L'AUTRE QUOTIDIEN

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Messages de la Ghouta

Nous y voilà !
Ceux qui me connaissent le savent, je suis comme d’habitude installée sous cette fenêtre. Je travaille sur mon ordinateur portable. J’étudie à distance à partir d’ici. Je publie aussi mes postes sur Facebook de cet endroit précis. D’habitude, ma fille joue à mes côtés, ici même.

Cette fenêtre coûte trois fois rien, je peux la remplacer à tout moment, je peux mettre du nylon à la place de la vitre, comme le font tous les habitants de la Ghouta qui ont vécu cette période, qui commence par les vitres brisées des maisons, des murs qui s’effondrent ensuite, blessent ou mettent à mort quelqu’un. Le scénario aurait pu être tout autre : au lieu d’être comme à l’accoutumée en train de travailler à ma place et ma fille en train de jouer à mes côtés, nous aurions pu, tout aussi bien, ne plus être de ce monde à cet instant où je vous écris. Nous vivons ici grâce à la volonté du bon Dieu, par miracle.

ill. Nizar Othman

Tu peux imaginer, cher lecteur, si tu es chrétien, par exemple, que ça ressemble aux miracles de Jésus.
Tu peux imaginer, cher lecteur, si tu ne crois en rien, que c’est grâce aux forces surnaturelles de la nature.
En somme, si la volonté du bon Dieu n’existait pas, l’humanité aurait été éteinte sur la planète Al- Ghouta depuis 2012.
Si tu es juriste, je te dirai que le régime n’a rien respecté des conventions des droits de l’homme, à commencer par la plus basique, qu’est le droit à la vie, sans parler du reste évidemment.
Si tu es une mère, j’aimerais bien te dire que nos enfants aussi nous sont chers, tu sais bien ce que signifie l’amour d’un enfant. Ils risquent tous les malheurs et à chaque instant.
Si tu es plutôt de ceux qui pensent « bien mérité, ils sont tous de Daesh » ? J’aimerais bien te dire, et je jure par Dieu, qu’il n’en est rien. Crois-moi, il y a autant de chance pour qu’il y a ait un Daeshite chez toi que chez moi ! Prends mon exemple, dans ma petite et dans ma famille élargie, il n’y a aucune personne armée, et pas l’ombre d’une arme. Du plus petit au plus âgé, nous sommes tous civils, nous nous sommes mis au service de notre communauté strictement dans l’action civile.
Si tu fais plutôt partie de ceux qui soutiennent le régime, alors rassure-toi, le régime n’a rien à faire de toi, comme il n’a rien à faire de moi non plus, ton tour n’est pas encore arrivé, point à la ligne.

On ne vous demande pas de faire quoi que ce soit, car vous ne pouvez rien faire, mais il importe que vous sachiez tous ces détails, détails que nous vivons, où chaque instant semble durer un siècle. Ma fille Maya était angoissée un peu au début, mais là, elle joue de nouveau. Moi, je bois à nouveau mon Nescafé de la pire qualité, le seul Nescafé que le régime laisse passer et qu’on paye dix fois plus cher.

Je suis avec ma copine, ma copine que le sort et le bon Dieu ont bien voulu qu’elle vienne aujourd’hui me rendre visite, justement pour que je change ma place sous la fenêtre et pour que le régime n’ait pas ma peau cette fois-ci. Heureusement que j’aime le Nescafé froid ! Je voulais faire le grand ménage du printemps dans ma chambre, et là, je suis obligée de le faire aujourd’hui, c’est comme ça, on n’y peut rien !

Dieu soit loué, mes voisins sont sains et saufs. Que Dieu protège tous les gens de la Ghouta. J’écris tout cela de la même place habituelle, dans une chambre sans fenêtres, bercée par le bruit des avions qui planent dans le ciel et des obus tombant je ne sais où.

Par Nivin Hotary

Trad. par Nisrine Al Zahr


Qui, parmi nous, n’a pas vécu ?

Mais qui peut dire qu’il a, de son vivant, connu la tombe ? Cela est certainement inconcevable dans d’autres pays. Mais en Syrie, et tout particulièrement dans la Ghouta orientale, c’est non seulement possible, mais probable.Dans la Ghouta orientale, l’abri consiste en une galerie de petites pièces boueuses, conçues pour contenir quelques personnes, mais qui désormais renferment des centaines de « morts-vivants ».

