Une menace venue d’Iran qu’Israël ne peut pas détruire avec des bombes
Il y a quelques décennies, des onagres, censés être des modernes descendants d'une espèce mentionnée dans la Bible, ont été amenés au Néguev depuis l'Iran du Shah. Ils se sont multipliés, mais à présent ils ravagent la flore et la faune
En mars 1968, l'euphorie qui suivait la guerre des Six Jours était à son zénith. L'État d'Israël, se rengorgeant de sa brillante victoire, s'était prouvé à lui-même qu'il était le digne héritier des rois et des juges d'Israël d'autrefois et de leurs exploits guerriers. Et quoi de plus raisonnable que d'essayer de ressusciter le pereh, l'âne sauvage mentionné plusieurs fois dans la Bible, pour le voir à nouveau errer librement dans les étendues désolées du Néguev?
Selon les voyageurs qui ont traversé la Terre d'Israël il y a 500 ans, les troupeaux de ces animaux, connus par la suite sous le nom d’onagres de Syrie (equus hemionus hemippus), étaient communs dans la région. Mais la chasse débridée et les centaines de milliers de fusils distribués aux Bédouins par Lawrence d'Arabie dans le but de tuer des Ottomans, ne furent pas tendres avec notre gentil âne sauvage. L'âne biblique s'est éteint. Le dernier onagre de Syrie est mort en captivité au zoo de Schönbrunn, à Vienne, en 1927, l’année même où son dernier congénère en liberté a été abattu près de l'oasis d'Azraq en Jordanie.
Le défunt Uri Tzon, qui a consacré sa vie à la réintroduction en Israël des anciennes populations d'animaux sauvages - et à cette fin, a fondé avec le général en retraite Avraham Yoffe l'organisation Hai-Bar, qui gère deux réserves naturelles - était l'un des instigateurs d’une transaction à l’issue de laquelle, à l'époque du Shah, trois couples d'onagres de Perse (equus hemionus onager) ont été importés d’Iran, en échange de 20 cerfs de sa ménagerie privée.
« Six onagres appelés 'pereh' dans le Livre des Nombres ont été rendus à Israël, leur terre d’origine, après des milliers d'années d'exil », a déclaré Tzon au quotidien Maariv. Lorsque le premier onagre est né dans la réserve de Hai-Bar à Yotvata, dans le sud d'Israël, la presse locale l'a surnommé tzabar (c'est-à-dire natif d’Israël). Cependant, la presse a omis le fait que les animaux appartenaient en réalité à la sous-espèce des onagres de Perse et non de Syrie, tout en affirmant qu’ils avaient été expédiés depuis des zoos européens.
En 1982, quand les onagres ont commencé à se multiplier dans la réserve de Hai-Bar, qui, comme son équivalent à Haïfa, dans le nord du pays, est administrée par la Direction de la Nature et des Parcs d’Israël (INPA pour ses initiales en anglais), les animaux ont été relâchés dans la nature dans la région du Makhtesh (cratère) Ramon, dans le Sud.
Les estimations divergent quant au nombre d’onagres vivant dans le pays : pour Haaretz, l'INPA a fait état de 200 individus, bien que, il y a deux ans, la page Facebook de Hai-Bar ait clamé à tous vents qu’il y en avait 300 dans le désert du Néguev. L'écologiste Ilan Ziv mentionne des estimations allant de 250 à 300 onagres. Les agriculteurs dont les cultures ont subi des dégâts par leur faute penchent plutôt pour 500. Apparemment, le nombre exact est quelque part entre les deux.
"J’aime les animaux"
J'ai été surpris d'apprendre qu’Ilan Dvir, 57 ans, n'est pas ravi de la présence des onagres. Après tout, il a lui-même fait venir des animaux étranges venus de pays lointains, des alpagas et des lamas, dans la ferme qu'il a établie il y a des années près de Mitzpe Ramon. Nous nous retrouvons sur sa ferme, entourés de mignons lamas, d'un groupe d'enfants et de journalistes venus d'Ukraine. Nous sommes en train de discuter quand un alpaga crache à la figure d'un des invités. Ilan ne bronche même pas.
"J’aime les animaux et les chevaux", commence-t-il . "Je reçois tout mon « oxygène » culturel de la présence d'animaux sauvages, et je suis heureux de la présence ici d’ânes sauvages. C'est un merveilleux cadeau. Tout amoureux des chevaux est ravi de galoper sur un cheval sauvage. Cela fait 30 ans que nous vivons avec eux, depuis que nous sommes arrivés ici. "
Alors, quel est le problème ?
