L'AUTRE QUOTIDIEN

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L'introuvable blessé grave de Tolbiac : récit d'une séquence hautement inflammable

Après l'évacuation de l'université de Paris-I Tolbiac, vendredi 20 avril, le site Reporterre publiait en milieu de journée un article affirmant qu'un jeune homme avait été grièvement blessé. Information reprise par le magazine Marianne. Nous avons passé plusieurs jours à tenter de vérifier cette information démentie mardi par le quotidien web écologiste et par un article de Libération. Récit d'une séquence hautement inflammable ou comment cette fake news a enflammé les réseaux sociaux et quelques leçons à en tirer.

Le centre universitaire Paris-I Tolbiac vue de la rue Baudricourt, sur le côté, là où est censé avoir chuté un jeune occupant de l'université.

L'étudiant gravement blessé à la tête après avoir chuté d'une hauteur de trois mètres lors de l'évacuation de l'université Paris-Il Tolbiac n'a jamais existé. C'est la conclusion qui s'impose à la lecture d'un article de Libération publié mardi 24 avril. Ce que confirme le même jour le site Reporterre, à l'origine de cette rumeur, dans un article publié également mardi et titré "Tolbiac : le point sur l'enquête". Le quotidien écologiste qui, dans une volonté de transparence n'a pas supprimé ses précédents articles mis à jour au fur et à mesure avec les démentis successifs, écrivait finalement mardi : "On peut conclure que les témoignages ne sont pas fiables. Il n’y a pas eu de blessé grave à Tolbiac le 20 avril".

A l'Autre quotidien, nous avions d'abord relayé sur notre page Facebook le premier article de Reporterre sur cette affaire -qui au final n'en est pas une- et un article du magazine Marianne. En précisant que l'information restait à vérifier et en faisant état du démenti de la préfecture. Dans un article intitulé "Selon des témoins, un occupant aurait été blessé lors de l’évacuation violente de Tolbiac par la police", un jeune occupant de l'université, que l'article nomme Désiré, rapporte les détails de cet accident grave. « On s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC[Brigade anti-criminalité] étaient à nos trousses. Un camarade a voulu enjamber le parapet pour se laisser glisser le long du mur. Un baqueux lui a chopé la cheville. Ç’a l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles… » Lorsque Reporterre publie cette information, elle n'est encore confirmée par personne, en dehors de ce jeune SDF qui participait à l'occupation de Tolbiac depuis une dizaine de jours.

Mais cette information est reprise dans l'après-midi par Marianne, sous le titre "Evacuation de Tolbiac : un étudiant annoncé gravement blessé". Cet article a depuis été modifié et retitré "Tolbiac : aucun blessé grave n'a été hospitalisé", réassure la police". Dans cet article publié sur son site vendredi 20 avril à 15h35, Marianne cite la réprésentante de l'UNEF de Paris-I Tolbiac Jaspal De Oliveira Gill. Celle-ci "avait dans un premier temps assuré qu'un étudiant se trouvait "dans le coma", avant de mettre cette information au conditionnel tout en maintenant qu'un étudiant avait été "gravement blessé à la tête" et "évacué vers l'hôpital", écrit Marianne. L'information se répand alors comme une traînée de poudre, malgré le démenti de la préfecture de police ci-dessous.

A l'Autre quotidien, nous ne disposons alors que de l'information rapportée par Reporterre et Marianne. Nous décidons donc de nous rendre à Tolbiac, ce vendredi 20 avril, où un rassemblement est prévu à 18 heures. Sur le trottoir, en face de l'université évacuée le matin aux environs de 5 heures du matin, nous sommes plusieurs centaines de personnes. Participent à ce rassemblement des postiers, des cheminots, des étudiants de Tolbiac mais aussi d'autres universités ainsi que bien d'autres personnes, tout simplement révoltées par un climat de répression généralisé. Sous le coup de l'émotion, face à ce qui est présenté comme une évacuation particulièrement violente, les personnes présentes décident de partir en manifestation sauvage par la dalle des Olympiades qui surplombe la rue de Tolbiac. Après un jeu du chat et de la souris avec les policiers qui sont nombreux sur place et quelques poubelles brûlées à hauteur de l'avenue d'Italie, les manifestants rejoignent par petits groupes le centre universitaire Censier, toujours occupé, alors que le jour même Sciences Po et le centre universitaire Saint-Charles ont eux aussi été évacués par les policiers.

