L'AUTRE QUOTIDIEN

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#Parcoursupercherie : le gouvernement tente de rassurer, l'inquiétude s'accroît

Les futurs bacheliers ont reçu hier soir les premières réponses à leurs voeux formulés dans Parcoursup. Selon le ministre de l'éducation nationale la moitié d'entre eux devraient avoir droit à une réponse favorable. Ce qui laisse tout de même des centaines de milliers de lycéens dans l'incertitude. D'où une forte inquiétude, qui s'est traduite dès hier matin par des blocages ou tentatives de blocages de nombreux lycées.

Blocus du Lycée Corot, à Savigny-sur-Orge, le 22 mai 2018.

 

Depuis 8 heures, plusieurs lycées ont fait l'objet de tentatives de blocage. C'était le cas au lycée Hélène Boucher, dans le 20e arrondissement de Paris, au lycée Victor Hugo, dans le 3e arrondissement, mais aussi au lycée Racine, dans le très chic 8e arrondissement, où se trouvait ce matin le président de l'Union nationale lycéenne (UNL). Plusieurs occupations d'établissements ont eu lieu également en banlieue parisienne et en province, comme à Strasbourg, au Mans, ou à Besançon et un peu partout dans l'hexagone.

Selon Louis Boyard, président de l'UNL, mobilisé depuis plusieurs mois contre la loi Orientation et réussite étudiante et sa première traduction concrète, l'algorithme Parcoursup, même dans les lycées cotés de Paris, "les lycéens sont inquiets". D'autant que, toujours selon le syndicaliste lycéen, qui évoque une situation de "panique", "il n'y a eu aucun accompagnement" des élèves et de leur famille, alors que "le processus de sélection est flagrant". Frédérique Rolet du SNES FSU -syndicat majoritaire de l'enseignement secondaire- cette panique s'est notamment traduite par le recours à des officines privées payées rubis sur l'ongle pour fournir conseil et assistance à des familles désemparées.  

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C'est en effet ce mardi, à partir de 18 heures, que les futurs bacheliers recevront les premières réponses aux vœux qu'ils ont formulés dans la plateforme Parcoursup. Pour les filières non sélectives, ces réponses sdont au nombre de quatre : "oui" pour une acceptation, "oui si" pour une acceptation conditionnée à l'obligation de suivre une formation complémentaire, "en attente d'une place" et même "oui si - en attente". Seuls les vœux émis en vue d'une formation sélective ou en tension pourront se traduire par un "non" ferme et définitif à ce stade. Les élèves en attente au 22 mai pourront ensuite se voir proposer des places au fur et à mesure que les premiers admis libéreront des places.

Image issue du diaporama "Répondre aux élèves et à leurs familles après le 22 mai", diaporama diffusé par le Service académique d'information et d'orientation (SAIO) de l'académie de Versailles (document du rectorat de Versailles de mai 2018).

Ce qui fait dire au SNES FSU -syndicat majoritaire de l'enseignement secondaire- que "cela va créer pour les lycéens un stress permanent" alors que se profilent pour la mi-juin les premières épreuves du Bac et que les élèves de terminale sont en pleine révision. Le site du ministère va dans ce sens puisqu'il enjoint les candidats à "consulter régulièrement [leur] messagerie personnelle, la messagerie intégrée à Parcoursup ou l’application Parcoursup sur [leur] téléphone portable". On imagine la tension créée par ce suspense de chaque jour qui pourrait durer théoriquement jusqu'au 5 septembre...

Le ministère de l'éducation nationale et celui de l'enseignement supérieur n'ont donc pas ménagé leurs efforts pour tenter de rassurer des élèves déboussolés face à un processus de sélection qui ne dit pas son nom mais qui ressemble à un parcours du combattant, le flou en plus. Jean-Michel Blanquer a tenté d'éteindre le feu qui couve sous la braise en expliquant que plus de la moitié des 810 000 élèves inscrits dans Parcoursup devraient recevoir une réponse favorable dès ce mardi 22 mai.

