Leçons lentes des jours intenses et rapides, par Arnaud Maïsetti
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Leçons des jours sans lumière : même dans ces jours, la terre continue de vibrer à sa manière, terrible et efficace, d’un bout à l’autre d’une galaxie dont nous ignorons tout, si ce n’est qu’on est pris en elle dans l’ignorance. Le monde comme une courbe légère et inarticulée dans le destin des choses sans avenir. Le monde comme se pencher dans le vide en calculant la profondeur, sans voir qu’on tombe aussi. Le monde comme une comparaison impossible. Le monde, comme un mot qui ne dirait rien de lui : au réveil, les images étaient précises pourtant.
On a fait dans la chambre plusieurs trous pour laisser l’air passer plus facilement. L’habitacle d’une vie est à l’image de nous-mêmes : il faut les percer de part en part pour qu’un souffle passe de l’extérieur et rendre l’intérieur vivable. J’ai regardé longuement ce matin l’un des trous – une aération ingénieuse fait de mille trous. On voit le dehors depuis le dedans. Ce n’est pas une fenêtre, on ne me voit pas du dehors. On voit la lumière se décomposer pour aller dans la chambre et sortir par l’autre trou. En faisant le trou, ils ont failli percer une poutre cachée dans le mur, entre deux pierres tassées sous la poussière. Image encore, mais de quoi ? Moi je regarde la lumière passer comme des manifestants sur l’état invivable du monde.
Le monde, j’apprends que dans les câbles sous-marins grâce auxquels je le reçois, est traversé de lumière capable d’en faire le tour sept fois en une seconde. C’est évidemment inimaginable : restez sans respiration une seconde, et vous ne pourrez pas compter jusqu’à sept. Le monde vient, pourtant, à la surface de l’écran qui vient le recueillir, et qu’il faudrait insulter. L’insulter sur l’écran ne suffit pas : il faudrait dans la rue qu’on soit davantage que le monde entier pour cela.
Leçons des jours passés : aucune vraiment. J’ai marché dans Rome comme si c’était possible, de marcher dans Rome – comme un voleur –, et j’ai regardé les statues, en songeant à d’autres, enfermées dans les sous-sols du Louvre, c’était dimanche ; lundi, j’ai travaillé le matin sous la pluie de Marseille et répondu à mille mails inutiles l’après-midi ; mercredi, j’ai roulé jusqu’à Aix et roulé jusqu’à Marseille, comme un boulier ; mercredi, j’ai fui les hurlements des perceuses et des pierres massacrées sous la poussière en trouvant refuge dans un café près de la mer, sous la pluie encore, qui tombait comme des rêves ou des corps dont je lirai les noms le soir, abattus par des snipers à deux cent mètres parce qu’ils réclamaient de vivre ; jeudi, j’ai écrit, longuement, sur un spectacle dont j’avais à peu près tout oublié, sauf l’émotion qui le suivait, et le soir j’ai bu du vin syrien avec des camarades ; vendredi : j’ai soufflé longtemps dans une machine, le médecin m’a montré des graphiques, a posé le nom d’une maladie d’enfance dont je pensais mon corps quitte, et j’ai vu ma peau réagir à des tests comme un révélateur, j’ai conduit dans Saint-Barnabé en pensant à Alix Cléo Roubaud, et j’ai regardé la mer comme s’il y avait une leçon à tirer de tous ces jours ensemble qui retardent les révolutions.