L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le Parti communiste russe à l’épreuve de la présidentielle du 18 mars 2018

Dix-sept ans après la chute de l’URSS, le Parti communiste de la Fédération de Russie a adopté une nouvelle stratégie pour servir ses idées. Comme lors des précédentes élections présidentielles russes, il présente un candidat lors de la présidentielle qui se tiendra le 18 mars prochain. Et cette fois, il s'agit d'un nouveau venu dont le profil n'est pas vraiment en phase avec les revendications sociales du parti et qui en dit long sur l'influence des oligarques dans le pays. Une correspondance de Maxence Peniguet pour l'Autre quotidien.

 

En ce samedi matin, la neige tombe entre les drapeaux rouges qui flottent place de la Révolution à Moscou. Ils sont tenus pour beaucoup par des femmes et des hommes qui ont passé la quarantaine, voire la cinquantaine. Pour la plupart, ce sont des membres du Parti communiste de la Fédération de Russie. Aujourd’hui, ils sont tous venus réclamer “des élections honnêtes et propres”.

Parmi les courageux qui affrontent le froid, Denis, l’un des rares jeunes militants, ne se limite pas à cette requête : “La Russie est le pays où l’écart entre les riches et les pauvres est le plus grand au monde. Pourtant, la principale richesse, c’est le gaz et le pétrole. Ce n’est pas juste que seule une minorité en profite. Nous demandons donc une certaine justice de ce côté, et qu'à cela s’ajoutent des transformations sociales.”

Un candidat de la “nouvelle génération”

Des transformations que les communistes espèrent voir s’opérer grâce à leur nouvel “espoir”, Pavel Groudinine, candidat à la présidentielle. Sa nomination, en décembre dernier, en a surpris plus d’un, et pour cause : il n’est pas membre du parti, c’est un ancien de Russie unie (le parti de Vladimir Poutine), et il est millionnaire.

Mais en remplaçant Guennadi Ziouganov, 73 ans et leader historique du parti communiste russe qui s’est déjà présenté quatre fois à l’élection, l’homme d’affaires, de 15 ans son cadet, apporte un vent de fraîcheur. Et plus que des printemps en moins et une image “nouvelle génération” (sic), Pavel Groudinine s'appuie sur son expérience des saisons : il est en effet à la tête de l’ancien Sovkhoze Lénine, une importante ferme proche de Moscou. Une entreprise qui marche fort bien et qu’il met en avant comme modèle de socialisme idéal. Les employés y seraient en effet payés autour de 1 100 euros (deux fois le salaire moyen), avec de nombreux avantages sociaux en prime.

Le slogan inscrit sur la tribune du PCFR (parti communiste de la fédération de Russie), au-dessus du portrait du candidat Groudinine, est "Pour des élections honnêtes et propres".

20 points pour tout changer

Sur le papier, le programme officiel du candidat se résume en 20 points. Il commence avec la volonté de “changer la stratégie économique”, c’est-à-dire passer d’un capitalisme oligarchique à un État social. Pour financer ce revirement, les communistes russes comptent nationaliser des entreprises d’importance nationale, comme dans la production d’énergie, les chemins de fer, les communications et dans le domaine bancaire.

Au même chapitre mais au point suivant figure la souveraineté économique, qui prévoit de limiter la dépendance au dollar, d’interdire les investissements spéculatifs, et le “refus de participer” au fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce. A noter, deux mesures qui touchent directement les citoyens : l’augmentation de l’impôt sur le revenu pour les riches, et son abolition pour les pauvres ; et faire passer le salaire minimum à 25/30 000 roubles (357/428 euros), prévu pour atteindre 11 163 roubles (159 euros) au premier mai 2018 sous le gouvernement actuel. Des réformes sont aussi annoncées pour améliorer l’accès à la santé, à l’éducation, au logement et à la culture.

Et en fin de liste, il y a l’annonce d’une réforme de la justice du côté de la loi, du citoyen et de la société (et plus du côté de l’oligarchie), avec, pour une administration indépendante, des juges élus. Concernant la participation à la vie politique, le droit au référendum sur des sujets importants est proposé ainsi que la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux et d’une durée de quatre ans.

Sauf sur la question du rapatriement des capitaux placés à l’étranger, le programme communiste n’aborde pas celle des relations internationales. Pavel Groudinine connaît pourtant bien ce domaine, ayant possédé une dizaine de comptes bancaires en Suisse. Fait qui aurait pu lui coûter sa candidature début mars, après que la Commission électorale centrale a reçu des informations des autorités suisses.

Un pion comme un autre ?

La banderole tenue par ces manifestants indique "Là où il y a Groudinine, il y a de l'espoir".

Si ce ne fut pas le cas, c’est peut-être pour une simple raison. Le gouvernement visant un taux de participation élevé, retirer de la course celui qui risque d’arriver second serait se mettre des bâtons fort inutiles dans les roues.

Tout comme la candidature de Ksenia Sobtchak, celle de Pavel Groudinine ne serait d’ailleurs qu’un “projet du Kremlin” pour offrir des alternatives attrayantes afin de pousser les électeurs à aller voter. Dans une interview donnée au site Meduza, le candidat du Parti communiste refuse néanmoins cette étiquette, en arborant cependant une autre, pas moins discutable.

Lorsque le journaliste s’enquiert de l’opinion du candidat envers Joseph Staline, voici ce que celui-ci répond : “Pierre Ier n’a-t-il pas construit Saint-Pétersbourg sur du sang ? Pourquoi devrait-il être absolument bon ou horriblement mauvais ? J’ai discuté avec quelques Chinois et eux disent que Mao était à 60 % bon et à 40 % mauvais. Il y a eu des excès là bas, aussi, et beaucoup d’autres choses. Mais ceci est notre histoire. On ne peut pas nier que Staline était un très grand homme, et le pays a gagné la guerre grâce à sa volonté de fer.”

 Maxence Peniguet, Moscou, le 12 mars 2018

Photos Maxence Peniguet (tous droits réservés)