Image issue du diaporama "Répondre aux élèves et à leurs familles après le 22 mai", diaporama diffusé par le Service académique d'information et d'orientation (SAIO) de l'académie de Versailles (document du rectorat de Versailles de mai 2018).

Ce que conteste l'UNL, pour qui ce chiffre est largement surévalué. "Nous estimons nous que 200 000 élèves seulement recevront une réponse favorable correspondant aux vœux qu'ils ont émis. Pour les 200 000 autres, ce sera une réponse favorable mais uniquement sur les vœux de secours". Car, toujours selon l'organisation lycéeenne, de nombreux professeurs ont conseillé aux lycéens de sécuriser leurs chances d'accéder à une formation supérieure en formulant des voeux par défaut. L'UNL estime même qu'à l'issue de Parcousup, en septembre, 30 000 lycéens pourraient rester sans affectation.

Certains rectorats semblent avoir anticipé cette tension, car ils ont distillé aux personnels de l'académie des arguments qui se veulent rassurants mais qui en disent long sur la sélection mise en place. L'exemple du rectorat de Versailles est assez parlant, comme le montre les éléments de langage révélés par le SNES FSU. D'abord, indique le rectorat, il faut "rassurer les familles", en leur expliquant que le 22 mai n'est que le début du processus. Ensuite, il faut "les faire patienter", le temps de laisser les candidats admis se déterminer et libérer des places. Troisième point de cet argumentaire : rappeler la possibilité de s'engager dans la "procédure complémentaire", qui permet aux lycéens n'ayant reçu aucune réponse favorable de postuler, mais uniquement là où il reste des places vacantes, à partir du 26 juin, c'est-à-dire en pleine période d'examen.

Plus étrange dans cet argumentaire du rectorat de Versailles, les personnels sont invités à rappeler aux candidats déçus que "des voeux en apprentissage sont encore possibles". Sous réserve de trouver un contrat d'apprentissage, "mais il devrait être possible d'être accompagné dans ses démarches", tente de rassurer le rectorat. Cette référence à l'apprentissage en dit long sur la sélection sociale effectuée via Parcoursup. Toujours au titre de ce plan de secours préconisé par le rectorat, les personnels sont incités à proposer aux déçus de Parcoursup "une solution alternative". En renvoyant au passage la responsabilité de l'échec aux lycéens eux-mêmes. "Est-ce que les choix initiaux étaient cohérents avec leur parcours et leurs compétences", "d'autres établissements peuvent-ils les intéresser" ? Autant de questions que le rectorat de Versailles invite à poser aux recalés de Parcoursup, pour les convaincre d'accepter une formation par défaut.

Image issue du diaporama "Répondre aux élèves et à leurs familles après le 22 mai", diaporama diffusé par le Service académique d'information et d'orientation (SAIO) de l'académie de Versailles (document du rectorat de Versailles de mai 2018).

En effet, quand on regarde le calendrier de Parcoursup, la quasi totalité des places répondant aux vœux effectivement formulés par les aspirants étudiants seront attribuées entre le 22 mai et le 17 juin (voir "les délais à respecter" via cet article de LCI). Ce qui fait dire à Louis Boyard de l'UNL, que "ceux qui seront pris après le baccalauréat seront ceux qui sont orientés vers des filières qu'ils n'ont pas choisies". Ce que le syndicaliste traduit par "filières poubelles". "Ce sont les filières où il faudra caser des gens et on rentre là dans un mécanisme très pernicieux de tri social", explique Louis Boyard. Dans une vidéo qui date du mois dernier (voir ci-dessous), le président de l'université parisienne Paris-Descartes (Paris V) -dont l'établissement a reçu 100 000 demandes pour 5800 places-, explique qu'il classe les candidatures "en fonction des notes de terminale et du bac français mais algorithme tient aussi compte du lycée d'origine du candidat". Un moyen de favoriser les élèves provenant des établissements les plus cotés, qui sont majoritairement issus des classes supérieures.

