nous refusons que la violence répressive s’ajoute à la violence sociale et physique que vivent déjà les personnes qui formeront, à notre demande, le carré de tête (gens des luttes, grévistes, chômeurs, sans domiciles, sans papiers...).
C’est pourquoi nous souhaitons que ce 5 mai soit respecté pour ce qu’il veut être. Nous avons besoin de joie, de renforcer nos liens, et aussi de solidarité avec celles et ceux qui sont en grève depuis longtemps. On est là pour soutenir le moral des troupes, prenant le pari de faire baisser le moral de nos ennemis communs.
Nous aimerions pouvoir nous charger de l’animation pour cette fois et montrer qu’une troisième voie peut exister pour tous, dans un cortège débordant de créativité, irrévérencieux, debout et le poing levé.
Vous êtes tout.e.s fraternellement invité.e.s ! Bisous les licornes !
Les organisateurs