L'AUTRE QUOTIDIEN

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Change le monde, il en a besoin. Par Arnaud Maïsetti

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Bob Dylan - Political World Bob Dylan

Nouvelle semaine, monde vieux – c’est ce que j’écrirai ensuite, en légende de l’image, bras tendu sur le ciel terrible (il fera beau toute la journée à cause du vent, ou grâce à lui). C’était le matin sur Saint-Charles, et déjà les nouvelles tombaient comme des coups sur le corps : à Notre-Dame-des-Landes où on avait décidé de vivre autrement pour le seul désir d’avoir voulu désirer cela, l’autrement des vies pensées contre les logiques imposées d’un réel en coupe réglée, à Notre-Dame-des-Landes, tout finissait dans les larmes versées par le dépit et les gaz lacrymogènes, et toute la journée on lira sur les fils d’infos les mots de grenade d’encerclement et d’évacuation, de destruction d’habitats auto-construits : monde vieux qui frappe comme un sourd un homme qui invente un nouveau langage.

Il y a un autre monde, et il est dans celui-ci.

La phrase d’Eluard avait du sens, ce matin, à la Gare Saint-Charles, les cheminots entraînent une petite foule avec elle — on sautera au-dessus des tourniquets du métro et on s’engouffrera dans la ville, sans y avoir été autorisé ; on marchera au milieu de la route, et les voitures s’arrêteront ; on passera les ronds-points comme s’ils étaient faits pour nous, et pour cela, et on lèvera les barrières des péages pour que les voitures passent elles aussi, comme si ce monde était à nous, et pas seulement un bien qu’on achète, qu’on loue, auprès duquel on s’endette ; le matin passera comme si on l’avait volé.

Rien ne changera de l’ordre réel des choses mortes qui nous gouvernent ; mais au moins pour un jour, avant d’autres, marcher sur la ville sans y être autorisé délivre du sentiment d’être soumis à elle, aux jours, et au sentiment qui nous dit où la vie s’établit, où elle est inacceptée.

Bien sûr, pendant ce temps, les coups sur Notre-Dame-des-Landes, les menaces sur les amphithéâtres occupés par la joie des étudiants qui reprennent en main leur avenir, les mépris de masse, les droits dans leurs bottes, toutes les consignes, toutes les insultes — bien sûr, pendant ce temps, tout ce qui se poursuit et écrase.

Sur Saint-Charles ce matin, au-dessus de Marseille prêt à s’ouvrir en deux sous le déluge, au-dessus du pays, malgré les mauvaises nouvelles de ce jour qui tombent dans la boue avec des enclos dignes faits de mains d’hommes et de femmes dignes, oui, malgré les crachats de dépit, ou par eux, quelque chose malgré tout comme ce qui précède les commencements.

Arnaud Maïsetti, le 9 avril 2018

Arnaud Maïsetti vit et écrit entre Paris et Marseille, où il enseigne le théâtre à l'université d'Aix-Marseille. Vous pouvez le retrouver sur son site Arnaud Maïsetti | CarnetsFacebook et Twitter @amaisetti.