Le BAL En Suspens 5/7 avec Rabih Mroué et Jacques Henri Michot
Toujours En Suspens, notre itinérance dans l'expo du BAL nous amène vers les travaux de Rabih Mroué et Jacques-Henri Michot pour deux livres singuliers qui traitent de l'avancée de la barbarie et de ce que peut être la vie quotidienne à Beyrouth. On a dit singulier …
Un ABC de la barbarie se présente comme un recensement des lieux communs qui ponctuent le langage journalistique comme autant de slogans affirmatifs, et qui finissent par infiltrer, à notre insu, le langage. Cet abécédaire est entrecoupé d’une multitude d’éclats empruntés à ce qui formerait, dans le temps et au-delà des frontières, une machine de guerre contre la barbarie : citations de poètes, d’écrivains, de philosophes ; titres d’œuvres d’art, de chansons, d’œuvres musicales, de films… Toute cette production artistique qui, se plaçant radicalement du côté de la vie par ses dimensions inventive et critique, produit des outils réflexifs essentiels pour qui décide d’être en résistance. Qui charpente ce dispositif littéraire moderne, un appareillage de notes raconte le roman de ce livre. L’auteur narre comment deux hommes décident, après la mort d’un précieux ami, de travailler à la publication d’un ouvrage qu’il a laissé inachevé. En le complétant. Non sans douter, parfois, de la pertinence de leurs choix, discussions et événements décidant de tel ou tel d’entre eux. Au cours de cette entreprise, l’un des deux meurt à son tour. L’édition sera assurée par le seul membre du trio qui reste en vie.
Cet ouvrage, ultra contemporain tant par sa facture que par sa dimension critique, décrypte avec une vive précision la langue des médias, étudie son fonctionnement et l’impact propagandiste qu’elle peut avoir sur les gens. A la base du langage des fake news et de la novlangue actuelle, une piste de réflexion sur ses embrayeurs linguistiques qui fait mouche.
Après avoir étudié le théâtre à l'université libanaise de Beyrouth, Rabih Mroué met en scène ses propres pièces à partir de 1990. Ses dispositifs scéniques se situent au confluent de la performance et du théâtre, sont souvent en prise directe avec la réalité économique et politique de son pays, évoquent ses meurtrissures et ses guerres fratricides, et prennent souvent l’apparence de quasi-documentaires mêlant fiction et réalité. Ainsi, dans 'Make me Stop Smocking', vidéos, photos, coupures de journaux et témoignages créent un système complexe de narration grâce auquel l’artiste tente de recomposer les paysages libanais détruits lors des conflits et des guerres. Un autre des grands thèmes communs à tous ses travaux est la manière dont on peut représenter le corps au théâtre. Parmi ses créations, qu’il présente en Europe, à Beyrouth, Tunis, Amman ou au Caire, figurent 'L'Abat-jour' (1990), 'La Prison de sable' (1995),'Three Posters' (2000), ou encore 'Biokhraphia' (2002 et 2008) et 'L'Homme d'hier' (2008), en collaboration avec Tiogo Rodrigues et Tony Chakar. En tant qu’acteur, Rabih Mroué a joué au cinéma dans 'Beyrouth fantôme' (1998) de Ghassan Salhab, 'A Perfect Day' (2005) ou 'Je veux voir' de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (2007). Son œuvre de plasticien s'incarne ici avec Leap year's diary, 2006-2016, un livre/journal/collage dont les pages par transparence évoquent la fuite du temps et ses insaisissables fluctuations. Le suspens, en quelque sorte qui, désincarne, déstabilise, surprend et perdure, en une sorte d'immuable ingérable qui ne se donne qu'à voir… Est-ce bien raisonnable ?
Jean-Pierre Simard le 15/02/18
Expo collective En Suspens 6/7 -> 13/02/18
Le BAL 6, impasse de la Défense 75018 Paris