L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le référendum d'Initiative Citoyenne : un outil pour éteindre la révolte ? par Nantes Révoltée

Depuis 5 semaines, l'une des plus grandes vagues de colère de l'histoire contemporaine secoue le pays. Les Gilets Jaunes, le cri de millions de personnes en galère, résonne enfin aux oreilles des puissants. La contestation part de questions sociales. Ce sont les inégalités, le mépris du gouvernement, l'arrogance des riches qui ont déclenché ce mouvement. Pourtant, ces derniers jours, une toute autre revendication émerge, au risque de faire oublier toutes les autres. La demande d'un « RIC ». C'est à dire un « Référendum d'Initiative Citoyenne ». Quelques remarques sur les pièges de cette revendication.

- UN VRAI CADEAU POUR LE POUVOIR

Alors qu'il a fallu 4 semaines de lutte acharnée pour arracher de maigres concessions sociales, il n'a fallu que quelques jours seulement pour que le « RIC » soit propulsé sur le devant de la scène. Et même validé par les médias et le pouvoir. Le président de l'Assemblée, Richard Ferrand, invitait hier les gilets jaunes à « aller aux élections ». Le premier ministre allait même plus loin, en déclarant lundi 17 décembre qu'il était prêt à discuter de l'organisation de référendums. Réclamer un « RIC » est une aubaine pour le pouvoir. C'est un outil pour ramener l'ordre. Alors que le mouvement s'organisait pour faire tomber le gouvernement, le « RIC » se contente de quémander un scrutin au gouvernement. Le slogan « Macron démission » qu'on entendait dans toutes les manifestations risque d'être remplacé par cette demande de référendum. Par définition, l'isoloir isole, alors que les Gilets Jaunes ont effrayé le pouvoir par leur capacité d'action collective. Un scrutin est un événement annoncé et organisé par l’État, alors que la force de cette révolte est d'avoir su se rendre imprévisible et incontrôlable. Accorder un référendum est la meilleure façon pour le gouvernement de disperser ce grand mouvement collectif. Et de ramener l'ordre dans les rues.

- FAIRE OUBLIER LES REVENDICATIONS SOCIALES

La revendication d'un « RIC » n'était pas présente à l'origine, le samedi 17 novembre. Le slogan initial était simple « bloquons tout » contre la vie chère. Il est intéressant de constater que cette demande de référendum commence à éclipser les revendications sociales. Juste au moment où le gouvernement était le plus en difficulté, et que les puissants commençaient vraiment à prendre peur. Le timing parfait. Notons qu'un référendum est gratuit, ou presque, alors que l'augmentation des salaires, la répartition des richesses, la fin de la casse sociale coûteraient très cher aux patrons et au gouvernement. Céder sur le « RIC » sans rien lâcher sur le reste est la solution idéale pour un gouvernement qui veut préserver les intérêts des riches. D'ailleurs, un référendum ne résoudra en rien la crise sociale profonde. Les centaines de morts au travail, la précarité qui touche des millions de personnes, la détresse des lycéens, les fins de mois difficiles. La misère qui frappe ici et maintenant ne sera pas réglée par un hypothétique vote dans plusieurs mois.

- LE PIÈGE DU REFERENDUM

Un référendum ne signifie pas d'avantage de démocratie. Dans l'histoire, les référendums sont souvent utilisés comme des plébiscites pour le pouvoir. Par exemple, après la grande Révolution sociale de 1848 en France, Napoléon 3 avait organisé un coup d’État militaire, et rétabli l'Empire en organisant un référendum. Les régimes autoritaires s'appuient souvent sur des référendums. La réponse par « oui » ou par « non » sur des questions générales, souvent sans débats préalables, renforce souvent le pouvoir en place. L'extrême droite est d'ailleurs favorable à ce genre de scrutins. Et si, parfois, le peuple vote « mal », c'est à dire pas tel qu'attendu par les puissants, le résultat est balayé, ignoré. Cela a été le cas en 2005, sur le vote contre la Constitution Européenne. Et pendant qu'il vote, le bon peuple n'est pas dans la rue.

- MANIPULATIONS

Par ailleurs, manipuler un référendum est simple. Même en admettant que la question posée soit la bonne, par exemple « faut-il un meilleur partage des richesses ? » ou « faut-il en finir avec le capitalisme ? ». Les médias aux mains de milliardaires, les multinationales surpuissantes, la classe politique et ses privilèges, disposeraient de moyens infiniment supérieurs à ceux de leurs opposants. Ils seraient donc beaucoup plus audibles, et toucheraient beaucoup plus de monde. Ce ne serait pas un combat à armes égales. L'organisation de référendums dans la société actuelle, dominée par le capitalisme, donnerait forcément un résultat biaisé, voire dangereux. C'est aussi la porte ouverte aux revendications les plus malsaines, racistes, répressives, comme c'est le cas en Suisse, où des référendums sont régulièrement organisés sans que cela ne change rien aux inégalités sociales.

Il faut donc se souvenir des origines du mouvement des Gilets Jaunes : la rage sociale. La volonté de faire tomber le régime en place, et le système qui l'accompagne. Mais aussi l'exigence de dignité. Les conquêtes sociales sont toujours obtenues par le rapport de force. Même en 1936, après l'arrivée de la gauche au pouvoir, il a fallu des semaines de grèves très dures, et d'occupations d'usines pour arracher les congés payés et les augmentations de salaires. C'est bien le rapport de force, la mobilisation de rue qui est déterminante.

Ces derniers jours, c'est aussi la rue qui a littéralement terrorisé le gouvernement. Au point de rafler des lycéens et de déployer des blindés sur les Champs Élysées. Le référendum est le terrain du pouvoir. La lutte collective est notre terrain.

Nantes Révoltée, le 17 décembre 2018