Sur place, lors de l'assemblée générale, la rumeur, qui fait état d'un jeune gravement blessé hospitalisé à l'hôpital Cochin, se répand comme une traînée de poudre. Un blessé dont tout le monde ignore le nom. Explication quant à cette absence de précision sur l'identité du blessé, ce serait un sans-papier et non un étudiant. Le lendemain, nous nous rendons au rassemblement prévu devant l'hôpital Cochin à 14 heures. Une centaine de personnes est déjà sur place qui demande que toute la lumière soit faite sur l'incident. Entretemps, dans la matinée, Reporterre a publié un deuxième article qui fait cette fois mention de trois témoins "décrivant comment la police aurait causé un blessé grave lors de l’évacuation de la faculté de Tolbiac, vendredi 20 avril". En plus de Désiré, un deuxième témoin aurait assisté à la chute, tandis qu'un autre a vu le corps par terre, inanimé, avec du sang sortant par la bouche et les oreilles. Et un troisième aurait vu le corps à terre, évacué oar les pompiers. Cette fois-ci, le jeune homme serait à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre.

Dans la matinée du samedi 21 avril, la situation se complique encore avec un communiqué de presse du syndicat Sud Santé de l'AP-HP (hôpitaux de Paris). Celui-ci précise : "de source hospitalière, nous savons qu'un blessé grave a été présenté à la grande garde de neurochirurgie [qui était assurée ce jour là par l'hôpital du Kremlin Bicêtre] mais refusé parce que ne relevant pas de la chirurgie et transféré dans un autre établissement". Interrogé sur ce point précis, le secrétaire fédéral de Sud santé de l'AP-HP (hôpitaux de Paris) nous explique que rien ne permet encore de relier la personne refusée par la garde en neurochirurgie à l'évacuation de Tolbiac. Impossible de connaître la source, qui relève du "secret médical". Mais, devant l'hôpital Cochin, la rumeur évoque désormais un mort et "un mensonge d'Etat". Une journaliste de Mediapart est présente qui tente d'en savoir plus auprès d'un homme que nous appellerons Quentin, qui a participé activement à l'occupation de Tolbiac.  Après la préfecture de police, c'est l'AP-HP qui a démenti, dans un message posté ce samedi 21 avril sur son compte twitter. Mais ces déclarations laissent les manifestants sceptiques, qui continuent à croire qu'un jeune homme est peut-être entre la vie et la mort dans un hôpital parisien, peut-être même décédé.

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Pourtant, le samedi matin, nous avions contacté l'UNEF. Leur service de presse refuse de nous donner le contact de Jalal De Oliveira Gill, qui est injoignable, sans plus de précisions. Tout en précisant qu'ils effectuent des recherches auprès des hôpitaux, ils nous renvoient sur une autre de leurs représentants à Paris-I. Celle-ci devait nous appeler mais nous n'avons jamais réussi à la contacter à l'heure où nous écrivons. Ce qui en dit long sur l'embarras du syndicat étudiant. Nous tentons d'obtenir des informations auprès de Quentin qui a participé activement à la Commune de Tolbiac et qui relaie l'info auprès des médias présents. Celui-ci nous assure que le blessé est un "jeune à capuche". Il nous donne rendez-vous le soir-même sur la dalle de Tolbiac pour un banquet de soutien.