Parmi eux, des enfants qui ont laissé derrière eux leurs jouets, leurs écoles, leurs maisons et se retrouvent coincés sous terre dans un coin obscur avec leurs mères, leurs pères, des bébés, des blessés, des femmes sur le point d’accoucher, des nourrissons et tant d’autres personnes dont la situation nécessiterait des soins spécifiques. Des appels au secours, des pleurs et le vacarme des détonations déchaînées, tous genres d’armes confondus, déchirent l’air. L’abri tremble au rythme des bombes.
Est-ce la fin ?

Toute personne se demanderait quel crime il a bien pu commettre pour mériter de mourir ainsi, dans cet enfer qu’on est censé ne connaître qu’une fois mort, et non tant qu’on est en vie !Ici, dans ce tombeau aux cloisons froides, insalubre et pourri, où les besoins les plus élémentaires ne peuvent être pourvus, mes pensées tournent en vase clos autour de la question : comment cette guerre se terminera-t-elle ?

Me voilà embarqué dans une course contre le mince filet lumineux d’une led qui pourrait s’éteindre avant que je finisse d’écrire ces mots.

Est-ce possible que cela soit le début d’autre chose ? Ou bien est-ce la fin de tout ?

Ghafran al-Dimashqi
Ghouta Orientale
21 février 2018

Traduit par Marianne Babut
(Via l’ONG Women Now for Development)



Bonjour,
Merci de publier ma lettre et de la partager sur vos pages
Ma connexion est trop mauvaise et je ne peux pas la publier sur la mienne
Mes amis,
Le ciel soit loué, j’ai survécu moi et ma famille par miracle, grâce à Dieu
Les barils explosifs tombent sur nos têtes comme la pluie, ils ont détruit toute notre rue
La Ghouta est totalement à terre… et les pleurs des enfants n’ont pas cessé une seconde
Plus de 200 personnes s’agglutinent dans chaque abri souterrain
Les abris ne sont pas aménagés pour être habités… nous sommes dans le noir
Et le froid nous glace les os
La plupart des femmes qui allaitent n’ont plus de lait à cause de la peur et la terreur
Certaines femmes enceintes ont fait des fausses couches à cause des bombardements
Nos corps sont épuisés par la faim, nous n’avons pas de nourriture depuis trois jours
Ni à boire, ni médicaments
Nos enfants sont affamés et nous les regardons impuissants
Qu’ils jouissent donc les rois de la guerre de leurs abris équipés et remplis de nourriture !
Soyez maudits, je ne vous pardonnerai pas et les gens de la Ghouta ne vous le pardonneront jamais
Quant à toi, le grand criminel, Bachar, je prie Dieu pour qu’un jour tu goûtes la pire des vengeances divines… ton jour viendra !
Quant à vous, Al-Bouydani et Shmeir, le jour du jugement dernier, vous devrez rendre compte de vos querelles de petits chefs
Vous devrez alors justifier de chaque martyr, chaque blessé et toutes les larmes des enfants
Wael Alloun, Hamza Bayreqdar et Mohamad Allouche, allez cirer les pompes de vos maîtres et touchez votre butin pour chaque applaudissement… Allez récolter l’argent tâché de notre sang
Sachez que Dieu patiente mais n’oublie pas
Mes amis,
Ceci est ma dernière lettre,
Nous ne réclamons rien d’autre que de cesser ce massacre
Même si le prix est de quitter La Ghouta
Nous sommes des êtres humains et avons le droit de vivre en sécurité
Cinq années de siège, de bombardement et d’injustice, ça suffit !
Pour quelle raison devrions-nous lutter encore, alors que la terre entière est liguée contre nous ?
Pourquoi devrions-nous combattre ?
Pour la Ghouta ?
Qu’elle repose en paix, il ne reste plus que des cendres
Pour mes enfants ?
Je n’ai plus la force de les voir pleurer davantage
Les larmes de mes enfants et des enfants de la Ghouta sont plus chers que toutes les révolutions du monde
Nous avons assez enduré
Nous mourrons lentement… croyez-moi, nous nous considérons comme morts déjà, nous attendons juste la fin de ce cauchemar
Si nous sortons vivants d’ici, ce sera un miracle extraordinaire
Et si vous entendez la nouvelle de ma mort aujourd’hui
Ne soyez surtout pas triste pour moi
Priez pour mon âme et… pardonnez-moi

Ward Mardini
Le 22/02/2018

(trad. par R.A.)

Ces messages ont été traduits et publiés par l'association Syrie Moderne Démocratique et Laïque. L'idée est naturellement de faire circuler autant que possible ces lettres au monde écrites par les assiégés de la Ghouta. De leur donner en quelque sorte l'humanité que les bombes, la lassitude des spectateurs éloignés que nous sommes et l'enfermement auquel le siège les condamne leur refusent.