Un an après le suicide de Denko Sissoko, où en est la situation des mineurs étrangers isolés, par RESF
Le 6 janvier 2017, à Châlons-en-Champagne, un jeune Malien décédait des suites d’une chute du 8ème étage du Foyer d’hébergement où vivent les jeunes étrangers en attente de leur résultat d’évaluation par les services de l’Aide Sociale à l’Enfance de la Marne. Si les circonstances exactes de sa mort ne sont toujours pas éclaircies, il est en revanche très vraisemblable que Denko, après un voyage périlleux et des mois d’attente, avait été averti qu’il ne serait pas pris en charge comme mineur.
Ce drame, relayé par la presse nationale, a contribué à mettre en lumière les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers dans la Marne et plus généralement en France. Victimes de la politique du non-accueil autant que de la baisse des budgets départementaux, ces jeunes ne sont pas considérés comme des enfants à protéger, mais comme des étrangers constituant des flux à contenir.
Des évolutions sont notables ici dans l’accompagnement de ces jeunes, mais un long chemin reste à parcourir pour qu’ils puissent accéder à certains droits fondamentaux et à la place qui devrait leur revenir dans notre société qui est aussi celle qu’ils ont choisie pour grandir en paix.
Les évolutions positives
Parmi les évolutions positives, et pour faire face au sous-effectif que nous dénoncions dans l’encadrement de ces jeunes, un poste supplémentaire a été créé au foyer SAMIE (service d’accueil des mineurs isolés étrangers). De même, pour assurer le suivi psychologique et d’éventuelles thérapies nécessaires à ces jeunes qui ont subi maints traumatismes avant et durant leur périple, un partenariat s’est mis en place avec le centre Lewis Carroll. L’intervention de la police au foyer, que redoutait manifestement le jeune Denko le soir de sa mort, est devenue marginale. Les jeunes du SAMIE pratiquent plus systématiquement des activités en lien avec le Centre Social Rive Gauche. Enfin, évolution notable : le relais est désormais effectué avec l’Etat pour les refusés de la prise en charge qui souhaitent faire un recours et saisir le Juge des enfants ou effectuer une demande d’asile. Ils sont orientés vers la PIADA (Plateforme d'information et d'accueil des demandeurs d'asile) le cas échéant, et hébergés par le SIAO (Système Intégré d'Accueil et d'Orientation parfois nommé 115) le temps des procédures.
Les évolutions négatives
A côté de ces améliorations de prise en charge, des évolutions négatives sont également à déplorer. Par exemple, celle de la double évaluation : le département de la Marne qui se disait à la pointe des pratiques d’évaluation en 2017, rejette désormais comme majeurs des jeunes que d’autres départements avaient déjà évalués mineurs et qui avaient été confiés à la Marne par le biais de la clé de répartition nationale. L’accompagnement à la décision qui devrait être au coeur du suivi de ces jeunes dès leur arrivée en France est mal assuré : nombre d’entre eux évalués majeurs dans la Marne sont en errance, tentés de recommencer leur parcours dans d’autres départements, prenant un retard considérable dans leur scolarisation et leur intégration. Lorsqu’ils quittent les services du département, leurs documents d’identité ne leur sont souvent par restitués, alors même qu’ils n’obtiennent aucune information claire sur les raisons qui les privent de leurs papiers d’état civil. De la même façon, la notification de leur refus de prise en charge par le substitut du procureur est lacunaire et ne leur permet généralement pas de comprendre précisément les arguments ayant conduit à les reconnaître majeurs. Ni majeurs, ni mineurs, non expulsables ni reconductibles à la frontière, l’aide au retour ne leur est jamais proposée ; ils sont confrontés à la plus totale précarité dans un pays inconnu où la réalité s’oppose brutalement aux fantasmes nourris par les représentations véhiculées dans les pays d’origine. Quand ils souffrent de pathologies sérieuses (hépatite, tuberculose), le relais à leur sortie n’est pas suffisamment assuré avec les services de l’Etat qui se limitent à assurer l’hébergement mais n’accompagnent pas sur le plan sanitaire. Les jeunes rencontrent également des difficultés avec le Tribunal pour enfants de Châlons : ainsi, courant 2017, plusieurs convocations au tribunal pour enfants