L'après-midi, le syndicat Sud santé de l'hôpital du Kremlin Bicêtre nous a recontacté. Ils recherchent un certain Benoît, dont ils n'ont aucune description. Ils nous confirment qu'aucune personne hospitalisée le vendredi 20 avril ne correspond au cas évoqué par la rumeur qui circule. Il y a bien eu un jeune homme admis pour un traumatisme facial, mais suite à une agression et il a été pris en charge dans le 18e arrondissement de Paris. Nous publions alors une mise en garde sur la page Facebook de l'Autre quotidien, tout en continuant à tenter de vérifier l'information qui circule sur de nombreux sites et réseaux militants. Plus on avance et plus celle-ci apparaît difficilement vérifiable. Des étudiants de Paris-I, l'UNEF, Sud Santé, tout le monde enquête auprès des hôpitaux. Un collectif contre les violences policières a lancé la veille un appel en vue de recueillir des éléments fiables.

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Le samedi soir, à 18h30, il y a moins de monde que la veille, mais tout de même une centaine de personnes, qui picorent paisiblement le buffet aménagé sur la dalle des Olympiades, face au centre Pierre Mendès-France (Tolbiac) gardé par une douzaine de cars de CRS. La portion de la rue Baudricourt, qui jouxte l'université de Tolbiac, est toujours barrée par un cordon de sécurité et des policiers en faction. Là, encore des étudiants, une poignée de lycéens qui peinent à mobiliser dans leur établissement, un enseignant de Paris-VIII, mais aussi des salariés de l'AP-HP, des jeunes du quartier, des habitants d'un comité de défense des services publics et même des syndicalistes de Sud commerce. L'ambiance est étrangement festive compte tenu des informations graves concernant un jeune homme possiblement entre la vie et la mort. "Ils vont refaire Nuit debout sur la dalle ?" s'interroge un jeune manifestant.

Nous retrouvons Quentin, mégaphone en main. Désiré, principal témoin de toute cette affaire, n'est pas là. Il est peut-être à Nanterre. Ou à Paris-III. La victime, elle serait un jeune homme blond, portant peut-être un tee-shirt vert, s'appelant peut-être Benoît et peut-être venu de Marseille pour participer à l'occupation de Tolbiac. Ce qui fait beaucoup d'incertitudes. Quentin nous présente un jeune étudiant de Tolbiac, qui explique être en première année d'histoire. Le jeune homme, que nous nommerons Adrien, et qui se déplace avec des béquilles, nous affirme qu'il a vu des policiers nettoyer des taches de sang au sol. Des déclarations qui ne sont pas cohérentes avec celles reprises par le journaliste de Reporterre, évoquant lui des agents municipaux faisant le ménage. Pire, lorsqu'on demande à Adrien où s'est déroulée cette scène, il indique la façade de l'université, alors que l'accident aurait eu lieu sur le côté, rue Baudricourt, qu'il ne sait d'ailleurs pas situer. Lorsqu'on insiste, il explique finalement n'avoir pas vu de flaques de sang, juste des policiers nettoyer au sol. Et finira par avouer que lui-même n'a pas pu obtenir plus de précisions sur cette affaire. Il s'avère que personne n'est capable de dire comment se nomme l'étudiant blessé, ni à quoi il ressemble.

Le dimanche, le rassemblement sur la dalle est un fiasco. Seuls quelques personnes ont fait le déplacement. On note tout de même la présence d'un étudiant qui se réclame de la commune libre de Tolbiac et un autre, étudiant en gestion de l'université de Versailles, qui dit venir sur Paris autant qu'il peut soutenir les étudiants en grève. Tous deux révisent activement pour leurs partiels, ce qui bat en brèches bien des clichés sur ce mouvement étudiant, qui serait coupé de la grande masse d'étudiants qui ne demanderaient qu'à travailler. Malgré l'assistance clairsemée, Quentin annonce tout de même un rassemblement au parc de Choisy tout proche pour une assemblée générale le mardi 24. Le lundi, nous échangeons brièvement avec Hervé Kempf, fondateur de Reporterre. Celui-ci indique que le journaliste auteur de l'article est en congé et nous apprend que Désiré serait en contact avec un avocat. Il ne sera pas possible de savoir si le jeune homme a fait ou envisage de faire une déposition. Nous contactons aussi le service de communication de la préfecture. Avec quelques questions précises. Combien y a-t-il eu de blessés ? Combien de personnes ont été interpellées ? Et y a-t-il une caméra située sur le centre sportif Charles Moureux qui fait face à la façade du centre Pierre Mendès-France côté rue Baudricourt, là où es serait produit l'accident ?

