L'AUTRE QUOTIDIEN

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La loi asile et immigration bafoue les droits humains et les engagements internationaux de la France

Cette semaine, les députés s'apprêtent à voter le projet de loi asile et immigration. Un projet de loi qui réduit drastiquement les délais des procédures ainsi que les possibilités de recours en cas de refus du droit d'asile et qui allonge les délais de rétention, dans des centres déjà surchargés. Des mesures qui, si elles sont votées, vont considérablement réduire les droits des demandeurs d'asile.

Samedi 14 avril 2018, à 7h du matin, des citoyen.ne.s solidaires ont inscrit "Accueil de merde" sur l'entrée monumentale de l'assemblée nationale avec de la mousse au chocolat", explique sur sa page Facebook le collectif du même nom. Ils entendent dénoncer "la politique de tri et d'expulsion des exil.e.s mis en oeuvre par le gouvernement, qui serait entérinée par le vote de la loi asile et immigration".

Le gouvernement a, une fois de plus, engagé la procédure accéléré, pour faire passer cette réforme du Code de l'entrée et du séjour des étrangers malgré les nombreuses oppositions. Un projet de loi jugé dangereux par les associations de défense des droits des exilé.e.s mais aussi le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la contrôleure des lieux de privation de liberté, le barreau de Paris, le Contrôleur des droits de l'homme du conseil de l'Europe, le Haut-commissariat des Nations-Unies et l'UNICEF. Rappelons aussi les grèves de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), organisme chargé de l'examen des demandes d'asile et celle de la Cour nationale du droit d'asile( CNDA) en février dernier. Les mouvements de grève sont pourtant rarissimes dans ces institutions.

Face à une telle unanimité, le gouvernement fait même pression sur les députés du parti présidentiel qui ont pour une fois quelques états d'âme à voter ce projet de loi liberticide. Même les quelques amendements déposés par des députés de la République en marche ont été retoqués. Et hier, lors de son interview par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, Macron a donné le ton en annonçant qu'il rejetait la suppression du délit de solidarité pour les personnes venant en aide aux migrants -seuls ceux pouvant justifier de sauver des vies échapperaient aux poursuites- et refusé l'interdiction du placement d'enfants en rétention."Sinon, vous ne pouvez matériellement plus expulser quelque famille que ce soit", a justifié Emmanuel Macron. Et les pressions du ministre de l'Intérieur et de Richard Ferrand, le chef de file des députés En marche, se multiplient à l'approche de la date du vote.

A l'heure où débute l'examen par les députés de ce projet de loi défendu bec et ongles par Emmanuel Macron et Gérard Collomb, nous avons souhaité en rappeler les principales dispositions, sur la base de l'analyse qui en est faite par la Cimade, l'une des principales associations de soutien aux migrants, réfugiés et demandeurs d'asile. Pour la Cimade, ce projet de loi ce projet de loi "instaure principalement des mesures renforcées de restrictions, de contrôles et de «tris», à des fins d’empêchement d’entrée ou d’expulsion et de bannissement du territoire". Il va, s’il est adopté par le parlement, "considérablement dégrader la situation d’un très grand nombre de personnes étrangères, par un affaiblissement de garanties et droits fondamentaux, et l’accentuation de la maltraitance institutionnelle", écrit l'association, dans un texte qui le passe au crible. Voici les principales mesures de ce projet de loi funeste.

Des délais raccourcis au détriment des droits des personnes

Sous prétexte de raccourcir les délais d'instruction des demandes d'asile, le projet de loi asile et immigration va considérablement fragiliser la situation des demandeurs d'asile. Il généralise le recours à la procédure accélérée, sans droit à l'hébergement ni à la moindre allocation. Si les personnes demandant l'asile mettent plus de 90 jours à préparer leur demande (contre 120 aujourd'hui) -sachant que cela prend du temps, le secours de traducteurs, d'un accompagnement juridique et humanitaire- leurs demandes seront examinées selon la procédure accélérée. En cas de refus de leur demande par l'OFPRA (Office français pour les réfugiés et apatrides), elles n'auront plus que 15 jours pour saisir -en Français- la Cour nationale du droit d'asile afin de déposer un recours. Recours qui ne sera plus automatiquement suspensif.