n’ont pas été envoyées à la bonne adresse, le jeune qui faisait un recours n’a donc pas pu être entendu en audience, et son absence est mentionnée comme élément parmi d’autres pour justifier un non-lieu à placement éducatif. Les dossiers ont été traités sans bienveillance, les juges refusant des réouvertures alors même que de nouveaux documents d’état civil étaient présentés. Alors même que les jeunes s’efforcent de clarifier leur état civil en se rapprochant des représentations consulaires de leurs pays, il leur est devenu très difficile de prouver leur minorité par le biais des documents d’identité dont l’authenticité peut être reconnue sans qu’ils soient pour autant recevables sur le territoire français. Enfin, l’évolution la plus déplorable est celle de la disparition volontaire et quasi complète des contrats jeunes majeurs que le Conseil départemental attribuait jusque là aux jeunes âgés de 18 ans afin qu’ils puissent terminer leur formation et obtenir leur diplôme : aujourd’hui, les jeunes étrangers scolarisés de 18 ans sont systématiquement mis à la rue le lendemain de leur majorité et l’Etat qui devrait prendre le relais, le suivi des majeurs étrangers et des adultes précaires étant de sa compétence, n’assure pas sa mission, compromettant sérieusement la réussite scolaire de ces jeunes en grande précarité. Les difficultés s’accentuent également au guichet préfectoral des régularisations : certains jeunes sont mal accompagnés quand ils le sont avant leur majorité, dans la constitution de leurs dossiers de demande de régularisation, les délais s’allongent, les procédures se complexifient ; sans papiers, les jeunes majeurs sans statut ne peuvent pas signer les contrats d’apprentissage qui seraient pourtant la clé de leur autonomie.
Les constantes
A côté de ces évolutions positives ou négatives, la situation n’a pas évolué sur un certain nombre de points que nous persistons à souligner. Ainsi, les procédures d’évaluation sont trop souvent à charge et continuent à se fonder, en dernière analyse, sur des résultats de tests osseux dont la fiabilité est plus qu’incertaine. Le jeune est théoriquement libre d’accepter de s’y prêter, mais dans la réalité, en cas de refus, il est automatiquement considéré comme majeur et l’argument du refus est systématiquement retenu contre lui par le juge des enfants. Malgré la création de poste mentionnée ci-dessus, le personnel reste insuffisant pour l’accompagnement humain et éducatif des jeunes, il n’y a toujours pas d’éducateur de nuit au SAMIE où sont hébergés 73 jeunes. Les jeunes en attente d’évaluation ne sont pas scolarisés ni alphabétisés, ceux qui sont évalués majeurs mais en recours le sont peu également, l’attente est éprouvante pour la grande majorité dont les motivations au départ résidaient souvent dans la volonté de recevoir une formation. Les délais de recours restent eux aussi très longs et lorsqu’ils aboutissent favorablement, font débuter la scolarisation fort tard et approcher dramatiquement de la majorité et donc de la « seconde » fin de la prise en charge. Les collectivités et l’Etat continuent à se décharger de leurs compétences sur les associatifs bénévoles, sans mandat ni délégation, sans supervision même, notamment en cas de problème sanitaire, voire sécuritaire. L’accompagnement au projet est insuffisant pour les jeunes : le suivi de la scolarisation est superficiel (cas de décrochages non endigués, de réorientation forcée pour commodités d’hébergement, refus d’inscrire en formation les jeunes approchant de leur majorité, manque d’ambition et repli sur des formations courtes pour des jeunes qui pourraient faire des études en étant soutenus)
La plainte des parents de Denko Sissoko
En juin 2017, le procureur de Châlons-en-Champagne a conclu à un classement sans suite de la première plainte des parents de Denko Sissoko pour « homicide involontaire », « mise en danger de la vie d’autrui », « délaissement d’une personne hors d’état de se protéger » et « non-assistance à personne en danger ». En novembre, une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée afin de faire la lumière sur les dysfonctionnements identifiés dans la politique d’accueil des mineurs isolés dans le département de la Marne. La procédure est en cours et les parents de Denko sont actuellement en attente de la désignation d’un juge d’instruction.