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Reste aussi le cas des universités où des enseignants se sont mis en grève et ont refusé de classer les candidatures. A Lyon-II, la présidente, Nathalie Dompnier, opposée au principe du classement des élèves, avait proposé d'accepter "sans condition toutes les candidatures, tous baccalauréats confondus, dans les filières qui ne sont pas sous tension». A l'université de Bordeaux-Montaigne et à celle de Poitiers, les équipes ont pris des décisions similaires. Au risque de devoir accepter tous les candidats puisque avec Parcoursup, toute réponse favorable vaut acceptation définitive. A Lille, les enseignants de science politiques ont également refusé d'établir un classement, car ils estimaient ne pas avoir suffisamment de moyens pour mener cette mission dans de bonnes conditions, avec 15 enseignants pour 2 500 demandes. Les enseignants récalcitrants auraient reçu une lettre du ministère les menaçant d'une sanction.

Pour le SNES FSU, le risque est qu'avec Parcoursup, on ait, à l'issue de la procédure de sélection, deux fois plus d'étudiants sans solution qu'avec la plateforme honnie APB. "Pour les candidats sans solution au mois de septembre, ce sont les rectorats de région qui devront proposer une affectation, parfois très éloignée géographiquement mais aussi sans rapport avec les voeux formulés", explique Frédérique Rolet. Le gouvernement a en effet mis en avant les bugs de la précédente plateforme et le tirage au sort effectué dans les filières en tension pour justifier sa réforme et la sélection à l'entrée de l'université. Pourtant, le nombre d'étudiants laissés de côté par PAB était relativement faible : au 11 septembre 2017, seuls un peu plus de 3 000 lycéens n'avaient pas trouver de place à l'université, dont 157 seulement étaient issus d'un bac général (filières S, ES et L). Mais ce sont ceux-là qui ont fait le plus de bruit, et notamment ces bacheliers de la série S avec mention, qui critiquaient un recours au tirage au sort dans les filières en tension. Tirage au sort que le président Macron, nouvellement élu, s'était engagé dès l'été 2017 à supprimer.

Avec Parcoursup et les algorithmes locaux -bien protégés par le secret des délibérations-, ce sera chose faite d'ici septembre 2018. Grâce à la sélection, malgré les dénégations de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Car pour donner à chaque lycéen une chance d'intégrer une filière choisie, il aurait fallu investir dans l'enseignement supérieur afin de répondre au boom des naissances des années 2000. Entre la rentrée 2011 et celle de 2016, le nombre de bacheliers de l’année qui ont fait leur entrée dans l’enseignement supérieur a bondi de 14 %, expliquait le Monde en novembre 2017. Un boom démographique qui devrait se répercuter sur l'enseignement supérieur jusqu'en 2025 et qui explique pourquoi le gouvernement Philippe s'est empressé de voter la loi ORE. "On peut mettre en place tous les systèmes qu'on veut, explique Frédérique Rolet du SNES FSU, si on ne réalise pas les investissements nécessaires, aucune solution n'est possible sans sélection".

Avec 19 000 places supplémentaires annoncées par Frédérique Vidal, on en est loin. Le même manque de moyens risque bien de transformer les "oui si" en casse-tête pour les universités qui n'auront pas franchement les moyens ni le temps de mettre en place de vrais parcours aménagés pour les étudiants qui auront été admis sous condition. La procédure Parcoursup devrait donc réserver de nombreuses surprises et bugs. Mais il faut se souvenir que ce sont précisément les bugs attribués à APB qui ont permis de faire passer la pilule amère de la loi ORE. Ceux de Parcoursup permettront-ils au gouvernement d'aller encore plus loin encore dans la sélection ? Réponse sans doute en septembre.

Lycée Joffre à Montpellier le 22 mai 2018.

Véronique Valentino

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