« Par le simple fait que nous vivons ici depuis 30 ans et que l'essentiel de notre vie est ici, nous sommes témoins de la vie des ânes sauvages et aussi des changements qui se produisent dans la région. Au début, nous rencontrions ces animaux en petits groupes. Tout était harmonieux et équilibré. Mais au fil des ans, de quelques unités, leur nombre a dépassé les 300. »
Ilan Dvir affirme que la croissance relativement rapide de cette population a conduit au fil des ans à la destruction de vastes étendues du désert méridional : « La ferme [d’élevage d’alpagas] était initialement située sur la réserve naturelle de Borot Lotz , le point culminant des monts du Néguev et le plus riche en pâturages. Un endroit beaucoup plus fertile que la zone où se trouve actuellement notre élevage. Nous avons étudié les pâtures et testé leur valeur nutritionnelle. Les amoureux des plantes savaient que la région du Borot Lotz avait la flore la plus riche de tout le Néguev ».
« Tout a changé depuis que l'INPA a installé un abreuvoir pour les onagres [qui ont été réintroduits dans la nature et s’y sont reproduits] dans le secteur. Tous ces animaux s’y rassemblent et causent de plus en plus de dégâts à la végétation. La « zone fertile » est devenue totalement aride et défoncée. C'est maintenant un désert. En quelques décennies, les onagres ont détruit les points les plus élevés du Néguev. C'était la zone la plus riche en absinthe, par exemple, maintenant c’est fini. Tout était vert, il ne reste plus que de la poussière. »
Ilan Dvir dit que sa ferme aussi en souffre : « Vu leur nombre, les onagres ont étendu leur espace vital à d’autres zones ; ils ont découvert l’abreuvoir des alpagas, dans les pâturages. Ils se sont mis à y boire. Quand nous avons essayé de couper l'eau, leur piétinement a fissuré les tuyaux et l'eau s'est mise à fuir. Les équipements ont subi de gros dégâts, sans parler des grandes quantités d'eau qui se perdent à chaque fois.
«Cet été, des troupeaux d’environ 80 onagres sont arrivés. Ils ont divagué sur toute la zone de pâturage et ils ont détruit les végétaux. La situation est extrêmement problématique : nous sommes en période de sécheresse et ils mangent le peu qui reste. La flore ne se renouvellera pas. Ces animaux provoquent la désertification de la région.
« Les onagres nuisent également à la faune en détruisant les plantes qui constituaient une source de nourriture pour les cervidés et les espèces rares de rongeurs endémiques à la région**. Le système est très sensible. Nous devons créer un endroit qui soit hors d’atteinte des onagres, clôturer un secteur dans les monts du Néguev où les diverses espèces de plantes puissent continuer à prospérer sans être détruites par les ânes. Chaque année, la destruction s’aggrave ».
« De plus », poursuit Dvir, « nous devons arrêter la croissance du troupeau. Nous ne devons certainement pas l'encourager. Je suis contre l’abattage des ânes sauvages. Si on décide de les tuer, je m'y opposerai. Mais les mâles peuvent être castrés; les mâles et les femelles peuvent être séparés pendant les périodes d'accouplement. Nous pouvons également leur apporter de la nourriture. Pour le moment, nous ne les nourrissons pas et la région ne peut pas en supporter un si grand nombre, d’autant plus qu’il n'y a pas plu ces dernières années. »
Du rififi dans les vignes du Seigneur
Tzur Shezaf, 58 ans, n'est pas exactement la personne dont vous attendez au prime abord qu’elle proteste contre les dégâts causés par les ânes sauvages. Shezaf, un guide touristique, journaliste et auteur de livres de voyage qui traitent de la faune du désert, a participé à de nombreux combats pour l’environnement. Mais comme exploitant d’un vignoble situé près de la zone où vit la horde, Shezaf en est victime. Nous allons avec lui pour constater les dégâts, qui sont principalement évidents dans les vignes plus éloignées, où de jeunes ceps de Chardonnay ont été plantés il y a deux ans. La première vendange devait avoir lieu l'été prochain.
Désolé, Shezaf répare les fils de palissage arrachés par les ânes à chacun de leurs passages, redressant les poteaux qui ont été abattus. Autour de nous, il y a des tas de crottin d’onagre, qui témoignent du grand nombre d'animaux qui entrent dans le vignoble, ainsi que de leur métabolisme impressionnant. À cette période de l'année, le vignoble est censé avoir perdu ses feuilles, pendant que son bois se renforce pendant le repos hivernal. Mais quand les ânes ont mangé les sarments, certains ceps se sont réveillés et des feuilles vertes ont commencé à pousser , comme si c'était le printemps. Shezaf estime que cela va perturber les vignes et nuire au rendement.
