L'AUTRE QUOTIDIEN

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Marseille | La Plaine emmurée vivante

Sur la Place Jean Jaurès, ils ont donc construit ce mur, qui entoure – protège ? – les travaux, et lève symboliquement le mur parfait du mépris et de la violence. entre ceux qui vivent ici et ceux qui démolissent en prétendant rebâtir. Y a-t-il symbole plus bête ou plus insultant ? Évidemment, ce mur est une provocation : évidemment, il fallait bien céder à cette tentation. Alors, sur cette grande page blanche, ceux qui vivent ici et qui sont seuls vivants de cette terre-là ont posé les mots comme des coups avec le désir de faire tomber le mur, mais pas avant qu’il hurle ces mots. Des pans de murs tombent, le soir, se relèvent le matin. Mur qui est le support de la colère et ce que le colère tente d’abattre. Je suis, moi, de ce côté du mur, séparé de la place et des mots. Que faire ? Je regarde, je prends des photos comme un voleur, espérant au moins ne rien profaner de la colère. Ne rien m’approprier des luttes qui pourtant portent sur nos vies communes. Ici, les travaux visent à aménager la place, à la requalifier. Contre les aménageurs, on n’aurait pas seulement besoin de mots : mais il se trouve qu’il y a aussi des mots, qui trainent, qui sont là, épars, entre nous et la saleté de monde que les aménageurs préparent pour notre confort et notre sécurité. Il y a la dignité de ramasser ces mots en désordre et de les jeter comme des pierres sur ces murs. Je ne sais pas ce que je fais quand je prends en photo ces murs, ces mots : j’essaie d’en tirer leçon, d’en être moi-même atteint. De propager la colère ? Sur la Place Jean-Jaurès, il y avait aussi ce que je n’ai pas pris en photos : le vent, et les hommes et les femmes qui passent, doivent contourner la Place pour rejoindre la ville en regardant le mur comme on prend des coups au visage, des insultes, et comme on prend des forces.

Arnaud Maïsetti le 27 novembre 2018