L'AUTRE QUOTIDIEN

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S'arracher au temps présent grâce à Amargi de Judith Bernard

Amargi se joue en ce moment à la Manufacture des Abesses. Amargi, c’est l’anti-tragédie de la dette, la possibilité de déconstruire le « C’est comme ça » en comprenant l’histoire de la monnaie, de la banque, de l’économie mondialisée, et des mécanismes du capital.

L’entrée des acteur.rice.s se fait par la grande porte du théâtre. Il fait déjà très chaud. Et au fur et à mesure du spectacle nous serons en fièvre. Enfiévrés même, car les premières répliques parfaitement écrites autour de l’endettement « courant » de la société : crédit immobilier, crédit à la consommation, crédit revolving, ré(ai)sonne avec force dans tous les esprits.

« C’est comme ça ! », « On y peut rien ! », leitmotiv mille fois entendu, comme si les alternatives n’existaient pas. Mais l’histoire dit autre chose.

D’ellipses en ellipses, nous faisons des sauts dans le temps… Antiquité, naissance des banques, naissance de la monnaie, création du crédit, etc. Toutes les scènes dialoguent avec l’histoire de cette dette, la fameuse dette… celle engendrée par les intérêts privés et qui par un tour de passe-passe est devenu celle du public (revoir l’Angle Alpha de la même auteure).

Une boucle sans fin. Une voie sans issue. Une impasse. Vraiment ?

Toute la force de la pièce, de la mise en scène et des accessoires (simples cerceaux, boules en plastiques de toutes les couleurs et de toutes les tailles, fil, malle-ardoise etc.) est d’encourager les possibles, non pas dans une utopie menant au désespoir, mais une utopie menant à des espoirs. Cette espérance est possible en se ré-appropriant le sens du mot « valeur ». En effet, La valeur ne serait pas attribuer à l’argent et à ce que l’on peut acheter avec, mais plutôt attribuer à ce que l’on fait, ou là ce que l’on ne fait pas de nos vies.

En cela,  Judith Bernard, auteure, metteuse-en scène et créatrice du pure player HORS-SÉRIE, déconstruit le « C’est comme ça ! »

Nous avons le pouvoir semble crier cette histoire ! Nous avons l’occasion de changer les choses. De ne pas se figer, d’inventer, de se tromper, d’expérimenter toutes les formes possibles de vie en société sans accepter et sans se soumettre à la pensée dominante.

Si le propos est érudit, il reste audible, encourageant et plaisant, car il est joué, déjoué et rejoué dans un jeu de théâtre sincère, franc et sans détour. Un théâtre où l’histoire quotidienne de chacun.e, prise au piège du capital, peut en réalité s’en libérer. 

On ressort du spectacle, revigoré, avec l’envie de tout renverser, de se battre et surtout avec la certitude de ne pas être seul. Il est rare de voir du théâtre politique dans le sens noble du terme. De remettre du pouvoir, de l’espoir, dans nos cœurs.

Il faut donc remercier Judith Bernard et l’entièreté de la troupe ADA de nous aider si bien et si joyeusement à nous « arracher au temps présent » comme le anti-héros le fait (avec bien plus de douleurs) dans La Jetée de Chris Marker, pour mieux se décaler, penser et agir pour construire des alternatives d’avenir, grâce à la connaissance des histoires passées qui mettent en lumière ce que l’on vit aujourd’hui.

Amargi dont la signification est un moment important dans la pièce, une sorte de « climax » un point de bascule qui éclaire, semble bien une solution, une respiration, une possibilité qui jusqu’ici n’a jamais été tentée. Il faudra vous rendre à la Manufacture des Abesses pour le découvrir et pour faire du présent, un espace de construction de l’avenir éclairé par l’histoire.

Richard Maniere, le 18/05/2018

Amargi, l’anti-tragédie de la dette de Judith Bernard

Manufacture des Abesses, 7 rue Veron 75018 Paris
-> 6 juin 2018, les dimanches à 20h et les lundis, mardis et mercredis à 21h

Avec Judith Bernard, Benjamin Gasquet ou Jean Vocat, Antoine Jouanolou ou Iwan Lambert, Toufan Manoutcheri, David Nazarenko ou Gilbert Edelin. Et Gaston Duchez ou Fred Harranger aux percussions.

Photos : Raphaël Schneider, Stef Burlot et Vincent Blanqui.