Nous avons finalement obtenu des réponses mercredi matin. La préfecture qui avait d'abord évoqué une "évacuation dans le calme et sans incident", avant de reconnaître un seul blessé, au coude, pris en charge rue de Patay (Paris 13e, à plusieurs pâtés de maison de l'université) et hospitalisé brièvement aux urgences de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière, a dû reconnaître un autre blessé. Nous publions la réponse qui nous a été envoyée et le moins qu'on puisse dire, c'est que la communication de la préfecture de police de Paris est sibylline et incomplète. Le document reçu ce matin confirme bien qu'un jeune homme a été pris en charge par les pompiers pour "une cheville douloureuse" et conduit également à la Pitié Salpêtrière "à 9h30, soit plus de trois heures après la fin de l'évacuation" et sans qu'aucun "lien direct avec l'évacuation puisse être établi".

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Or, une vidéo, tournée par un reporter du quotidien gratuit 20 minutes (voir le tweet ci-dessous), montre effectivement un face à face pas si pacifique avec un groupe d'étudiants chargé par des CRS, sur le trottoir, à proximité du centre universitaire Pierre Mendès France. Sur les images, on voit un jeune homme qui s'évanouit, que des jeunes filles tentent de remettre debout. L'intéressé, que nous avons rencontré, explique qu'il a pris un coup de matraque sur la tête et a brièvement perdu connaissance. Alors que des étudiantes tentaient de le protéger, des CRS lui auraient ensuite marché dessus. Il aurait alors été évacué par les pompiers à l'hôpital de la Salpêtrière pour une blessure à la cheville et des contusions au pied. Précision : le jeune homme était déjà blessé à la cheville et circulait avec des béquilles. La charge des policiers aurait aggravé une entorse à la cheville dont il se remettait doucement. En tout cas, l'évacuation par les pompiers est certaine, puisqu'elle a même été photographiée par un témoin, comme le montre un image qui circulait sur Twitter.

Il y a donc eu au moins plusieurs blessés ce matin-là, et pas un seul, au coude, comme l'a affirmé la préfecture. Le jeune homme blessé à la cheville souhaitait d'ailleurs contester le compte-rendu de son admission à la Pitié Salpêtrière car, selon lui, les circonstances de sa blessure n'étaient pas correctement précisées et reliées à l'évacuation de Tolbiac. Dans un article publié par Révolution permanente, site du NPA, des étudiants évoquent pour leur part trois blessés : un à la cheville, ce que confirme finalement la préfecture, un à l'arcade sourcilière et une étudiante qui aurait un doigt cassé, citée par 20 minutes et qui apparaît dans une vidéo avec une attelle lui immobilisant deux doigts. C'est à peu près tout concernant les blessés, ce qui ne signifie pas que l'évacuation ait été si calme que le prétend la préfecture. S'agissant des personnes interpellées, la préfecture n'en confirme qu'une, pour outrage et rébellion. Nous n'avons pas d'éléments permettant de penser qu'il y en aurait eu d'autres. En revanche, concernant la présence d'une caméra rue Buadricourt, qui aurait pu filmer un éventuel accident, la préfecture refuse de confirmer. Pourtant, le photographe de presse Nnoman avait posté sur son compte twitter une série de photos qui semblent attester que cette caméra existe bien (voir photos ci-dessous).

