L'AUTRE QUOTIDIEN

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Procès des 35 de Lesbos (Grèce) : des migrants condamnés par une caricature de justice !

Le 20 avril dernier s'est ouvert devant le tribunal de Chios, le procès de 35 migrants arrêtés lors d'une manifestation dénonçant leurs conditions de vie dans le camp de Moria, sur l'île de Lesbos. Au terme d'un jugement qui ressemble à une condamnation pour l'exemple, 32 exilés ont écopé de peines avec sursis. Seule bonne nouvelle : tous sont ressortis libres de l'audience. Leurs peines couvraient comme par hasard leurs neuf mois de détention provisoire.

L'ensemble des 35 prévenus doivent être libérés, mais le procès qui s'est tenu devant le jury de la cour de Chios (Grèce), a débouché sur une erreur judiciaire manifeste, avec une condamnation à l'encontre de 32 des 35 prévenus. Ces 35 personnes avaient été brutalement et arbitrairement arrêtées le 18 juillet 2017 dans le camp de Moria de l'île de Lesbos (1), à la suite de ce qui avait commencé par une manifestation pacifique devant les locaux du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO). La cour a prononcé un verdict dangereux, malgré le manque écrasant de preuves, après un procès qui a duré une semaine, a continuellement violé les principes fondamentaux d'un procès équitable selon l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et posé la question de l'impartialité des juges et du procureur dans cette affaire.

Lors du procès (2) des 35 de Moria, 32 des 35 prévenus ont été reconnus coupables de violences envers des fonctionnaires mais acquittés de toutes les autres charges. Les trois personnes détenues par un sapeur pompier hors du camp de Moria ont été relaxées de toutes les charges. Le témoignage à leur encontre a été reconnu comme n'étant pas crédible, le pompier n'ayant pu les identifier correctement devant le tribunal.

Bien que les preuves à l'encontre des 32 autres prévenus se soient révélées tout aussi inconsistantes, les trois juges et les quatre jurés ont unanimement reconnu leur culpabilité. Leur culpabilité a été reconnue sans que le procureur ait pu prouver les éléments constitutifs du délit. Seules des blessures superficielles à l'encontre d'un policier ont pu être démontrées et aucune preuve crédible n'a pu permettre d'établir que les 32 personnes qui ont comparu devant le tribunal avaient agressé le moindre policier. Les policiers qui ont témoigné ont attesté que les 32 prévenus arrêtés dans le camp de Moria étaient coupables simplement parce qu'elles se trouvaient dans la section africaine du camp après les affrontements qui ont opposé plusieurs migrants et des policiers anti-émeute. Cette condamnation qui a été prononcée sur la seule base de la race et de la localisation à proximité de l'endroit où se sont produits les faits allégués constitue un grave précédent en matière d'arrestations suite à des émeutes et des mouvements de protestation.

Les témoins de la défense étaient constitués de résidents du camp de Mytilène et de Moria, qui ont pu confirmer que le camp n'avait à aucun moment été évacué, que des gens avaient pu librement entrer et sortir par les issues à l'arrière et que la situation y était calme depuis au moins une heure avant que les arrestations ne soient effectuées. De nombreux migrants comparaissant devant le tribunal ont attesté qu'ils avaient pris part à la manifestation exigeant la liberté de mouvement afin de pouvoir quitter l'île de Lesbos pour l'intérieur du pays et pour exiger la fin des procédures injustes d'examen des demandes d'asile et contre les conditions de vie déplorables dans le camp de Moria. Ils ont expliqué que les policiers avaient répondu violemment à ce mouvement de protestation avec un usage excessif de gaz lacrymogène contre les manifestants. D"autres ont attesté qu'ils étaient entrés dans le camp alors qu'il était calme où ils ont alors été interpellés violemment lors d'un raid de la police. L'usage de la force par la police a été prouvé lors du procès par des documents médicaux témoignant des blessures subies par les prévenus, des vidéos montrant les arrestations et les dépositions de plusieurs témoins de la défense. Le procureur de Mytilène avait d'ailleurs ouvert une enquête à l'égard de policiers non identifiés pour avoir causé de sérieux dommages corporels à 12 des 35 personnes jugées par le tribunal.