Est attendue également la décision du Défenseur des Droits sur la prise en charge des MIE au SAMIE et dans le département de la Marne.
La situation nationale
Pour conclure, il est nécessaire de rappeler que la Marne n’est pas un cas isolé. Des départements sont régulièrement condamnés par la justice à exécuter des mesures ou à maintenir des prises en charge. Ainsi, le Conseil Départemental de Haute Garonne s’est-il vu condamné le 26 décembre 2016 par une décision du Tribunal de Grande Instance évoquant des « violations graves et persistantes des droits fondamentaux », à prendre toutes les mesures nécessaires sous 15 jours pour améliorer la prise en charge de 80 mineurs isolés. Par une ordonnance du 28 décembre 2017, le Conseil d’Etat vient de contraindre la Métropole lyonnaise qui avait fait appel d’une décision du Tribunal administratif de Lyon, à poursuivre la prise en charge d’une jeune fille étrangère par l’octroi d’un Contrat Jeune Majeur. L’impéritie et le désarroi dans la prise en charge des jeunes étrangers est une problématique nationale et les responsabilités sont partagées par l’ensemble des acteurs : institution judiciaire, éducation nationale, départements, Etat. La problématique est éminemment transversale et européenne. Dans les Alpes, plusieurs cas de reconduites illégales en Italie par la police française, de jeunes qui avaient réussi à traverser la frontière par le col de l’Echelle ou dans la Vallée de la Roya, sont relayés par les medias ; des militants sont poursuivis dans ces départements frontaliers pour aide à l’immigration irrégulière alors qu’ils estiment de leur devoir de porter secours à ces jeunes exposés à tous les dangers du froid et de la montagne. 36 mineurs étaient à la rue sans aucune solution d’hébergement à Paris dans la nuit du 3 au 4 janvier 2018, les raisons invoqués par la DASES (Direction de l’Action Sociale et de la Santé de la Mairie de Paris) pour refuser des placements relève parfois de l’absurde : ainsi, les jeunes se voient notifier un refus de reconnaissance de minorité sous le prétexte qu’ils ont fait preuve d’une trop grande autonomie au cours de leur voyage. Mais bénéficier d’une mesure d’assistance éducative n’est pas non plus un sésame : quand ils sont reconnus mineurs et placés, ils tardent à être scolarisés et ils ne sont pas toujours accompagnés correctement en fonction de leur projet, indépendamment de la bonne volonté des travailleurs sociaux débordés, souffrant de conditions de travail déplorables au contact de ce public déconsidéré. De nombreux jeunes sont en errance de département en département, de pays en pays : pris ici, rejetés là, exposés à tous les risques de trafics et de manipulation. Les jeunes majeurs, partout en France voient les conditions de régularisation se durcir. Un Malien, Kantra, désespéré, s’est jeté sous un train le mois dernier parce qu’il venait d’avoir 18 ans et que la prise en charge s’était arrêtée pour lui sans qu’il ait pu signer le contrat d’apprentissage sur lequel il comptait. La situation psychologique de ces jeunes, arrachés, déracinés, malmenés, angoissés par le stress des échéances, est partout et généralement préoccupante. Le premier ministre Edouard Philippe a voulu rassurer les présidents des Conseils départementaux en novembre en annonçant une augmentation de la dotation consacrée à la première prise en charge, l’évaluation serait financée par l’état. A minima, il serait souhaitable que soit déjà respecté par les départements, par la justice et par l’Etat donneur d’ordre, le cadre légal existant qui se fonde sur une vision encore humaniste de la politique de protection de l’enfance.
RESF Marne (Réseau Education Sans Frontières), Comité Denko Sissoko, ADMIE (Association pour la Défense des Mineurs Isolés Etrangers)