Cette caméra est aujourd'hui au centre de toutes les attentions, puisque le dernier article de Reporterre concernant l'évacuation de l'université de Tolbiac en fait mention et demande que les images soient rendues publiques, ce qui permettrait de dissiper les interrogations. Une demande reprise par de nombreux sites militants. La préfecture nous répond que "toute image captée peut faire l'objet d'un examen particulier pour les nécessités de l'enquête judiciaire". Or, selon nos informations, aucune enquête n'est en cours. 

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A l'heure où nous écrivons, l'histoire n'est pas finie. En tout début d'après-midi, mercredi 25 avril, le compte twitter de la commune de Tolbiac publiait un droit de réponse à l'article, présenté comme mensonger, de Libération paru mardi. Il émane de Leïla, dont on apprend qu'elle était l'un des trois témoins cités par Reporterre. La jeune femme, interviewée le 20 avril par le Média TV, média citoyen créé à l'initiative de la France insoumise, dément avoir menti à Libération. Mais ses explications sont confuses. Elle rappelle une pratique du militantisme autogestionnaire mais peu connue du grand public : l'affirmation d'une parole collective, à rebours d'une parole qui ne tirerait sa légitimité que d'une subjectivité individuelle. D'où son affirmation à la première personne du pluriel dans l'interview que "la première chose qu'ON a vu c'est un gars devant les grilles avec la tête explosée et une flaque de sang énorme". Une chose est certaine, elle n'a rien vu. Dans son droit de réponse, Leïla résume le dilemme : "comment après avoir vu la répression violente à Nanterre, la violence de l'évacuation au levé du soleil, et la volonté du gouvernement d'étouffer toute contestation, ne pas prendre en compte les témoignages de ces personnes annonçant un blessé grave lors d'une chute provoquée par les forces de l'ordre ?" C'est en effet un point crucial. Et il faut bien reconnaître que la séquence hautement inflammable qui s'est jouée depuis le vendredi 20 avril, mais qu'on pourrait aussi faire commencer à l'évacuation violente de la ZAD par 2500 gendarmes, a bouleversé bien au-delà de Notre-Dame-des-Landes.

Car la course de cette rumeur folle témoigne de la désillusion de toute une partie de la jeunesse, qui manifeste sans aucun espoir d'être entendue par un gouvernement qui met en scène avec complaisance son intransigeance. Si tant de gens ont pu si facilement croire à ce blessé grave imaginaire, c'est aussi parce que, depuis de nombreuses années, la répression policière a fait d'innombrables victimes. Il y a eu Rémi Fraisse, mais aussi des dizaines de blessés, par des tirs de flashballs, de lanceurs de balles de défense (LBD) ou des grenades de désencerclement. Plusieurs des personnes concernées ont souffert de graves séquelles, souvent au visage et à vie. Les grenades de désencerclement (grenades qui explosent en projetant des billes de caoutchouc durci) ont aussi fait leur lot de victimes dont un jeune homme plongé dans le coma après la manifestation du 26 mai 2016 à Paris. pour ce qui est des LBD, qu'on pense seulement à Pierre Douillard, éborgné à Nantes en 2007 lors d'une manifestation contre la loi LRU (la loi liberté et responsabilité des universités) alors qu'il n'avait que seize ans, à Geoffrey, lycéen de Montreuil gravement blessé au visage (multiples fractures) en 2010 et également âgé de seize ans, ou à Laurent, qui a perdu un oeil le 15 septembre 2016 lors d'une manifestation contre la loi travail. Il y en a eu bien d'autres. Plusieurs collectifs ont vu le jour et mènent depuis un travail de longue haleine. L'assemblée des blessés, le collectif du 8 juillet (Montreuil), face aux armes de la police (Rouen) ou encore Pris pour cible (Toulouse) s'organisent juridiquement et de façon très pratique pour venir en aide aux victimes. En mai 2016, un appel a été lancé sur le site Mediapart par de nombreuses personnalités pour demander l'interdiction de ces armes intermédiaires.