L'audience qui s'est tenue à Chios a été marquée par de graves irrégularités de procédure, notamment par l'absence de traduction pendant la majeure partie du procès et le peu de temps laissé aux prévenus et aux témoins de la défense pour présenter leur version des événements. Une délégation internationale d'observateurs juridiques était présente pendant toute la durée du procès et on attend l'évaluation du caractère équitable de la procédure qu'elle dot publier. Le verdict de culpabilité à l'égard de 32 des 35 prévenus défie toute logique malgré une vidéo témoignant des attaques de la police à l'encontre des migrants et alors que les policiers ayant témoigné se sont avérés incapables d'identifier aucune des 35 personnes ayant comparu.

Ce verdict intervient seulement quatre jours après les arrestations du 23 avril 2018 et les charges retenues à l'encontre de 122 personnes -des Afghans pour la plupart- qui ont manifesté pacifiquement et qui ont été agressés violemment à Mytilène par des petites frappes d'extrême droite avant d'être interpellées par la police. Nous sommes extrêmement inquiets de ce cette décision du tribunal de Chios qui va encourager l'Etat grec à criminaliser ceux qui résistent aux politiques anti-migrants à leur égard.

Les 32 personnes condamnées ont fait appel de leur condamnation à 26 mois de prison avec sursis. Ce jugement est d'autant plus injuste qu'il est bien plus sévère que les sept mois avec sursis demandés par le procureur à l'issue de l'audience. Les 32 personnes condamnées ayant écopé de prison avec sursis, la seule bonne nouvelle, c'est qu'après neuf mois de détention provisoire, les 35 personnes qui comparaissaient devant le tribunal ont toutes été libérées.

Lorraine Leete du centre d'aide juridique de Lesbos (2), 28 avril 2018

Traduction : l'Autre quotidien

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Post scriptum

Alors que s'ouvrait le vendredi 20 avril le procès des 35 de Moria et le gouvernement grec violait un avis du Conseil d'Etat, la plus haute autorité administrative du pays, qui avait considéré le 17 avril, illégale et discriminatoire la pratique des autorités grecques de bloquer les migrants arrivant par la mer dans les cinq îles où, depuis le début de l’année 2016, l’Union européenne a installé des « hotspots » pour filtrer et trier ces personnes. Dès le 19 avril, le gouvernement de Tsipras a présenté un projet de loi visant à légaliser la politique « d’endiguement » des migrants dans les îles. Et le 20 avril (avant même le début de l’examen de ce projet par le parlement), il a publié un décret qui remplace la décision administrative annulée par le Conseil d’Etat et réinstaure cette pratique. 

Parmi les motifs invoqués pour justifier les restrictions à la liberté d’aller et venir imposées par cette politique, le gouvernement invoque la nécessité de mettre en œuvre l’accord UE-Turquie de mars 2016 et les risques « d’appel d’air ». Le 25 avril, 21 organisations ont publié un communiqué condamnant les décisions de la Grèce et la pratique d'endiguement pratiquée envers les exilés. 

Ce communiqué peut être consulté sur la page correspondante du Gisti

Le centre d'aide juridique de Lesbos est une équipe internationale réunissant des avocats, des interprètes et des bénévoles grecs. Le communiqué du centre d'aide juridique de Lesbos peut être consulté ici en version originale (anglais)

Lire les observations judiciaires de Migreurop sur le procès des 35 de Moria ici

Lire le rapport de mission dans les hotspots grecs de Chios et Lesbos, juillet 2016, du Gisti (groupe d'information et de soutien aux immigrés)

(1) Le camp de Moria est le premier des hotspots créés en Grèce par l'Union européenne (75% du financement, les 25% restant étant assurés par la Grèce) pour l'enregistrement et le contrôle des migrants qui arrivent par la Méditerranée. Le camp a été ouvert dans une ex base militaire d'une capacité de 150 places, aménagé pour accueillir 2000 personnes. Dans cette prison à ciel ouvert, les migrants sont confinés sans espoir de sortie. Selon l'ONG Save the children, il accueillait en 2017 plus de 4000 réfugiés. Depuis l'accord signé avec la Turquie en mars 2016, le camp de Moria est devenu un centre de détention géré par la police et l'armée. Il est depuis interdit à la presse. Dans ce Guantanamo grec les conditions de vie sont tellement déplorables qu'en mars 2016, Médecins sans frontières a pris la décision de "suspendre ses activités car les conditions ne permettaient plus d’y délivrer des soins et d’assister la population de façon impartiale et indépendante". Selon les derniers chiffres du gouvernement grec, plus de 15 400 demandeurs d'asile se trouvent sur les îles grecques.

(2) Le procès des 35 de Moria s'est tenu du 20 au 27 avril 2018 devant la cour mixte (réunissant des juges professionnels et des jurés) de Chios.

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