Présidentielle russe : Ksenia Sobtchak, de protégée à opposante utile de Poutine
L'élection présidentielle russe aura lieu en mars prochain. Sans surprise, Vladimir Poutine devrait être réélu. La candidature d'Alexeï Navalny, considéré comme le principal opposant à l'actuel président, a été rejetée par la commission électorale, mais le camp des libéraux devrait pouvoir compter sur celle de Ksénia Sobchtchak, la Paris Hilton russe. La fille de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg, et mentor de Poutine, prétend s’émanciper des positions familiales, sans convaincre. Une correspondance de Maxence Péniguet.
Puisqu’il en fallait une, Ksenia Sobtchak l’est devenue : la “Paris Hilton russe”. Surnom donné par la presse internationale lorsqu’elle présente une émission de téléréalité, Dom 2, dans les années 2000. Vers la fin de la décennie, elle prend les rênes d’autres émissions du même genre, pour tout arrêter en 2012. La raison ? La désormais trentenaire est entre-temps devenue une activiste politique, et l’image de la “Paris Hilton russe” ne colle pas à celle d’opposante. “Je suis Ksenia Sobtchak et j’ai quelque chose à perdre ! Mais je suis là !”, a-t-elle lancé, en décembre 2011 devant des dizaines de milliers de personnes venues manifester contre des fraudes électorales. On dit alors que cette démission serait une mise à la porte. L’engagement ne fait pas bon ménage avec la téléréalité.
Mais Ksenia Sobtchak n’abandonne pas la télévision pour autant. Après quelques échecs, elle s’implante au sein de la chaîne indépendante Dojd (la pluie, en russe), dont Arte diffuse en ce moment un documentaire dédié. La candidate est également rédactrice en cheffe du magazine L’Officiel.
Mélange des genres
Lors de la conférence de presse annuelle de décembre du président Vladimir Poutine, la journaliste a posé une question de candidate. Un mélange des genres que l’ancien membre du KGB lui a fait remarquer.
À regarder de plus près ce moment, on peut autrement s’interroger : Ksenia Sobtchak ne serait-elle pas simplement la caution du Kremlin pour l’élection à venir ? Déjà, avant l’annonce de la candidature de la star, des rumeurs circulaient : celle qui fait campagne “contre tous” aurait arrangé sa candidature avec Vladimir Poutine.
Lors de cette conférence de presse, elle pose une question, celle de la compétition en politique (et de l’éjection de la course de l’opposant nationaliste Navalny), et semble honnête. Mais le président en profite pour la ridiculiser, d’abord sur son slogan (“contre tous”, qui était auparavant une possibilité de vote en Russie). Il continue sur Navalny sans le nommer en le comparant à l’ancien président géorgien Mikheil Saakachvili qui agite en ce moment l’Ukraine. Puis il passe sur un souhait prétendu de Sobtchak de voir “un Maidan après l’autre”, et demande ce qu’est devenu aujourd’hui le mouvement Occupy Wall Street… Sobtchak, qui représente pour le président ces initiatives démocratiques, ne répond pas, elle ne peut de toute façon pas répondre : ce n’est pas un débat.
Un passé rapprochant
Cela ressemble à une pièce de théâtre, ou Ksenia Sobtchak serait l'épouvantail libéral du Kremlin. La thèse se base sur le passé de la candidate. Son père n’était autre que le premier maire élu de la ville de Saint-Pétersbourg après avoir été proche de Gorbatchev. Plus important encore, il fut le mentor de Vladimir Poutine… (et de Dmitri Medvedev). Le président et la candidate au poste ont donc été proches pendant une certaine période. En 2000, à l’enterrement du professeur et père (dont les causes de la mort sont discutées), on a pu voir l'élève réconforter la fille.
Un drame familial, alors que Vladimir Poutine, nouveau président de Russie, était en train de relancer la carrière d’Anatoli Sobtchak. Après avoir perdu l’élection municipale de 1996, il avait dû finir par s’exiler à Paris, en 1997. Il était accusé d’avoir facilité illégalement des opérations
immobilières. L’arrivée de son élève au pouvoir lui a permis de revenir au pays. Il est décédé dans la région de Kaliningrad alors qu’il faisait campagne pour lui.
Beaucoup d’argent
Revenons à la fille. De “Paris Hilton russe” à figure de l’opposition, elle a su, au moins en apparence, s’émanciper des positions familiales. Elle a aussi su faire beaucoup d’argent. Le “Top 50 du show-business et du sport” du magazine Forbes la classe dixième personnalité la plus riche en 2017, avec un revenu estimé à 2,1 millions de dollars (1,7 million d’euros).
Comment le journalisme peut-il rapporter autant ? Mauvaise direction. Il suffit d’aller faire un tour sur son compte Instagram (5,4 millions d’abonnés) pour comprendre : ses revenus viennent de la publicité et de ménages dans le privé. Forbes indique qu’elle facture entre 7 000 et 8 000 euros par publicité pour les produits de luxe, 10 000 euros pour les biens de grande consommation.
Son programme
Dans une lettre adressée au journal Vedomosti pour lancer sa candidature, Ksenia Sobtchak explique qu’elle n’est pas pour ou contre la Crimée russe, et qu’il faudrait décider de son sort au niveau international. Elle a reconnu néanmoins peu après que la Crimée appartenait “à l’Ukraine du point de vue de droit international”. Elle a aussi rappelé l’importance de la paix entre la Russie et l’Ukraine.
Sur le plan intérieur, la journaliste se positionne comme féministe, libérale et pour la privatisation d’entreprises publiques. Et sur le site internet de la campagne “Contre tous”, 123 mesures à prendre sont précisées. Y sont développés des thèmes comme l’importance de l’État de droit, d’une société clairement européenne, de la démocratie, du fonctionnement des médias, de la justice, du système pénitentiaire, en finissant par la fin des conflits. On peut lire dans cette ultime partie : “La Russie est fatiguée des guerres, du militarisme (...). Nous devons stopper la guerre hybride (...) dans l’est de l’Ukraine. Nous insistons sur le retour immédiat des Russes en service (...) présents sur le territoire ukrainien et syrien.”
Quelles sont ses chances de pouvoir appliquer ce programme ? Pas grandes, aux dernières nouvelles. Car Ksenia Sobtchak vient d’atteindre un sommet. Le 15 janvier, le Centre russe de
recherche de l’opinion publique a publié son dernier classement “antirating” de la campagne. Pour la candidate star, c’est 89,8 %. C’est-à-dire que 89,8 % des personnes interrogées ont précisé qu’elles ne comptaient pas voter pour la journaliste le 18 mars prochain.
Maxence Péniguet