Le proc' voit rouge : récit du procès en appel de Marcus
Mardi dernier, la cour d'appel de Versailles jugeait Marcus G., un militant accusé d'outrage, rébellion et violences à l'encontre de deux policiers, alors qu'il participait à un rassemblement devant le siège social de Bolloré, à Puteaux-La Défense. En première instance, il avait été condamné à six mois de prison ferme. Lors de ce procès en appel, l'avocat général s'est distingué par sa férocité à l'égard de l'accusé mais aussi d'un témoin.
Un procès à Versailles, ce n'était pas vraiment de bon augure. Lorsque l'avocat général prend la parole, on comprend très vite que l'audience sera compliquée. Car pour le parquet les choses sont claires. Principal argument du procureur, sous forme de tautologie, les policiers étant des fonctionnaires assermentés, ils ne peuvent par définition pas mentir. Une vérité qu'il s'acharnera a établir, à tel point qu'il prive de son travail l'avocate des deux policiers qui sont parties civiles. Celle-ci n'aura en conséquence pas grand chose à déclarer.
Pourtant, la suite montrera que le jugement en première instance est loin d'avoir éclairci les faits et qu'il s'est appuyé sur des preuves tellement contestables qu'on n'est pas loin du vice de procédure. En attendant, Marcus G. est poursuivi pour quatre chefs d'inculpation : outrage, rébellion, violences et refus de donner ses empreintes et son ADN. Et il a déjà été condamné en juin 2016 à six mois de prison ferme, sans compter le montant des dommages et intérêts.
Les faits qui valent à ce dernier d'être jugés en appel remontent au 3 juin 2016, alors que se tient l'assemblée générale des actionnaires du groupe Bolloré. Vers 8 heures du matin, un groupe d'activistes s'est rassemblé au pied de la tour où se situe le siège de la multinationale, à l'appel du réseau environnementaliste ReAct, pour dénoncer l'accaparement des terres africaines par le magnat aux multiples activités. Dont l'exploitation de terres africaines arrachées aux cultures vivrières et remplacées par des plantations d'hévéa et d'huile de palme, nocives pour l'environnement et l'économie des pays concernés. L'objectif des manifestants est d'attirer l'attention des actionnaires et d'engager le dialogue pour leur expliquer les conséquences des activités africaines du groupe dans lequel ils ont investi leur capital. Un groupe de manifestants est massé devant l'entrée principale, un autre devant la porte latérale de la tour.
Marcus G., militant chevronné, qui depuis des années joue le rôle de trait d'union entre militants de toutes origines et de diverses causes, est l'un des animateurs de ce rassemblement pacifique qui réunit des environnementalistes et des anticolonialistes. Lui qui est l'un des coordinateurs de cette "action de conscientisation" va d'un barrage à l'autre et entreprend les actionnaires qui arrivent sur place. Très vite, la police est dépêchée sur les lieux pour protéger le grand grand raout des actionnaires de Bolloré. Or, Marcus est déjà bien connu de celle-ci. Et, avec son afro et ses lunettes noires, il est facilement reconnaissable. Le rassemblement est pourtant pacifique et bon enfant. "On criait des slogans et on chantait", racontera le témoin de la défense à la barre.
Alors que Marcus G. discute avec l'un des actionnaires, un policier l'interrompt, mais le trentenaire annonce vouloir poursuivre la discussion. Le policier le gifle violemment, manquant casser ses lunettes, et fait tomber son téléphone, prétextant un droit à l'image qui n'existe pas pour les forces de l'ordre. Marcus récupère son téléphone cassé et réalisant qu'il est sur le point d'être embarqué, se met à courir pour rattraper les autres militants, car il redoute d'être isolé face à la police. Ce que le procureur reconnaîtra puisqu'il indique ne pas savoir si Marcus G. court parce que le policier lui court après, ou si le policier court pour le rattraper.
A ce moment-là, le militant de 36 ans se retrouve près du parapet qui borde la Seine. C'est là qu'il est rattrapé par des policiers qui le prennent en tenaille et le plaquent à terre. Une vidéo filmée par un participant avec son téléphone le montre immobile, mais un deuxième policier l'accusera de s'être rebellé pendant son interpellation et de lui avoir donné des coups de pied. Ce que Christiane, une ex-cadre administrative qui a participé au rassemblement et témoigne en faveur de la défense, nie formellement. La même indique avoir vu l'un des policiers sortir "un objet blanc" et le diriger vers la tête du militant. Elle réalise alors avec stupeur que l'objet en question est une bombe lacrymogène et que le policier est en train de gazer Marcus quasiment à bout touchant. Un geste gratuit, puisqu'à ce moment-là, le militant est fermement tenu par les policiers. "C'était d'une violence incroyable", commentera la retraitée.