"Je suis ici depuis déjà sept ans. J'ai été victime de dégâts causés par des chameaux, des chèvres et des cervidés », explique-t-il, « mais en octobre, nous avons commencé à voir des dégâts d’une tout autre dimension. Les clôtures étaient tout simplement couchées par terre. Chaque matin, il fallait les réparer. Les ânes sauvages sont très forts. »
Tu voulais un vignoble dans le désert, eh bien, tu as un vignoble dans le désert.
« J'aime les animaux, je suis pour les animaux sauvages. Le problème est qu'ils ne sont pas gérés correctement. Nous devons nous rappeler que ces onagres ne sont pas originaires d'Israël ; ils y ont été amenés par avion. Le fait est qu’aujourd’hui il y en a plusieurs centaines. L'INPA ne veut pas dire combien. À mon avis, il y en a 500. J'ai vu des troupeaux de 40 individus. À l'automne, ils ont dévoré toute la flore dans de nombreuses zones et sont arrivés jusqu’à l’abreuvoir de la ferme d'élevages d’alpagas. Ils boivent là et viennent manger dans ma vigne. Ils devraient être expulsés vers le Rwanda."
Shezaf dit qu'il a demandé à l'INPA et au ministère de l'Agriculture d’intervenir, mais aucune solution n'a été trouvée aux dégâts causés par les ânes. « Il faut dire, à la décharge de l'INPA, qu'elle n'a pas ignoré le problème. Elle m’a suggéré d'utiliser un fusil qui tire une substance poivrée, puis ils ont pulvérisé sur les clôtures un produit censé éloigner les animaux, mais ça n'a pas fonctionné. Ils ont suggéré que je pose une clôture électrique et ils m'en ont fourni 150 mètres, alors qu’il m’en faut deux kilomètres. "
Ils ont l’air d’essayer.
« Selon moi, si vous introduisez quelques onagres qui deviennent des centaines et qu'ils n'ont rien à manger, il faut soit les tuer, soit les nourrir. Je ne suis pas censé entretenir à mes frais l'environnement naturel de l'État d'Israël. Vous avez joué avec la nature, vous avez réintroduit des animaux sauvages - et après vous n’êtes pas capables de les contrôler. L'INPA m'a dit qu’elle était consciente du problème, mais elle m’a aussi fait comprendre qu'elle n'en était pas responsable et que je ne pouvais pas la poursuivre. Toutefois elle m’a dit qu’elle allait essayer de faire quelque chose. »
Quand on évoque l’éventualité d’abattre les onagres, Ilan Dvir ne nie pas les dégâts qu'ils causent, mais dit qu'il se battra si on essaie de les détruire.
« Il a tort sur ce point. Que faire d’autre? Est-ce qu’Ilan va me payer [des dommages-intérêts de] 250 000 shekels (plus de 60 000 euros) ? L'agriculture est une activité marginale dans la région. Je survis à peine. J'ai contacté le ministère de l'Agriculture et ils m'ont envoyé paître. »
Peut-être que c’est vous, le problème, et pas les onagres? Peut-être que le désert appartient aux animaux du désert et ne convient pas à l'agriculture ?
« Ils ont fait venir des onagres ici. Ce n'est pas moi qui suis venu me mettre en travers de leur chemin. Les animaux se multiplient, il y a l'agriculture et le problème a pris des proportions énormes. Qu’ils plantent 80 dunams [8 hectares] de nourriture pour les onagres. Le problème est saisonnier. À l'automne il y a deux à trois mois sans nourriture. S'ils veulent de la nature, il faut qu’ils s’en occupent.
« Si quelqu’un s’en prenait à mon vignoble, j'irais à la police. L'INPA est la police de la nature, alors je les contacte, et qu’est-ce qu’ils me disent ? Qu'il n'y a pas grand-chose à faire. Qu'ils fassent venir des loups ici depuis Aïn Gedi, qu’ils attaquent les ânes sauvages. à l'heure actuelle, aucun prédateur ne limite leur croissance démographique. »
Est-ce qu'il y a des loups ici, normalement ?
« Je n'ai pas vu de loups depuis trois ans, et les hyènes ne chassent pas les onagres. Il n'y a plus de léopards par ici. Et que se passera-t-il quand il y aura 1000 ânes ? Ou même 2000 ? Ils n’arrêteront de se propager que quand ils auront fini de dévorer les vignes. »
Réponse du ministère de l'Agriculture : "L'autorité responsable dans ce secteur est l'INPA. Le ministère est conscient de la situation actuelle et en a parlé avec l'INPA. En outre, le ministère a aidé à obtenir des subventions pour le projet Sfat Midbar, qui concerne principalement la plantation de vignobles. "
Les dangers de sécheresse
Asaf Tzoer, l'écologiste de l'INPA pour la région sud, renvoie la balle aux accusateurs: « Il a toujours existé un conflit entre l'agriculture et les animaux sauvages. Dans le désert, il y a très peu de verdure. L'agriculture apporte beaucoup d'eau dans la région, qui devient très verte. Il est naturel que cela attire les animaux sauvages. Ce qu’il faut, c’est minimiser les dégâts, et nous collaborons avec les agriculteurs pour essayer de contrôler la faune sauvage ».
