Manifestation devant l'ambassade d'Allemagne en mémoire de Oury Jalloh
Le vendredi 5 décembre, en marge du tribunal permanent des peuples jugeant les politiques migratoires européennes, une manifestation a réuni quelques dizaines de sans-papiers parisiens devant l'ambassade d'Allemagne. Ils entendaient dénoncer la mort de Oury Jalloh, un jeune demandeur d'asile originaire de Sierra Leone, retrouvé carbonisé dans une cellule du commissariat de Dessau le 7 janvier 2005. Des manifestations ont également eu lieu ce même jour à Barcelone, Rome et Bruxelles, préfigurant la construction d'un mouvement européen rassemblant les victimes de violences policières.
Nous n'étions pas nombreux devant l'ambassade d'Allemagne, cet après-midi du 5 janvier dernier. Suffisamment pour faire du bruit, tout de même, soutenus par le roulement des djembe et les prises de paroles, à quelques mètres de l'ambassade d'Allemagne, gardée par plusieurs camions de CRS. Oury Jalloh est devenu, en Allemagne, le symbole de la violence raciste à l'encontre des demandeurs d'asile, particulièrement ceux originaires d'Afrique subsaharienne. Agé de 23 ans, le jeune homme avait été arrêté par la police de Dessau, en janvier 2005 et son corps retrouvé entièrement carbonisé sur le matelas de sa cellule, alors qu'il était menotté par les mains et les pieds. Contre toute vraisemblance, les autorités avaient prétendu que le jeune homme s'était suicidé, mettant lui-même le feu à son matelas ignifugé. Thèse avalisée par la justice allemande, qui a estimé que rien ne permettait de prouver que cette mort impliquait des tiers.
Les manifestants entendaient protester contre ce meurtre raciste ignoble (voir notre enquête publiée le 7 novembre dernier) mais aussi la façon dont la justice allemande a enterré l'affaire, au mépris des éléments fournis par les rapports d'experts internationaux. Plus globalement, ils entendaient dénoncer ce déni d'humanité dont ils sont l'objet, quel que soit leur statut administratif. "Hier colonisés, aujourd'hui exploités, [mais] demain régularisés", ont-ils clamé face à un cordon de policiers qui barrait l'entrée de la rue Marbeau.
Alain Charlemoine, militant anticapitaliste et membre de l'"Initiative en mémoire de Oury Jalloh", a pris la parole en allemand, expliquant que les activistes restaient mobilisés pour obtenir justice, au nom du jeune demandeur d'asile. "Das war Mord" (c'était un meurtre), ont repris les manifestants. Une évidence que continuent à nier la police et la justice allemandes. Douze ans après les faits horribles qui se sont produits à Dessau, une ville de l'ex-Allemagne de l'Est marquée par le renouveau des mouvements néo-nazis, la justice allemande a définitivement clôturé l'affaire le 12 octobre dernier, refusant un ultime recours. Désormais, les militants de l'Initiative se tournent vers la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.
Les sans-papiers, hommes et femmes, de la Coordination de Paris des sans-papiers (CSP 75), qui constituaient l'essentiel du rassemblement sont également intervenus pour dénoncer le racisme, les violences et les violations des droits humains que subissent les migrants africains, qu'ils soient sans papiers, demandeur d'asile ou réfugiés, et cela, dans toute l'Europe. "Des papiers pour tous", ont-ils demandé, rappelant que leur statut précaire, en marge du droit, les expose à tous les abus et violences. Après avoir assisté à la session du tribunal permanent des peuples, réuni à Paris, pour juger les atteintes aux droits humains, politiques et sociaux des migrants (voir notre article de jeudi dernier), ils s'étaient retrouvés place de la république, d'où ils avaient ensuite rejoint les locaux de l'ambassade allemande, situés dans le 16e arrondissement de Paris.
Ce rassemblement à la fois joyeux et empreint de gravité, où la danse fut autant une célébration qu'une revendication de dignité et de fraternité humaines, était l'occasion de montrer la capacité de mobilisation des sans-papiers, qui pour certains attendent d'être régularisés depuis près de dix ans. Là encore, le lien avec le tribunal permanent des peuples était évident, puisque plusieurs témoins ont évoqué lors de l'audience les conditions ubuesques de régularisation des sans-papiers. L'un d'eux a expliqué comment la procédure de régularisation avait été uniquement conçue pour permettre aux employeurs d'échapper aux condamnations pour travail dissimulé, mettant en revanche en danger les salariés sans papiers qui révéleraient leur situation afin de pouvoir bénéficier des conditions de régularisation par le travail.
Or, ces sans-papiers, qualifiés de migrants économiques, ont pris depuis plusieurs années une part active dans l'aide et le soutien aux migrants en butte à des violations de plus en plus nombreuses et graves du droit d'asile. Diallo, leur leader, a rappelé lors du rassemblement la mémoire des tirailleurs africains qui ont payé un lourd tribut aux deux guerres mondiales, et qui ont dû attendre avril 2017 pour retrouver la nationalité française dont l'indépendance des ex-colonies d'Afrique les avait privés. Une façon de rappeler qu'ils sont partie intégrante de l'histoire française.
A l'origine de cette manifestation, les membres de la coordination des sans-papiers de Paris (CSP 75) et de l'Initiative en faveur de Oury Jalloh, un groupe d'activistes allemands, qui s'est mobilisé depuis 2005, pour faire la lumière sur les faits qui ont abouti à la mort du jeune demandeur d'asile sierra-léonais, finançant une enquête indépendante. Alain Charlemoine, venu de Mannheim, avait battu le rappel de dizaines de militants sans-papiers, dont certains sont, comme lui, des membres historiques de la Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM), ayant participé en 2012 à une marche européenne.
La CISPM regroupe des collectifs de sans-papiers de plusieurs pays européens -Belgique, Allemagne, Espagne, France, Italie, Autriche et Pologne- mais aussi du Maroc, de la Tunisie et des USA. Elle a vu le jour en 2011, lorsque la Coordination 75 des Sans Papiers de Paris a fait le projet d’une Marche européenne, qui s’est effectivement déroulée du 2 juin au 5 juillet 2012, de Bruxelles à Strasbourg. Une volonté de porter le combat au niveau européen, de la part des militants allemands, qui souhaitent favoriser l'union des divers collectifs de lutte contre les violences policières et judiciaires, par-delà les frontières. Alain Charlemoine avait d'ailleurs pris la parole vendredi matin, devant le tribunal permanent des peuples qui jugeait les politiques migratoires européenne et française. "Qui nous protège de la violence policière ?" a-t-il interrogé. Après avoir présenté le cas Oury Jalloh devant le tribunal, il a appelé à la constitution d'un tribunal des peuples sur ce thème.
Ce tribunal international, qui reste à construire, permettrait de dépasser les querelles de clocher qui opposent les nombreux collectifs de familles de victimes. L'initiative aurait le mérite de braquer les projecteurs sur cette violence qui sévit dans tous les pays d'Europe et qui concerne chacun, bien au-delà des seuls étrangers et migrants. Violence policière, qui se double bien souvent d'une violence judiciaire, lorsque les tribunaux refusent non seulement de sanctionner les policiers responsables, mais vont même jusqu'à condamner leurs victimes.
Véronique Valentino