C'est ce qu'elle maintiendra avec constance, face à un procureur qui s'acharne à lui faire dire qu'elle n'a pas pu voir toute la scène. Lorsque le président du tribunal lui montre les photos floues jointes au dossier, elle désigne la bombe lacrymogène et réitère son récit. Ce qui n'empêchera pas le procureur de lui poser près d'une dizaine de fois la question de savoir si elle n'a pas quitté des yeux Marcus. Au point que la sexagénaire, agacée, lui demande : "mais vous voulez me faire dire quoi ?" Lorsque l'avocat Philippe Missamou s'en mêle, pour contester la façon dont le procureur mène l'interrogatoire du témoin, on frôle l'incident de procédure. Pas suffisamment pour refroidir les ardeurs de l'avocat général. Tandis que l'avocate du policier présent explique que l'utilisation de la violence par les policiers a été "mesurée, au vu de la résistance" opposée par le militant d'origine ivoirienne.
Il y a pourtant des incohérences manifestes et des partis pris affichés côté policier. Le premier, celui que Marcus accuse de l'avoir giflé, a obtenu six jours d'ITT suite aux blessures que lui aurait infligé celui-ci. Des blessures qui ne l'ont pas empêché de courir autour du bâtiment pour rattraper le manifestant. Quant au deuxième policier, monsieur C. -cinq jours d'ITT- il déclare que Marcus, une fois à terre, lui a donné des coups aux tibias, ce qui, selon Christiane, "était impossible", car, maintenu au sol par les policiers, "il ne pouvait pas bouger". Ce que confirme la vidéo. Bloqué au sol avec un policier sur le dos, il aurait fallu être un véritable acrobate pour lui décocher des coups de pied. Illustration du parti pris du policier C. qui témoigne à l'audience : le fait que Marcus "circule d'un groupe à l'autre" constituait selon lui "une provocation". Il ajoute à son témoignage un commentaire très personnel. On ignore pourquoi le militant noir aurait fait preuve de tant de masochisme, mais le policier en est persuadé : "il voulait se faire interpeller devant tout le monde", "pour le spectacle".
Au final, une seule chose semble certaine, c'est que Marcus G. s'est mis à courir. De là à justifier six mois de prison ferme, il y a un pas que le procureur n'hésite pas à franchir. "Vu ce qu'il a fait, on peut comprendre qu'il ait pris la fuite", explique le représentant du parquet, tout à ses certitudes. Qui invente pour les policiers un "droit d'interpellation", oubliant cependant que ce droit ne se comprend que lorsqu'il est justifié. Il a beau jeu de rappeler que le militant panafricain a déjà été condamné lors d'une précédente manifestation. Et tente d'en appeler à la sympathie pour des forces de l'ordre, "qui sont aussi là pour porter secours". Ce qui n'était pas vraiment la mission qui leur avait été assignée ce 3 juin 2016.
Le procureur tentera même d'enfoncer un coin entre des personnes venues pacifiquement et d'autres pas vraiment là pour manifester, alors que pourtant, à aucun moment le rassemblement n'a dégénéré. Pour lui, les policiers "ont pris des coups, c'est évident, puisqu'ils ont été blessés"... Il fera même sourire lorsqu'il développe une argumentation étonnante, selon laquelle un policier, en tant que fonctionnaire assermenté, ne peut pas mentir. Pour finalement conclure que Marcus est sans doute "un militant respectable", mais que ce jour-là "il a révélé son vrai visage", insultant et brutalisant les policiers. Révélant son intime conviction, il explique croire que Marcus G. "est quelqu'un qui cherche à échapper à sa responsabilité individuelle".
"Là où le procureur a des certitudes, j'ai des doutes", explique Me Missamou lors de sa plaidoirie. Qui rappelle que les ecchymoses constatées sur le corps de Marcus G. n'ont pas attiré l'attention du parquet, qui a avalisé la version policière selon laquelle l'accusé se serait blessé tout seul. L'avocat met surtout le doigt sur une irrégularité qui pourrait, si la peine de prison était maintenue, justifier la cassation. En effet, le tribunal correctionnel de Nanterre a justifié son verdict sur la base d'une vidéo filmée par une caméra municipale sur les lieux. Or, ces images n'ont jamais été visionnées, pas plus qu'elles n'ont été versées au dossier. "Sur quels éléments les juges ont-ils pu fonder leur conviction que monsieur G. avait opposé une résistance active à son interpellation ?", interroge Maître Missamou. "Il y a là une incohérence que votre juridiction ne peut laisser subsister", conclut l'avocat, après avoir rappelé une évidence qui n'aura échappé à personne sauf au parquet : oui, il arrive que des policiers mentent. "La parole des policiers ne doit pas être sacramentelle", résume l'avocat, qui réclame la relaxe pour les quatre chefs d'inculpation. La décision a été mise en délibéré et sera rendue le 21 février prochain.
Véronique Valentino