Dia 3 - O fado, minha tristeza, la dérive des Martine's à Lisbonne
Le fado c’est le chant de la saudade. Au-delà de ce cliché, il y a la musique et cette douce mélancolie. L’Alfama est le quartier qui porte en lui les stigmates de toutes ces douleurs. Peut-être devrions-nous écrire, portait en lui les stigmates…
Désirer à contre-courant marcher dans les quartiers populaires de la ville bonne et offerte, c’est se lever tôt. Pour aujourd’hui, c’est déjà trop tard.
Allons marcher dans l’Alfama, devenu une sorte de Montmartre portugais. Une sorte d’anti-thèse de l’authentique. Il y a bien ces casa do fado tellement bien signalées qu’elles sont les pires endroits où l’on aimerait s’arrêter. Le fameux clube do fado, vanté par tous les guides, à tout de l’attrape touriste.
On prend nos jambes à nos cous, traversons les ruelles, déambulons et empruntons des détours pour croiser le moins de touristes à sac à dos et bermudas possibles. Une gageure !
Epuisés on se demande où trouver l’authentique. Ou au moins le sincère, le doux, le simple.
Le tourisme de masse fait mal à la ville. Ne fait-il pas mal tout court et partout ?
Il reste une sorte de douceur. Dans chacune des rues que l’on traverse. Un esprit. Une sorte d’humeur qui souffle et inspire. Une lumière.
Nous qui sommes fascinés par les carrés de céramique sur les murs des maisons, nous décidons de nous échapper et de marcher (encore… un peu moins que la veille, mais 13 kilomètres tout de même). Le Musée de Azulejos n’est pas si loin… Pas si loin… Pas… Si… Loin…
Nous marchons… longtemps. A distance du Tage, sous l’ombre des deux paquebots immenses et immondes, nous marchons. Chemin de fer, des artères improbables où nous sommes les seuls à marcher, cette partie de la ville ressemble beaucoup à celle qui menaient aux docks de l’autre côté, juste derrière nous. Une symétrie dont la Praça do Comercio serait le centre. Il y a aussi des docks et des containers par milliers. L’envers de la mondialisation qui rend tout disponible partout ! Même si Lisbonne à cette histoire évidemment, le capitalisme exagère bien plus la singularité historique de la ville. Un long périple le long d’une banlieue qui abrite les hangars immenses où se garent les TUKTUK nouveau taxis électriques à la mode de la ville. Un hors champ, une invisibilité bien visible, car nous sommes toujours à Lisbonne et surtout nous avons le temps de la voir à pied, et au pied d’elle.
Au bout du Tage sans pouvoir le longer vraiment, nous voici au Musée, derrière ses murs sans faste aucun, ici les Azulejos sont à l’intérieur…
Carré de poésie, l’exposition quoique didactique réserve de pures merveilles. Avant d’être « décoratif », Azulejos raconte, partage, influence, idéalise, transmet des histoires. La beauté se dégage d’une certaine virtuosité dans l’utilisation même de ces carreaux de céramique et de la façon de contraster des espaces : criant dans la chapelle principale où les dorures et le bleu des céramiques donnent un concert de toute beauté.
Une fois encore, le chemin fut très singulier et le retour en taxi une bénédiction. La conversation que j’engage avec le chauffeur nous rapproche sur la pollution criante des paquebots ! Il nous dépose en quelques minutes et quelques euros seulement en haut de la fameuse Praça do Comercio.
Après notre Arroz Marisco du midi, nous avions fait une halte à l’hôtel. Parfaitement situé au cœur du Baixa, la fenêtre ouverte, le bruit des travaux de la ville, des « palavras » de terrasses de la rue piétonne, ont bercés doucement un repos bien mérité. Et c’est beau de vivre la ville à l’arrêt.
De se sentir parfaitement bien sans rien voir, sans rien décider… juste l’écouter, la fenêtre grande ouverte ! Se sentir tout contre elle. Elle qui se transforme, qui change, qui bouge, qui vit, qui souffre… qui souffre aussi beaucoup de ces « touristes » modernes que les paquebots de croisières « dégueulent » pour la journée. À 400km/heure, en chaussures de randonnées, et au pas de charge, tous nous dépassent !
Le touriste ne voit plus rien. Il prend des selfies pour montrer qu’il y était. Il ne sent plus rien, il bouffe comme à la maison. Il n’entend plus rien, il s’extasie devant un accordéoniste approximatif qui joue mal du Edith Piaf, au cœur du Bairro Alto, comme si il se croyait à Montmartre. Il n’achète plus rien, il consomme des souvenirs merdiques pour ramener quelque chose dans sa valise, plutôt que de vivre l’instant exact où il se trouve, entre deux ruelles superbes, ces escaliers infinis et ce Tage qui se confond avec le bleu du ciel.
Nous, contemplatifs, profitant de chaque instant, surtout de celui où l’on se perd, où l’on se trompe, où l’on s’émerveille, nous avons l’air de martiens et ça nous va bien ! Encore un peu, la Saudade et le fado ne nous en voudront pas si l’on ne rentre pas dans cette Casa où l’attitude de celui qui nous y invitait nous a fait penser davantage à un rabatteur de Pigalle à la grande époque des spectacles « porno-live » plus qu’à un maître de cérémonie, connaisseur et garant d’une tradition qui s’avère être de l’improvisation et la nécessité absolue de chanter la tristesse qui traverse l’existence.
Nous fuyons, passons devant une petite « tasca » du bas du barrio alto, ici ça chante le fado, un peu maladroit, mais sincère. Personne n’est devant pour rabattre le touriste. Le chant parvient jusqu’à nous… on ne fait que passer, mais il y a bien encore un peu de ferveur dans les ruelles de la belle !
Le courage ne nous manque plus pour monter un peu au-dessus de notre quartier et noyer notre « tristesse » dans les verres un peu lourd de porto branco sec et l’odeur de cannelle sur nos Pasteis de nata qui nous font définitivement aimer cette ville et la vie qu’on y mène.
Les serveurs ont l’air au bout de leur vie, ils pourraient tout à fait se mettre à chanter le fado, ils pourraient rencontrer un vif succès. Un peu désorganisés, très fatigués, ils redonnent une dimension tout à fait humaine et touchante à ce rythme qui leur est imposé par les allers et venus…
Le bar se vide doucement, alors que le soir avance. Nous restons et profitons, sourions et parlons un peu avec eux, on se sent bien ici. On se ressert un verre.
Saúde !
Les Martine's le 20/04/18
Dia 3 - O fado, minha tristeza, la dérive des Martine's à Lisbonne