En 2014, l'Association des chrétiens contre la torture (ACAT) publiait un rapport intitulé "l'ordre et la force", une "enquête sur l'usage de la force par les représentants de la loi en France". L'association a documenté les violences policières et leur impunité devant la justice dans un rapport d'une centaine de pages. L'ACAT y écrit qu' "il existe une opacité profonde et un manque de transparence flagrant, et ce quel que soit le gouvernement en place" et dénonce le fait qu' "aucun chiffre ne nous renseigne sur le nombre de personnes blessées ou tuées lors d’opérations de police ou de gendarmerie". Dans ce rapport daté de mars 2016, mais qui ne prend pas en compte les nombreuses personnes blessées grièvement lors des manifestations de 2016 contre la loi travail, l'ACAT dit s'être intéressée à 89 cas d'usage de la force par les policiers entre 2005 et 2015. "Parmi ceux-ci, elle dénombre 26 décès, 29 blessures irréversibles (infirmités permanentes) et 22 blessures graves n’ayant pas entraîné d’infirmité permanente" constate l'association. Sur les années 2005 à 2015, l'ACAT a recensé au moins 39 personnes gravement blessées, "pour la plupart au visage", par les seuls flashballs et lanceurs de balles de défense.

Plusieurs victimes l'ont été à Nantes, ville où la violence policière est particulièrement marquée. Le collectif Nantes révoltée a pour sa part recensé 300 victimes blessées à Nantes et Notre-Dame-des-Landes depuis le 9 avril 2018. Dans un post publié hier sur sa page Facebook, le collectif précise que "ce décompte est sourcé, documenté, confirmé par des témoignages sérieux et concordants, et parfois des images. Parmi ces blessés, plusieurs ont été gravement atteints au visage, notamment par des grenades et des balles en caoutchouc. Certains en garderont des séquelles lourdes." Raphaël Enthoven a donc beau jeu de clamer, sur l'antenne d'Europe 1 que "le blessé qu'on invente c'est le mort qu'on espère". Car les blessés existent bien.

Ce contexte tendu entre manifestants, jeunes étudiants ou des quartiers populaires et forces de police suffit à expliquer qu'une rumeur comme celle du blessé grave de Toilbiac ait pu si facilement enflammer les réseau sociaux et militants. Il n'en reste pas moins vrai que les personnes qui ont colporté ces fausses allégations portent une lourde responsabilité. Non seulement elles se décrédibilisent ainsi que les milliers d'étudiants qui manifestent contre la loi Vidal, mais en plus elles contribuent à banaliser une violence policière bien réelle. Qu'arrivera-t-il si demain un étudiant est réellement blessé lors d'une manifestation ou de l'occupation d'un centre universitaire ? Comme l'écrit Nantes révoltée, il n'est pas responsable d'appeler au loup dans un tel contexte. "Ces personnes portent un tort terrible aux nombreux collectifs qui tentent de se faire entendre contre vents et marées, depuis des années, sur la question de la répression, et qui sont déjà largement disqualifiés par les médias" écrit le collectif. Qui craint que les personnes réellement blessées n'hésitent encore plus "à témoigner, à se faire connaître, et à se défendre, de peur d'être traitées de menteurs". Avant d'exprimer sa colère, "parce que les violences d’État sont déjà quotidiennes, et qu'il n'y a certainement pas besoin d'affabulations sur le sujet". Avec en conclusion, un rappel aux fondamentaux : sérieux, rigueur et solidarité concrète. Un appel au sérieux que la presse alternative doit entendre de toute urgence.

Véronique Valentino

La page Facebook "Etudiants de Paris-I mobilisée contre la sélection et son monde" annonce un rassemblement vérité et justice pour les disparu.e.s de Tolbiac le samedi 28 avril place Saint-Michel.

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