« L’abondance de nourriture favorise la fécondité des animaux », explique Tzoer, « et il y a donc plus d'animaux qui causent plus de dégâts. à cause de l'agriculture, il y a plus de porcs-épics et plus de chacals dans le désert, alors que ce n’est pas leur habitat naturel. Nous avons des inspecteurs qui s’occupent spécialement des dégâts aux cultures. Les fermiers doivent construire des clôtures et mieux se préparer à affronter les animaux sauvages, tout comme ils traitent les autres ravageurs. "
Mais même sans parler des fermiers, Ilan Dvir prétend que les onagres détruisent purement et simplement la flore du désert et aggravent la désertification.
« Je ne suis pas d'accord. Il n'y a aucune preuve irréfutable de cela. Nous avons comparé avec une photo satellite prise en 2000 et nous n’avons constaté aucune aggravation. »
Est-ce que ce n’était pas vert ?
"Ilan Dvir parle de la zone autour de l’abreuvoir. Il y a vraiment eu des dégâts là-bas. Tous les onagres y vont et ils piétinent le sol. Mais ce n'est pas grand, quelques milliers de mètres carrés seulement. Il est facile de dire que si c’était vert autrefois et plus maintenant, c'est la faute des ânes. Mais comment être sûr que c'est leur faute et non celle du réchauffement climatique ou de la sécheresse? »
Alors, qu’est-ce qui empêche de nourrir les ânes, pour les empêcher de dévorer la flore du désert, ou pour qu’ils ne soient pas forcés d'envahir les vignes?
« Si on les nourrit, cela aggravera encore le problème, si toutefois il y en a un. Le mieux est de construire des clôtures, afin qu'ils ne pénètrent pas sur les terres agricoles. Une partie des dépenses est payée par l'agriculteur ; nous offrons conseils et assistance. Parfois le ministère de l'Agriculture offre son aide. »
Surveillance des ânes
Avant qu'il ne fasse trop sombre, Tzur, Eli le photographe et moi-même partons dans la jeep d'Eli vers Nahal Nitzana à la recherche des ânes. Eli se gare près d'un terrain militaire et prépare son appareil photo. Une soldate armée nous regarde avec méfiance et se dirige vers nous. Nous décidons d’aller plus loin. Je cherche à apercevoir des ânes du côté droit de la route; Eli et Tzur regardent à gauche. Le paysage est superbe avec les rayons du soleil filtrés par les nuages, mais il n'y a pas d'onagres.
Je me sens floué. Nous prenons à droite sur une route qui menait autrefois à une base militaire maintenant abandonnée, près de Borot Lotz,. La région est pleine de vestiges d’agriculture en terrasse, ce qui prouve que la région était fertile il y a des siècles.
Et puis Eli les aperçoit, sur la gauche: cinq jolis onagres, dont un poulain. Ils se fondent merveilleusement dans les couleurs du paysage. Je suis surtout impressionné par leur élégance, qui efface pendant un instant toutes les calomnies qu’on a pu raconter sur eux. Comment peut-on dire du mal d’un tel animal?
Eli et moi sommes emballés. Tzur prend une photo avec son portable, mais il a l'air de soupeser la beauté de ces animaux face aux pertes économiques qu’ils causent. Et puis il déclare : « Les ânes sauvages sont un spectacle merveilleux. Je suis tout aussi enthousiaste que vous. »
Traduit par Jacques Boutard
Edité par Fausto Giudice
NdT
* Les « ânes sauvages » ou « ânes » dont il est question dans cet article ne sont pas des ânes domestiques qui seraient retournés à la nature. Il s’agit d’un ensemble des sous-espèces plus proprement appelés « onagres ». Il est fait allusion ici à l’ « onagre de Syrie », aujourd’hui disparu, qui peuplait la Palestine dans les temps bibliques et jusqu’au XIXe siècle, ainsi qu’à l’ « onagre de Perse », venu d’Iran, qui a été récemment introduit dans le désert du Néguev.
** Par exemple le Mérione du Néguev, Meriones sacramenti
Merci à Tlaxcala
Source: https://www.haaretz.com/israel-news/science/.premium-1.831474
Date de parution de l'article original: 27/12/2017
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=22397