Marcher à travers la République des Oiseaux, par Tieri Briet
Je voulais juste aller marcher à travers la République des Oiseaux, au sud du continent. Regarder sous la pluie, sur la neige le langage que leurs traces écrivaient. Le contraire d'une langue morte.
Et puis d'un seul coup interdite, la couleur jaune avait changé de sens en Catalogne, accrochée partout aux barrières, aux grillages et aux barreaux des fenêtres. Le jaune était devenu la couleur de l'indépendance. C'était simple, aussi irréversible qu'une révolution dans la joie, la colère et le refus des vieux mensonges usés jusqu'à la corde. Sur leurs perchoirs, les cigognes observaient l'extension de la couleur jaune dans leur vie d'oiseaux philosophes, continuant de bâtir leurs grands nids de branchages. Fragiles cabanes tout en rond, construites sans clous ni ficelles. Des abris dans la nuit des temps difficiles qui s'annoncent.
Et sur les murs peints à la chaux, à l'entrée des villages ou dans l'ombre des villes, ce sont les mêmes mots qui reviennent - Llibertat presos polítics. Pas besoin de traduire. Pendant qu'on libérait Patrice Nganan de sa prison de Yaoundé, sur un continent plus au sud. Je dois à Pierre Astier la joie d'avoir appris la bonne nouvelle. A chaque fois qu'on libère un écrivain emprisonné, c'est comme si on vengeait Reinaldo Arenas et Alexandre Soljenitsyne d'un seul coup. La même joie qu'à Istanbul l'hiver dernier, au bord des larmes quand on apprenait la libération d'Aslı Erdoğan et Necmiye Alpay.
Ne pas oublier non plus d'aimer les oiseaux, a écrit Odile Robinot. Surtout quand ils sont libres, j'ai envie de répondre. En partageant une musique que Pau Casals avait jouée à l'assemblée des Nations Unies, pour y recevoir la médaille de la paix alors qu'il avait fui la Catalogne quand elle n'était pas libre. C'est à lui que je pense, à Pau Casals et Antoni Tapiés quand on emprisonne des ministres catalans. Eux auraient fait quelque chose de ce jaune. Quelque chose de beau.
Les Catalans sont un peuple démocratiquement mature, qui a gagné le droit de constituer une république d'hommes et de femmes libres. Ce sont les vœux de Carles Puigdemont en exil à Bruxelles, hier soir, mais je ne crois pas que l'Europe puisse entendre ce qu'il voulait nous dire. Dans l'Union des sourds et des puissants, c'est encore aux polices nationales d'imposer l'ordre ancien, la destruction des utopies et des cabanes de survie au bulldozer. Alors nous acceptons de regarder ailleurs, d'oublier l'emprisonnement de plusieurs ministres qui n'ont rien volé dans les caisses de Catalogne, d'effacer de nos mémoires ces policiers en armes qui arrachaient des urnes en frappant de toutes leurs forces la femme âgée qui la serrait dans ses bras.
Jusqu'à quand habiterons-nous le cadavre confortable d'une Europe mensongère ? Notre faiblesse ne peut pas servir d'éternel alibi pour ne pas contester ce qui a lieu maintenant sous nos yeux, de l'autre côté de la frontière sud. A l'autre bout de cette frontière, côté italien, des brigades de policiers traquent des hommes à la peau noire parce qu'ils tentaient d'échapper à la mort programmée de leur futur. Sérieusement, je me demande si nous, pauvres Français, nous sommes un peuple démocratiquement mature, qui a gagné le droit de constituer une république d'hommes et de femmes libres ?
Toute la liberté qu'on prend à des oiseaux, avait écrit Victor Hugo, le destin juste et dur la reprend à des hommes. Nous avons des tyrans parce que nous en sommes et ces millions de poules enfermées dans des cages, à l'intérieur d'usines à viande, elles nous racontent ce que nous sommes devenus, pauvres bestiaux chargés d'acheter sans penser à nos cages. Le contraire, maintenant, d'une république d'hommes et de femmes libres.
Tieri Briet, le 30 décembre 2017