L'accueil transformé en instrument de contrôle

Les demandeurs d'asile seront répartis dans les régions -sans tenir compte de leurs éventuelles attaches- et le versement de l'allocation pour demandeur d'asile sera conditionné au fait de demeurer dans la région en question. Mais cette assignation en région ne garantit ni le droit à l'hébergement. Enfin, il grave dans la loi la logique de la circulaire Collomb, en faisant obligation au SAMU social de transmettre la liste des personnes hébergées qui sont réfugiées ou dans l'attente de leur statut de demandeur d'asile.

Le délai de rétention doublé et le recours au juge

Le délai pendant lequel une personne peut être placée en rétention passera de 45 à 90 jours. Et même 135 jours, soit trois périodes de 15 jour supplémentaires, si la personne insiste pour faire valoir ses droits. Le délai de retenue au commissariat pour vérification du droit au séjour passe de 16 à 24 h avec pénalisation du refus de se soumettre à une prise d'empreintes ou de photo par trois ans d'interdiction du territoire. Enfin, la nouvelle loi élargit les conditions d'assignation à résidence. Les personnes pourront être obligées de demeurer quatre à dix heures par jour sur leur lieu d'hébergement. Rien n'est en revanche prévu pour faciliter l'accès aux droits et à l'information. "Lors de cette « rétention hors les murs », à l’abri du regard de la société civile, l’expulsion peut avoir lieu à tout moment, lors du pointage quotidien ou même à domicile. Et dans les lieux d’hébergement collectif, il est demandé aux travailleurs sociaux de devenir des gardiens", précise la Cimade.

La multiplication des mesures de bannissement

La loi élargit les mesures de bannissement de l'espace Schengen, de un à cinq ans. Actuellement, selon la Cimade, 30 % des personnes obligées de quitter le territoire sont touchées par une interdiction de retour. Les mesures d’interdiction de retour sur le territoire, créées en 2011, sont systématisées à l’ensemble des personnes sous le coup d’obligations de quitter le territoire, à partir du moment où elles se sont maintenues en France. Elles pourront en outre faire l'objet d'une interdiction de circulation. Ces mesures vont placer des milliers de personnes dans la clandestinité.

Généralisation de la visio-conférence sans consentement

Le texte de loi généralise les audiences vidéo dans les procédures du droit d'asile. "À la Cour nationale du droit d’asile, devant le tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention, en zone d’attente ou en rétention, la visio-conférence pourra être utilisée sans même que soit requis le consentement de la personne, contre l'avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté. "Effacer du texte de loi le consentement de la personne, c’est comme effacer la présence des personnes étrangères des procédures et des audiences, lors desquelles pourtant, leurs mots, et leur manière de les dire, parfois dans leur langue, peuvent être essentiels" précise la Cimade.

La restriction du droit de demander un titre de séjour

Actuellement, la loi prévoit que le demandeur d'asile peut solliciter un titre de séjour pour un autre motif, parallèlement à sa demande d'asile. Ce droit se heure déjà au refus de nombreux guichets (les GUDA, guichets uniques pour demandeurs d'asile, où sont réunis les services des préfectures et de l'office français de l'immigration et de l'intégration -OFII) d'enregistrer ces doubles demandes.  Le dépôt de la demande de titre de séjour serait encadré dans un délai, au-delà duquel il serait obligatoire de justifier de « circonstances nouvelles ». 

L'atteinte aux droits des enfants de couples non mariés

Le projet de loi entend "lutter contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation des ressortissants français". Concrètement, le texte va fragiliser la reconnaissance des enfants nés d'un parent étranger. Le parent français devra apporter la preuve de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Pour la Cimade, le ministère de l’intérieur s’attaque au code civil et à la procédure de reconnaissance de la filiation. En effet, toute personne devra désormais justifier de son identité et de son domicile pour reconnaître son enfant. "En cas de doute de la part de l’officier d’état civil, s’ensuivrait un véritable parcours du combattant pour justifier de la filiation. En attendant, l’enfant, quel que soit son âge, verrait son nom de famille et son identité laissés en suspens". Ce qui ne manquera pas de générer des situations ubuesques pour ces enfants. C'est déjà la cas à Mayotte où cette procédure est appliquée, note la Cimade.

Véronique Valentino

Lire le texte du projet de "loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectifdans sa version enregistrée à l'assemblée nationale le 21 février 2018 ici

Décryptage du projet de loi par la Cimade (version du 9 avril 2018) 

Consulter la page indiquant les diverses étapes du projet de loi sur le site du GISTI (groupe d'information et de soutien des immigrés).